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Bâtir son métier

Elle était, au lycée, « fascinée par les sciences économiques et sociales », une matière « qui ouvre les yeux au monde ». C’était peu avant qu’elle ne quitte Agen pour Grenoble et poursuive là-bas son chemin d’apprentissage en sciences politiques. « Sciences-po m’a énormément nourrie en terme de connaissances.  » Elle se trouve là-bas un peu en terre étrangère, dans un monde de l’élite où elle se sent parfois illégitime, en état de choc culturel : « J’avais l’impression que les autres en savaient plus que moi, alors je travaillais beaucoup. »

Elle s’intéresse au milieu carcéral, rédige un mémoire sur un centre éducatif fermé, basé sur une monographie avec de multiples rencontres. En master 2, elle choisit encore ce milieu pour effectuer une recherche en maison centrale. Elle réalise des entretiens avec des surveillants et des détenus. Elle défriche l’histoire, les représentations, les tabous autour d’un monde clos.

Tentative de thèse

Elle commence une thèse sur le thème, avec une approche historique, y met toute son énergie et son temps. Elle vit l’univers universitaire comme un espace de l’entre-soi perclus de concurrences. Elle ressent la pression intellectuelle et la solitude d’un travail où les entretiens, les enquêtes de terrain, sont rares. Face à la difficulté d’expliquer à ses proches ce qu’elle fait, elle a l’impression de ne plus avoir les pieds sur terre. Au bout d’un an, elle se sent épuisée et le sens de ce pourquoi elle s’investit tant lui échappe. Elle pense à son attrait pour les relations humaines, pour la communication, la transmission. Elle a besoin d’ouverture.

Elle renonce à sa thèse et choisit la voie de l’enseignement en s’inscrivant en Master 1 pour préparer le CAPES. « C’est le meilleur choix que j’ai pu faire. Cela m’a fait beaucoup de bien de côtoyer un autre milieu que Sciences Po. » Au concours, le sujet semble être fait pour elle, une dissertation sur la déviance et le contrôle social, thème qu’elle avait exploré dans ses années d’études précédentes.

L’année de stage

Elle a apprécié son année de stage où elle a vécu comme une chance la répartition égale entre les temps en classe et les temps en formation. La difficulté de l’entrée dans un métier nouveau était adoucie par un climat d’entraide au sein de sa promotion. Elle ressent alors le poids de la responsabilité d’avoir des élèves face à elle, dans des classes où l’effectif grimpait jusqu’à trente-six, les hésitations à l’heure d’inscrire une appréciation sur les bulletins scolaires ou d’attribuer une note.

Une du journal créé pendant l'année de stage à Villard de Lans

Une du journal créé pendant l’année de stage à Villard de Lans

La confiance dans ses compétences d’enseignante s’installe, grandit, lorsqu’elle constate l’intérêt des lycéens pour les thèmes qu’elle aborde, leur envie de comprendre les phénomènes sociaux. Elle mène le projet à réaliser en Master 2 avec trois autres professeurs dans une cité scolaire. Ils réalisent, avec plusieurs classes de collège et de lycée, un journal scolaire diffusé dans le cadre de la semaine de la presse. L’approche en pluriniveaux et pluridisciplines lui plaît tout comme le travail collectif qui favorise un résultat abouti.

Savoir qui on est

À l’heure de la titularisation, elle quitte l’académie de Grenoble pour celle de Poitiers, arrive au lycée Marcelin Berthelot de Châtellerault, dans des conditions qu’elle qualifie d’idéales pour une débutante. Dès la réunion de fin d’année précédant sa première rentrée de titulaire, elle se sent bien accueillie, constate qu’il existe de multiples projets, comme celui de la classe inversée. Elle choisit d’attendre pour y participer. « Je me suis rendu compte qu’une bonne pratique ne s’impose pas. Il faut d’abord savoir qui on est dans le métier d’enseignant, comment on enseigne. Il existe des pratiques intéressantes mais on ne peut pas imposer une manière de faire si l’enseignant ne considère pas que c’est une manière de résoudre des problèmes qu’il rencontre. »

Alors, elle construit au fur et à mesure sa façon d’enseigner, découvre les multiples facettes de son métier avec une fonction de professeure principale en seconde. Elle collabore avec la professeur-documentaliste, « un rôle que j’avais sous-estimé mais qui est très important pour monter et animer un projet ».

