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Chronique d’un rapport annoncé

Ce document de 151 pages, déjà fortement structuré – même si la rédaction finale n’est pas achevée – se présente en deux grandes parties.
La première, intitulée « Que signifie “faire réussir tous les élèves” ? » affirme trois principes :
– 1. « L’école participe à l’éducation de la jeunesse en garantissant les conditions de l’acte pédagogique, en assurant la protection et l’équilibre des élèves, en formant au « vivre ensemble » et en préparant à l’exercice de la citoyenneté. »
– 2. « L’école s’assure de la maîtrise d’un socle commun et organise la diversité des parcours » ; elle doit « personnaliser les apprentissages » et « s’adapter à la diversité des élèves ».
– 3. « L’école promeut l’égalité des chances » en faisant en sorte de « diversifier réellement les moyens alloués aux établissements » ce qui nécessite « des établissements responsables » et des personnels compétents et reconnus. Trois missions prioritaires en découlent : éduquer, instruire, intégrer et promouvoir.
La seconde partie expose huit programmes d’action au premier rang desquels nous retrouvons la question du socle commun puis un projet de réorganisation de la scolarité obligatoire.
Sa divulgation prématurée dans le Monde daté du 26 août ne manque pas de nous interroger. Pourquoi « révéler », par-dessous le manteau ce qui devait être l’aboutissement d’un débat qui s’est voulu démocratique et d’une réflexion dont la mission n’était rien moins que « d’indiquer des perspectives d’évolution du système éducatif pour les quinze prochaines années » ? S’est-il agi de désamorcer la virulence attendue des critiques en leur offrant en pâture un contenu moins tangible puisque « confidentiel » et préparant ainsi une annonce officielle largement apaisée ? Ou bien de couper court à des oppositions internes à la commission en rendant le rapport « presque » définitif ?

« Père ! Gardez-vous à gauche ! Père ! Gardez-vous à droite ! »…

Quoi qu’il en soit, les réactions ne se sont pas fait attendre et, en premier lieu, au sein même de la commission. Passons sur les démissions des membres dont les déclarations ont largement été relayées par la presse et en particulier par Le Figaro Magazine.
Du côté syndical, la riposte a été immédiate : ainsi le SNES, dès le 26 août titrait sur son site le même jour : « La commission Thélot renoncerait-elle au progrès ? » [[ http://www.snes-educ/snes/actu ]]. Dans le collimateur : la question du socle commun et le risque de primarisation du collège ; l’autonomie renforcée des établissements et la redéfinition du service des enseignants. Depuis, le débat s’est approfondi, mais globalement la méfiance est de rigueur. Plus sans doute à l’égard de ce que le gouvernement en fera que sur le contenu même du rapport. Ainsi pouvons-nous lire dans la presse SGEN [[SGEN-CFDT Bretagne info n° 50.]] : « Les fuites du rapport Thélot qui, pour certaines, présentaient des évolutions intéressantes, ne vont-elles pas avoir comme conséquence un simple projet autour des savoirs, de la lecture et de la récitation sans oublier la dictée ? »
Et en effet, quel bilan – provisoire lui aussi – pouvons-nous tirer à l’heure actuelle ? Au CRAP, nous avons débattu et, en dépit du titre racoleur du Monde annonçant « la défaite des partisans de la vieille école » au profit des « pédagogues » [[cf. note 3.]], l’analyse n’est pas si simple. Pour ce qui est des principes annoncés, nous ne pouvons qu’être d’accord. L’importance donnée à la mission éducative de l’École, l’insistance sur la nécessité de construire un cadre garantissant les conditions de l’acte pédagogique, d’évaluer les acquis réels des élèves, de prendre en compte leur diversité, la recherche de plus de justice – même si la notion d’égalité des chances nous semble critiquable dans ce qu’elle sous-tend comme image compétitive avec, juste derrière, toujours prête à ressurgir comme alibi à l’échec scolaire, l’idée du « handicap » (nous préférons parler d’équité) -, la réaffirmation d’une ambition démocratique : faire réussir tous les élèves. Tout cela nous semble positif et n’est pas sans évoquer l’esprit de la loi de 89. Nous comprenons bien que c’est de cette continuité dans le processus de démocratisation de l’École que Finkielkraut et consort se gaussent… Mais gardons-nous de nous gausser à notre tour ! Car nous savons bien que la loi de 89 est restée pour partie lettre morte et que la démocratisation est en panne. Les bons principes ne suffisent pas : pour entrer dans les pratiques, un engagement fort est nécessaire. On ne peut pas dire que le contexte politique et idéologique favorise cet engagement de tous les acteurs… Et nous rejoignons ici les méfiances syndicales qui s’appuient plutôt sur la partie programmatique du rapport.

Qu’est-ce qui nous semble néanmoins aller dans le bon sens ?
Tout d’abord, dans la réorganisation de la scolarité obligatoire, la réactivation (! ) de la politique des cycles : bien qu’inscrite dans la loi, cette réforme a du mal à se traduire dans la réalité des pratiques et demeure très parcellaire, entretenant la confusion dans les esprits des parents, des élèves et d’une partie des enseignants. Une politique plus volontariste en la matière pourrait peut-être permettre au dispositif de fonctionner enfin. La commission fonde une partie de ses espoirs sur le renouvellement prochain des enseignants… Faut-il en accepter l’augure ?
Les préoccupations concernant la mixité sociale nous semblent essentielles : la commission semble avoir pris la mesure du danger de la ghettoïsation de certains secteurs quant à l’avenir de notre société. Renforcer les moyens propres à l’Éducation nationale dans ces établissements ne peut suffire à restaurer un tissu social et économique dégradé, mais l’École peut jouer dans ces cas-là un rôle essentiel pour préserver les jeunes du pire.
Pour ce qui est du socle commun, rien n’est réglé. Autant, si nous en restons au niveau du principe, nous pouvons être d’accord, autant dans les choix concrets nous risquons la guerre de tranchée !
En finir avec un collège entièrement organisé en fonction des classes de lycée général, alors que seulement la moitié des collégiens y accèdent semble une mesure de salubrité publique. Penser le collège pour tous comme un lieu où tous les enfants seront assurés d’apprendre : voilà qui est de bon sens !

Qui perd gagne ?

Et maintenant que mettons-nous en place réellement ? Les propositions Thélot recentrant les apprentissages autour de deux piliers (math et français) et deux compétences (anglais, TICE et éducation à la vie en commun) manquent singulièrement d’attrait dans leur rustique simplicité…
Le débat risque d’être aussi brûlant autour de la question du métier enseignant : nous sommes bien d’accord que le métier doit évoluer, qu’il a déjà évolué dans les faits. Mais toucher aux statuts ? La confiance minimale à accorder à ceux qui nous dirigent fait cruellement défaut… Au point que l’on ose à peine rappeler combien la juxtaposition de personnels aux obligations et aux émoluments différents pour l’exercice du même métier dans les mêmes établissements est un obstacle majeur à l’entente et au partage des savoir-faire qui devraient être de mise dans un projet éducatif.
Bien d’autres aspects seraient à évoquer : le pouvoir renforcé des chefs d’établissements, l’institutionnalisation de lieux de concertation dont la dérive est la multiplication d’instances de décision hiérarchisées, l’orientation, et surtout l’inscription de l’établissement scolaire dans un territoire qui risque fort de se confondre avec le bassin d’emploi…
Le débat reste ouvert, ô combien ! Souhaitons qu’il ne se referme pas trop brutalement sur une pirouette médiatique : les pédagogues ont gagné ? Vraiment ?

Marie-Christine Chycki, professeure de lettres en lycée.