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Bien apprendre l’orthographe

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«Autrefois, les élèves sortaient de l’école sans faire de fautes d’orthographe, aujourd’hui ils ne savent plus écrire. Il faut revenir aux bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves.»

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Dessin de Charb, paru dans le numéro 440 des Cahiers pédagogiques, « Orthographe »

De fait, si le niveau en orthographe des élèves s’est considérablement amélioré entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe, la baisse de celui-ci est une réalité au cours de ces trois dernières décennies, du moins en ce qui concerne l’orthographe grammaticale (voir notamment l’enquête de Danièle Manesse et Danièle Cogis). Mais à qui la faute ? À un laxisme généralisé ? Difficile à croire : les instructions officielles, dans leurs versions successives, insistent toujours sur l’apprentissage de l’orthographe et les enseignants sont convaincus qu’une mauvaise orthographe est un handicap pour l’insertion professionnelle future de leurs élèves. À l’irruption d’un langage texto ? Les études de chercheurs récusent cette interprétation. À la modification des méthodes ? C’est peu probable, tant les pratiques majoritaires mettent l’accent, aujourd’hui comme autrefois, sur la mémorisation des règles et les exercices d’application.

Cherchons plutôt du côté du temps consacré à l’orthographe dans une semaine de classe. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un élève soit un virtuose de l’orthographe dès la fin du primaire – combien l’étaient en sortant de la mythique école de la Troisième République ? Et adoptons des méthodes qui permettront l’enseignement de l’orthographe le plus efficace dans un temps scolaire plus contraint aujourd’hui qu’hier, où les contenus enseignés sont plus nombreux et les attentes sociales à l’égard de l’école aussi. Pour ne s’en tenir qu’à la production écrite, si l’accent n’est plus aujourd’hui aussi exclusivement porté sur les acquisitions orthographiques que naguère, c’est parce que les demandes de la société et les besoins de l’économie se portent également sur l’acquisition de compétences à rédiger des textes variés, dans des genres et des domaines diversifiées… Il est absurde de penser que l’école pourrait se centrer uniquement sur ce que certains considèrent comme les fondamentaux.

« Vous avez compris qu’aux anciens procédés, qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée-, il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant et plus substantiel. »
Jules Ferry, discours aux directeurs d’Ecoles Normales du 2 avril 1880

Le travail des innovateurs et des chercheurs, dans le champ de l’apprentissage de l’orthographe, permet de mettre au point des démarches plus efficaces. Ils proposent un enseignement plus rationnel, qui combine la découverte du système de l’orthographe, l’articulation entre lecture et écriture, la prise en compte des conceptions des élèves pour faire évoluer ces conceptions lorsqu’elles font obstacle à l’apprentissage, et une pratique intensive de l’écrit, avec toute une gamme d’exercices, mais aussi la production de textes nombreux, dans les différentes disciplines scolaires. Car à quoi sert d’orthographier sans erreur dans un exercice si on ne réussit pas à transférer ce savoir-faire lorsqu’on rédige ?

Quelle dictée ?

Parmi les exercices pratiqués, la dictée. Pour ou contre la dictée ? La question n’a pas de sens. La vraie question est : comment pratiquer la dictée et quand ? Dictées préparées, dictées négociées (c’est-à-dire permettant aux élèves de confronter leurs arguments sur la manière d’orthographier un mot dans une phrase, entre eux et avec le savoir de référence), dictées de contrôle. Dictées de mots, de phrases, de textes. Autant de situations qui correspondent à des moments différents de l’apprentissage d’un phénomène, d’une régularité, d’une notion… La dictée a le mérite de concentrer l’attention de l’élève sur l’orthographe. Pas question d’en condamner toutes les formes à cause de la pratique contreproductive de la dictée-piège qui renvoie les élèves faibles à leur incompétence sans leur donner de clés pour progresser. La dictée n’est pas en cause, mais une certaine pratique de la dictée qui renforce chez bien des élèves le sentiment d’une fatalité de leur échec.

Mais l’orthographe n’est pas le tout de la langue, et encore moins de la culture. Tentons donc plutôt de pratiquer un enseignement rationnel de l’orthographe, en en faisant comprendre la logique aux élèves (l’orthographe n’est pas un tissu de bizarreries et d’exceptions), en adoptant une progression fondée sur la fréquence (il importe que les élèves s’approprient au début de l’apprentissage ce qui va leur permettre d’orthographier le maximum de mots lorsqu’ils écrivent) et en adoptant les rectifications recommandées par l’Académie en 1990 et par les Instructions officielles de l’Éducation nationale depuis. Ces rectifications portent sur quelques aberrations qu’elles régularisent (par exemple, charriot, comme charrue et charrette, les pluriels des mots composés ou quelques accents circonflexes sans valeur distinctive supprimés comme maitre ou connaitre…). Centrons nos efforts sur le noyau du système plutôt que sur des épiphénomènes : c’est aussi une des clés d’un enseignement plus efficace.

Jacques Crinon
Professeur en Sciences de l’éducation à l’Université Paris-Est Créteil, membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques

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