Le cirque et les médias

L’établissement propose une option arts du cirque. Elle n’enseigne pas auprès des élèves qui en bénéficient mais trouve une parade pour s’en approcher. Il n’existe pas de classes spécifiques pour l’option et dès la seconde, un clivage est constaté entre les lycéens qui la suivent et les autres, deux groupes qui cohabitent sans se mêler vraiment. Avec des professeurs de français et d’éducation physique et sportive, elle imagine et anime des actions pour renforcer la cohésion.

Elle travaille avec son groupe sur la construction et l’administration d’un questionnaire sur le thème de « Qui est la classe de seconde 1 ? », celle qui accueille l’option cirque. Le projet permet à la fois de s’initier aux techniques d’enquête et de briser la paroi invisible entre les élèves avec et sans pratiques du cirque. Les premiers accueillent les seconds pour une séance d’acrosport et leur ouvre ainsi leurs univers. Tous ensemble font des sorties culturelles au musée, au théâtre. Les trois disciplines mêlées construisent la cohésion du groupe avec des éclairages différents mais complémentaires. Elle-même s’est inscrite à des cours de cirque, pour découvrir, apprendre de nouvelles choses dans un univers qu’elle méconnaissait.

Elle contribue aussi à des projets liés aux médias dans le cadre de l’enseignement d’exploration. Dans son lycée, une radio est animée par l’animatrice culturelle mise à disposition par la Région dans le cadre d’un dispositif hérité de Poitou-Charentes. Julie Fondriest invite Alexis Morel, journaliste à France-Info et ex-collègue de promotion à Sciences-Po, pour faire découvrir à ses élèves le métier de journaliste. « Il vient chaque année, c’est comme si mes deux mondes se rencontraient. »

Et les SES

Depuis sa première rentrée en tant que titulaire en 2015, elle ne cesse d’explorer les sciences économiques et sociales, « de rendre la matière vivante car les SES, c’est la vie, ce qui nous entoure ». Elle s’est interrogée au départ sur la nécessité ou non de porter le masque de l’autorité, puis a laissé la question et le masque de côté. « On est enseignant avec ce qu’on est, avec notre personnalité. J’aurais eu du mal à garder le masque jusqu’au bout. » Elle privilégie l’enthousiasme et la sincérité, voit la faible différence d’âge entre elle et les lycéens comme un atout pour instaurer de la confiance, de la complicité.

Elle ancre ses cours dans le quotidien de ses élèves pour les amener vers les concepts de la sociologie, les rendre accessibles, voit l’actualité comme une matière première. Elle utilise les vidéos et les images en lien avec les pratiques médiatiques des élèves. Elle cherche à attiser la curiosité, à susciter les prises de conscience sur la façon dont on se construit en tant qu’individu, sur les influences familiales, sociales. Elle favorise les temps d’échanges. «Sentir qu’il y a une connexion, c’est un peu mon moteur. »

Elle constate avec plaisir que la méthode porte ses fruits lorsque les parents témoignent des débats enrichis, à l’heure des repas, par les connaissances acquises en sciences économiques et sociales. Elle s’attache à élargir la notion de culture, à partir du cercle strict de la culture savante, pour embrasser les pratiques culturelles des lycéens. En seconde, cet élargissement se réalise à partir d’une réflexion individuelle sur ses propres pratiques puis d’une mise en commun qui aboutit à une définition. « Les réponses sont intéressantes. Les questions les amènent à s’interroger pour leur donner l’appétit d’apprendre, l’envie d’en savoir plus. »

Dessine-moi la société

En première, elle demande à ses élèves de dessiner la société, une autre façon de faire représenter les idées personnelles. Elle souligne qu’ils ont déjà un savoir en SES, par les discours entendus à la télévision ou ceux de leurs parents, par leur propre expérience aussi. Mais le savoir ainsi acquis n’est pas toujours exact, l’expérience peut biaiser le savoir. « C’est important de faire émerger les représentations pour s’en libérer et les rendre plus justes et plus en lien avec les concepts. »

Dessin d’une élève de 1ère répondant à la consigne

Dessin d’une élève de 1ère répondant à la consigne


Julie Fondriest parle avec enthousiasme de son métier, un métier tout neuf qu’elle exerce pour la troisième année. Elle vérifie chaque jour que ce qui l’attirait est réel : « Il permet de continuer à apprendre avec les élèves et par une mise à jour constante de nos connaissances. On grandit scolairement en même temps que les élèves dans notre enseignement, avec la nécessité de s’adapter sans cesse. »

Monique Royer