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«Ce gout de questionner le monde ne m’a jamais quitté»

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Une rencontre chaleureuse avec Pierre Léna, le cofondateur de La main à la pâte, scientifique réputé pour ses travaux en astronomie, membre de l’Académie des sciences et militant en faveur d’un enseignement rénové des sciences, soutien précieux pour les pédagogies actives.
Qu’est-ce qui vous a donné le gout des sciences, quel rôle ont joué votre environnement familial et l’école ?

Pendant la Seconde Guerre mondiale, mes parents avaient dû déménager de Paris à Tarbes, et jusqu’à 8 ans, dans notre petit village, l’institutrice venait me faire cours à domicile, deux heures par jour. Je vivais en pleine nature, j’aimais observer les plantes, les animaux et le ciel ; de là, soutenu par mon père, m’est venu ce gout d’observer et de questionner le monde, et il ne m’a jamais quitté. J’aime citer le doctorat de Florence Guichard, enquêtant auprès nombre de scientifiques. Chez les trois quarts d’entre eux, le gout des sciences est né dès l’âge de 6 à 10 ans !

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’école et à créer La main à la pâte ?

J’ai enseigné toute ma vie, je n’ai jamais voulu faire exclusivement de la recherche expérimentale, quel que fût le plaisir que j’y prenais. À Paris VII, j’aimais autant enseigner à mes étudiants de licence qu’en doctorat aux futurs chercheurs.
En 1989, je présidais la Société française de physique et nous nous préoccupions de la façon dont les sciences seraient présentes dans les IUFM alors à venir. Puis en 1992, on m’a proposé de présider l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique). Je suis ainsi entré plus avant dans la pédagogie scolaire, à l’Académie des sciences j’ai rencontré Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992. Il avait convaincu le ministre Bayrou d’aller voir ce qui se faisait dans les écoles de Chicago, où les sciences servaient de remédiation, et nous avons été conquis. Nous savions qu’un modèle américain serait rejeté par nos enseignants, aussi avons-nous procédé avec prudence, travaillant avec eux pour créer une « voie française » s’appuyant d’ailleurs sur un long passé (Freinet, ou Victor Host). En 2011, l’opération La main à la pâte s’est transformée par décret en Fondation de coopération scientifique. Ce nom, Lamap, s’est imposé peu à peu, mais les Suisses ont peut-être un meilleur terme en disant « Penser avec les mains ».

L’institution vous a-t-elle soutenu depuis votre création ? On sait que Luc Ferry a fustigé ce qu’il appelle « pédagogie de l’hameçon » qui, selon lui, « trompait l’enfant » sur les efforts nécessaires à fournir.

C’est le seul ministre avec qui nous avons eu vraiment des problèmes. Il semble que tout philosophe éminent qu’il soit, la science lui demeurait étrangère, son apprentissage ne pouvant être vécu que comme une souffrance. Mais les autres ministres nous ont soutenus, respectueux de l’engagement de l’Académie des sciences et conscients des grandes difficultés des élèves en sciences, que, hélas !, les enquêtes PISA leur rappellent. Pourtant, vingt ans après le début de Lamap, une moitié des classes primaires n’enseignent toujours guère de sciences, pourtant au programme !

Où en est aujourd’hui la fondation Lamap ?

Notre site reçoit 300 000 visites par mois, 3 000 étudiants accompagnent des écoles (dont une bonne dizaine de polytechniciens), l’enseignement intégré des sciences et techniques (EIST), que nous avons promu, ne cesse de progresser en 6e et 5e, même s’il doit parfois faire face à des crispations disciplinaires. De nombreux inspecteurs, au départ méfiants, se sont ralliés et nous avons des retours positifs d’une évaluation ministérielle (DEPP) sur le travail en équipe des professeurs et surtout sur le développement du gout des élèves. Nous espérons beaucoup du renforcement du socle commun et de la rénovation des programmes. En 2011, nous avons proposé la mise en place de Maisons pour la science au service des professeurs dans le cadre des « investissements d’avenir » (rapport Juppé-Rocard), des lieux universitaires où se rencontrent scientifiques et enseignants. Nous sommes passés de quatre à neuf Maisons, dont sept déjà ouvertes. Nous associons ces prototypes aux ESPÉ, et nous organiserons l’an prochain un grand colloque national sur le développement professionnel, tout au long de leur vie, des professeurs enseignant les sciences à l’école et au collège.

Si vous aviez une recommandation à faire à la ministre, quelle serait-elle ?

Ce serait, avec tout mon respect : « Libérez l’initiative des professeurs et mettez en place une véritable politique de leur développement professionnel tout au long de leur carrière. »

Propos recueillis par Cécile Blanchard et Jean-Michel Zakhartchouk


Références

– Le site de La main à la pâte : www.fondation-lamap.org

– Ouvrages récents de Pierre Léna : Enseigner, c’est espérer, « Plaidoyer pour l’école demain », éditions Le Pommier, et le récit d’une expérience fabuleuse à laquelle a participé l’auteur : Concorde 001 et l’ombre de la Lune, éditions Le Pommier.


Article paru dans notre n°517, tout commence en maternelle, coordonné par Christophe Blanc et Valérie Neveu, décembre 2012.

Ils ont entre 2 et 6 ans. Et ils interpellent la communauté éducative pour qu’elle pense leur école, redéfinisse ses missions, entre épanouissement de l’enfant et apprentissages. Que sait-on aujourd’hui de l’école maternelle ? Quelles sont les attentes ? Qu’y apprend-on et pour quoi ? Avec qui ?

https://www.cahiers-pedagogiques.com/no-517-tout-commence-en-maternelle/