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C’est parti, je vote !

Si je questionne mes élèves de 16 ans à propos de la politique, plusieurs peuvent nommer le nom du premier ministre du Canada, rarement certains se souviennent du nom du premier ministre du Québec, et aucun ne connait ni le nom du maire de Gatineau, ni les noms de ses conseillers municipaux. D’ailleurs, en 2011, alors que 29,5 pour cent de la population gatinoise étaient âgés de 18 ans et moins, le désengagement politique des jeunes inquiète la municipalité. Dans les sociétés occidentales, ce désengagement transparait aussi dans les statistiques : les nouvelles cohortes d’électeurs sont moins enclines à voter. Pour expliquer ce phénomène, la littérature portant sur les causes de la chute du taux de participation aux élections donne une certaine importance aux processus de socialisation. Ces processus englobent le sens du devoir civique, l’intérêt pour la politique et la socialisation politique. Alors, comment éduquer à la citoyenneté en promouvant les processus de socialisation alors que les jeunes sont de moins en moins intéressés par la politique ? Pour ma part, je pense qu’ils ne peuvent pas s’intéresser à quelque chose auquel ils ne sont pas exposés !

De la théorie…

Déjà, notons que la politique n’est pas une matière en soi dans le programme de formation du Québec. Elle est plutôt rattachée à un des cinq domaines généraux de formation : « vivre-ensemble et citoyenneté ». Ainsi, ce domaine doit s’intégrer à différentes matières par diverses méthodes : l’implication active, la résolution collective, la négociation, ou encore, la prise de décision. Donc, au sein du cours de français, j’apprête la matière de façon à permettre le développement de citoyens réflexifs, engagés dans les débats et favorables à la réciprocité.

Toutefois, bien que ce domaine touche à la citoyenneté, il ne favorise pas explicitement l’exposition à la sphère politique. Il faut plutôt se pencher sur sa proximité avec une matière en particulier : histoire et éducation à la citoyenneté. Ce programme s’oriente aussi vers le développement de la réflexion critique, mais couvre en plus des notions relatives aux pouvoirs. D’ailleurs, une des trois compétences visées par ce cours est de « construire sa conscience citoyenne à l’aide de l’histoire ». Par contre, les élèves ne demeurent exposés qu’aux aspects théoriques de la politique. Personnellement, la lecture du curriculum et les échanges avec mes élèves me confirment qu’ils ne sont pas suffisamment sensibilisés à la politique dans leur parcours scolaire. Il s’agit peut-être d’une des failles du processus de socialisation des futurs citoyens du Québec. Afin de contrer ce manque d’exposition, une solution pourrait provenir des instances politiques comme telles. Ancré dans l’idéologie de la socialisation politique, voici donc un témoignage qui propose une collaboration intéressante.

… à la pratique

C’est parti, je vote !

Il y a quinze ans, le mairie de la ville, sensible au fait que les jeunes ne se sentaient pas à leur place dans la sphère politique, a formé la première Commission Jeunesse (CJ) de la province de Québec. Vingt sièges sont donc réservés à des jeunes de douze à dix-sept ans. Accompagnés par trois des dix-huit élus de la ville, les jeunes ont comme mandat de faire des recommandations visant à résoudre des problématiques qui touchent l’ensemble de la jeunesse gatinoise. Puis, ces recommandations sont transmises au Conseil de la ville.

En 2011, les jeunes de la CJ se sont questionnés sur l’espace réservé à la politique à l’école. Puis, ils ont recommandé d’être davantage exposés aux divers aspects de l’univers politique. La CJ a donc mis sur pied le projet C’est parti, je vote[[Pour plus de détails, voir le site Internet : http://cjgatineau.ca/]]. Afin de rendre accessible cette sphère de la citoyenneté, le projet propose que les élèves, une classe à la fois, soient sensibilisés en toute intimité à la politique municipale par un animateur, un jeune siégeant à la CJ et un élu. Le but de cette rencontre d’une heure et quart n’est pas d’inculquer quelconques idées politiques, mais plutôt de piquer la curiosité des élèves. Dans les treize écoles secondaires du territoire gatinois, 95 pour cent des élèves d’une soixantaine de classes de secondaire cinq[[L’école secondaire québécoise est l’équivalent de la sixième à la troisième au collège ainsi que de la seconde au lycée français. Le secondaire cinq québécois est l’équivalent de la seconde au lycée français.]] ont pu « voir » pour la première fois un élu.

