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Comme au boulot !

L’annonce de la mise en place de la co-intervention a été perçue dans notre établissement de diverses manières : une contrainte supplémentaire, un objet pédagogique non identifié, une possibilité de travailler en équipe ou de mettre en place des projets, etc. Les questions et les attentes étaient très nombreuses. Pour notre part, nouveau tandem dans l’établissement cette année, nous avons démarré le travail lors de la prérentrée : en lettres  et en savoirs associés métiers de la sécurité pour une classe de 2de. Le temps a été limité pour nous préparer et nous avons un peu regretté de devoir être devant les élèves dès la première semaine. Il a fallu être efficaces et méthodiques, voire un peu créatifs.

De la créativité pour trouver du sens

En premier lieu, il a fallu trouver des temps pour nous rencontrer et mettre en commun idées et suggestions. Heureusement, notre tandem s’entend bien, nous nous sommes rendus disponibles facilement l’un pour l’autre. Les premières questions qui sont apparues ont été : quelle philosophie donner à notre enseignement ? Comment construire cette année ? Comment lui donner du sens pour nos élèves ? Par affinités pédagogiques et conformément aux recommandations officielles, nous avons estimé que la pédagogie de projet prenait tout son sens. Il fallait rendre visible la co-intervention et trouver une source concrète de motivation ; la rendre différente des autres disciplines.

Le temps était donc venu de nous replonger mutuellement dans nos référentiels en présentant l’un à l’autre les éléments à travailler. En lettres, la co-intervention fait l’objet de perspectives d’étude spécifiques : écrire, lire ou dire le métier. Contrairement à certaines idées reçues, il n’a jamais été question d’utiliser le français pour améliorer les compétences professionnelles mais pour les éclairer avec culture et outils, encore une fois au service du sens. Certains diront que la co-intervention sert, par exemple, à rédiger une lettre de motivation. Nous pensons qu’il faut voir au-delà et enrichir la culture des élèves en apportant certes de la méthode, mais en travaillant aussi les œuvres patrimoniales, en lien avec les objets d’étude spécifiques à la matière et en lien avec le métier, ou le travail plus globalement.

La gymnastique bien connue des enseignants a suivi : étude du calendrier, identification des semaines de périodes de formation en milieu professionnel, vacances, etc. Et nous avons pu ainsi préparer une ébauche de programmation. Pour la progression, nous avons choisi le principe d’un projet par période. Cela donne un fil directeur, un cadre rassurant pour les élèves. Le point le plus technique a été l’identification des projets à mener, car ils obéissaient à plusieurs contraintes : étude des éléments de programme et des capacités dans chaque discipline, mais cohérence et logique entre les deux. Il a donc fallu trouver des liens, mais c’est cette partie qui nous a clairement le plus satisfaits. On y a retrouvé l’essence de notre métier : faire appel à la créativité pour trouver du sens.

Évidemment, ces différentes étapes ont demandé du temps, à un moment de l’année où celui-ci n’est pas le plus présent. Il a fallu s’investir et adopter une démarche proactive pour tenter de mettre à profit cette possibilité de travailler en équipe. Les projets se sont succédé et avec eux les nombreuses réussites mais aussi quelques obstacles.

Des réussites

Le sens de la co-intervention a, nous le pensons modestement, été assimilé par les élèves. Ils ont compris que les deux disciplines n’étaient pas au service l’une de l’autre, mais formaient un tout cohérent pour eux. Dans le cadre d’un projet mené sur l’expression de soi, les élèves ont dû réaliser un blason qui faisait état de leur appréciation des métiers mais aussi d’eux-mêmes. Certains élèves ont spontanément verbalisé l’intérêt des disciplines les unes pour les autres : une réussite réelle.
Le plaisir ressenti à travailler en équipe et le plaisir ressenti par les élèves est un autre élément. La co-intervention leur plaisait, car ils avaient « l’impression de travailler autrement, comme au boulot ! ». Et pour nous, le travail d’équipe a pris tout son sens en permettant aux élèves de développer des compétences importantes, vers une autonomie de plus en plus maitrisée.

La co-intervention nous a engagés dans un développement professionnel essentiel. Il nous a fallu recourir à des lectures, des expériences menées ailleurs pour nous familiariser davantage avec ce que nous mettions en place. Ainsi, le travail de groupe, la différenciation et la pédagogie de projet ont fait l’objet de recherches théoriques nombreuses et très utiles. Ces nouvelles postures, ce développement professionnel ainsi que la sensation de plaisir et d’utilité de la discipline ont donc été, pour nous, la bonne surprise de cette année. Pour autant, il est clair que certains obstacles peuvent entraver ce joli chemin.

Des obstacles

En étant pragmatiques, nous avons constaté également quelques imprécisions qui ont parfois pénalisé le sens de notre travail. L’évaluation en est le symbole. Nous avons pu, chacun, identifier les compétences à évaluer dans nos matières respectives, en donnant des notes pour le bulletin, mais nos élèves nous ont fait remonter qu’ils auraient aimé une évaluation commune. Autrement dit, ils aimeraient que cette discipline fasse l’objet « d’une case dans le bulletin avec sa propre moyenne ». Dans notre établissement en effet, la discipline coenseignée ne peut faire l’objet que d’une observation concertée. Cela a généré des frustrations et nous pensons que la co-intervention sortirait grandie d’une véritable institutionnalisation.

Au-delà de nos cas personnels, nous avons aussi échangé avec des collègues. Nous en avons vu certains faire état d’une véritable souffrance et surtout « laisser tomber » au fil de l’année. Pour des raisons diverses, certains se sont découragés et n’ont pas su penser la co-intervention comme l’occasion d’un projet et une opportunité de prendre plaisir tout au long de l’année. La co-intervention a ainsi parfois ressemblé à de la consolidation des acquis, une alternance entre cours généraux et cours professionnels ou même pire : des heures d’étude glorifiées. Nous estimons que cela est dû à un manque de cadrage préalable et surtout à un manque d’accompagnement. Là encore, le projet mériterait d’être mis en avant et identifié comme générateur de résultats concrets, visibles et justifiés.

Enfin, même si la réussite passe par une association de bonnes volontés et d’investissement, nous avons regretté le manque de temps institutionnel que la co-intervention mériterait. Un temps en établissement pour nous permettre de travailler ensemble afin d’éviter les incohérences. Les nouvelles postures et nécessités pédagogiques comme les travaux de groupe, la différenciation ou encore l’évaluation par compétences sont des domaines passionnants mais très techniques. Des journées de formation seraient là aussi bienvenues et permettraient à chacun de se projeter et de tirer le meilleur de la co-intervention.

De notre point de vue, la co-intervention a le potentiel pour donner du sens à notre enseignement, procurer plaisir et motivation aux élèves et renouveler nos pratiques au service du développement professionnel. Pour autant, la réussite de cette nouvelle matière est conditionnée par la mise en place du principe de l’association de bonnes volontés et d’investissement. En revanche, si ces conditions ne sont pas réunies, elle peut devenir dangereuse, faire naitre souffrances côté enseignant et désintérêt côté élèves. Un cadrage, un suivi et de véritables formations nous semblent être la clé pour continuer à réinventer le lycée professionnel de demain.

Isabelle Perrin
Professeure de lycee professionnel

Romain Cordier
PLP lettres-histoire