En classe, trois brèves présentations divisent la période : la politique municipale, l’engagement du jeune de la CJ et le travail de l’élu. Ce dernier touche aux sujets politiques locaux, mais est aussi invité à décrire son parcours de vie. Toujours dans l’idée de rendre accessible la politique, sa présentation met au premier plan l’humain derrière le titre. Il montre des photos de lui à l’adolescence et décrit qui il était à l’adolescence. Dans un deuxième temps, les invités répondent aux questions des élèves de façon conviviale. Au cas où la discussion serait moins animée, l’animateur se charge de dynamiser la rencontre en soulevant divers questionnements. Finalement, différentes mises en scène incitent les jeunes à réfléchir. Par exemple, dès l’amorce de l’activité en classe, les jeunes affirment souvent que leur opinion ne fait pas de différence dans la sphère politique. Toutefois, ils changent d’avis lors d’une simulation portant sur le choix entre l’aménagement d’un terrain de football ou d’une aire de repos. La prise de position est unanime : tous votent pour le terrain de football. Toutefois, ils sont amenés à réaliser que les résultats de ce sondage simulé seraient bien différents dans une maison de retraite. L’impact, de classe en classe, est toujours le même : le silence règne, les élèves sont bouche bée. Cet exemple en est un parmi tant d’autres. Ce projet exposent définitivement les jeunes au fait qu’ils ont un pouvoir politique et que leur engagement citoyen peut avoir des répercussions. D’ailleurs, les évaluations effectuées après l’activité confirment cette prise de conscience puisque 76 pour cent des jeunes estiment mieux comprendre l’implication citoyenne.

Bénéfices et expansion

En résumé, les discussions et les mises en situation permettent de créer un pont entre l’univers politique et les élèves. Cette création est possible grâce à l’engagement d’un jeune de la CJ qui agit comme un agent de contamination positif. De plus, la présence d’un élu donne accès à l’aspect humain derrière les rouages politiques. Ces deux compléments sont essentiels afin que le projet soit davantage un événement déclencheur à l’intérêt politique qu’un cours théorique sur le sujet. Concrètement, l’objectif est d’augmenter le taux de participation des jeunes aux élections municipales, mais aussi d’accroître leur engagement citoyen. Déjà, les taux de participation à toutes les activités de la CJ connaissent une forte augmentation depuis le début du projet. De plus, alors qu’une douzaine des vingt sièges de la CJ étaient anciennement occupés, une quarantaine de candidats postulent désormais chaque année. Par contre, nous ne sommes pas en mesure de vérifier si les taux de participation aux élections municipales ont augmenté pour cette cohorte depuis 2011 puisque l’âge des électeurs n’est pas recensé lors des élections municipales. Ces données seront toutefois présentes sur les listes des élections municipales de 2017.

De plus, en collaboration avec l’Université Laval, le projet est en expansion et une seconde dimension se développe. Effectivement, en temps d’élection, un site Internet[[http://cestparti.wix.com/jvote]] a été mis au point afin de permettre aux élèves de volontairement se soumettre à une simulation de vote. Dans certains cas, les élèves sont à même de constater que si leur participation avait été réelle, un autre candidat aurait gagné les élections dans leur circonscription.

Pour ma part, après avoir été exposé aux réactions des élèves ayant vécu le projet, je suis convaincue de l’importance de cette sensibilisation impartiale et neutre à la sphère politique. Misant sur l’accessibilité, la convivialité et l’intimité, cette initiative clé en main financée par les instances politiques comble définitivement un manque dans la formation des citoyens de demain… manque auquel l’école ne peut pas nécessairement répondre sans collaboration. Il serait souhaitable que cette initiative, dans les années à venir, bénéficie à tous les élèves québécois… et pourquoi pas aux élèves de tous les pays cherchant à accroître l’engagement politique des jeunes !

Joannie St-Pierre
Enseigne le français langue maternelle au deuxième cycle à l’école secondaire Grande-Rivière (Québec), étudiante au doctorat en éducation à l’Université d’Ottawa.

Merci à Thomas Gagné, animateur du projet de 2011 à 2012, et à Josiane Cossette, agente à la Commission Jeunesse, pour les entrevues qui ont amené certaines précisions à cet article.