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Après la lecture, le calcul. L’enseignement de la division en question.

L’opération « division » semble cristalliser les critiques[[En particulier, celles du GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes)]] : les élèves ne la maîtriseraient pas à l’entrée en 6ème, on passerait en classe un temps infini à en assurer l’apprentissage à l’aide d’interminables suites de soustractions. Plus grave, peut-être encore, en retardant son étude en cycle trois, les pédagogies actuelles ne permettraient pas, la compréhension de cette opération.

Reprendre un à un tous ces points pour les contester est aventureux. Il y a lieu de craindre, en effet, la stérilité d’un tel débat tant la difficile élucidation des présupposés idéologiques des uns et des autres pervertit à l’avance les conditions d’un échange argumenté. Il est plus rentable d’adopter une posture non polémique.

En premier lieu, je vais tenter d’expliquer pourquoi l’apprentissage de l’opération « division » cristallise à ce point les récriminations. Il convient de chercher la réponse en interrogeant la conception habituelle que se font les « usagers de l’école » (enfants, parents) et la société en général de ce que doit être un parcours scolaire et le rapport que ces mêmes usagers entretiennent avec les objets mathématiques enseignés à l’école primaire. La division est autant un objet culturel, qu’un objet mathématique.

Dans un second temps, j’essaierai de montrer le rôle fondamental du pédagogue dans l’apprentissage de la division. La méthode ne fait pas tout. L’enseignant, par l’attention aiguë qu’il porte à l’élève, par les gestes qu’il pose, par la qualité de ses échanges avec chacun et avec la classe, par l’organisation du travail qu’il met en place facilite, rend possible (ou non) la compréhension du mécanisme et du sens de la division.

Le point de vue adopté ici, à la fois sociologique et pédagogique, ne doit pas faire oublier tout ce qu’ont apporté les recherches en didactique des mathématiques. Elles ont permis, par exemple, de bien saisir l’intérêt qu’il y a à présenter la division comme une opération quaternaire (avec le 1 implicite), de mettre en évidence les deux types de
situations de partage pouvant se modéliser à l’aide d’une division (quotition et partition). Les recherches en psychologie cognitive nous ont également beaucoup appris en distinguant ce qui relève des représentations et ce qui relève des procédures[[Voir en particulier Brissiaud (R.),le livre du maître du manuel J’apprends les maths CM1, Retz 2003]]. Mais la didactique comme la psychologie ne disent pas tout, d’autres points de vue sont possibles et peuvent éclairer utilement le débat.

On pourra reprocher à ce texte de ne pas contenir de propositions précises, d’être trop général. Mais aujourd’hui, se mettre d’accord sur les fondements de l’activité mathématique en classe constitue une priorité. Nous terminerons en émettant des doutes sur une idée communément admise : hier on savait mieux faire des divisions qu’aujourd’hui.

La division, repère, dans un parcours scolaire

On peut le regretter, mais c’est ainsi, pour les enfants comme pour beaucoup de leurs parents, l’apprentissage des opérations rythme la vie scolaire : l’addition s’apprend en CP, la soustraction en CE1, la multiplication en CE2, la division en CM1. Les opérations agissent comme des balises, des points de repères dans un itinéraire scolaire. Leur maîtrise marque une avancée, un pas de franchi. Montrer qu’on sait faire une division, c’est affirmer qu’on a grandi.

D’autres apprentissages, comme l’utilisation appropriée de ces mêmes opérations ou/et l’élaboration de méthodes de calcul réfléchi dans la résolution de problème n’apparaissent que secondairement dans le discours des élèves et de leurs parents. Il faut dire que savoir faire une division est aisément contrôlable (on sait ou on ne sait pas faire une division) alors que la mise en œuvre d’un raisonnement l’est beaucoup moins et l’on sait la tendance naturelle de l’esprit humain à survaloriser ce qui se contrôle aisément. Il en va de même en Français, le savoir écrire est-il valorisé autant qu’il le devrait par rapport au savoir orthographier ?

La division est un objet culturel, dont le mécanisme subtil et complexe est difficile à acquérir. Sa maîtrise marque de manière visible que l’élève a su vaincre une épreuve et qu’il appartient désormais à un autre monde, celui des grands. Ne pas savoir faire une division, c’est en être exclu. L’exemple suivant en donne une illustration. Il y a quelques années, des PE2 stagiaires s’étaient engagés dans un travail d’aide auprès d’enfants de collège en collaboration avec leur professeur de mathématiques. Les évaluations ont rapidement fait apparaître que la numération n’était pas comprise. Les PE2 ont donc mis en œuvre tout un dispositif d’enseignement autour du système d’écriture des nombres, à la manière de que l’on fait en CP et CE1. Mais les enfants de collège n’ont pas voulu entrer dans ce travail et ont réclamé fortement d’apprendre à faire des divisions : « Nos copains savent faire une division, nous on ne sait pas, on veut apprendre ». Il nous fallut donc imaginer toute une ingénierie pédagogique pour enseigner aux élèves à faire des divisions tout en leur enseignant la numération. Ce fut une belle aventure pédagogique !

Cet épisode nous apprend qu’il faut prendre au sérieux la demande sociale, qu’elle vienne des élèves ou de leurs parents. Les enseignants ne gagnent rien à sous-estimer le besoin de repères sociaux et la division en est un. Mais cette affirmation entre en contradiction avec la logique d’apprentissage qui recommande de ne pas se précipiter à enseigner des algorithmes experts. Pour que ceux-ci soient compris, une lente construction avec des étapes intermédiaires comme l’usage des soustractions successives ou l’utilisation des multiples est indispensable ou alors, et ce serait bien triste, c’est qu’on a décidé qu’il n’y avait rien à comprendre et que la maîtrise des mécanismes constituait le fondement même de l’activité mathématique.

Pour le dire autrement, nous sommes face à deux injonctions contradictoires : les enseignants doivent aller suffisamment vite dans l’enseignement de la division pour aider chacun à se repérer dans son parcours scolaire et se construire ainsi son identité d’élève. A l’inverse, ils ne doivent pas aller trop vite pour que l’élève élabore pas à pas le sens de ce qu’il fait parce qu’on ne peut pas mémoriser et utiliser un algorithme si l’on n’en maîtrise pas, au moins partiellement, le sens.

A mon sens, une ingénierie pédagogique reste à imaginer pour dépasser ce paradoxe. Il faudrait inventer une sorte de va et vient entre :
– les procédures expertes perçues par les élèves comme des repères sociaux : « Mon grand frère, c’est comme ça qu’il fait les divisions »
– les procédures empiriques, maladroites, mais tellement bien comprises par l’élève parce qu’elles lui appartiennent : « Moi, c’est comme ça que je fais ».

L’aventure des PE2 avec les enfants de collège en difficulté nous rappelle aussi que les savoirs ne sont pas choses qu’on empile. Il est possible de continuer à avancer, même si certains savoirs fondamentaux ne semblent pas acquis. C’est peut-être le « difficile », le « compliqué » (la division) qui permettra à certains élèves de comprendre le « simple » (la numération). Cette affirmation nous ouvre des portes, elle autorise une programmation qui ne soit pas hachée par les décompositions en chapitres. Il faut s’en convaincre à chaque instant de notre enseignement : apprendre, c’est faire un pas en avant, revenir en arrière, avancer en crabe ou en spirales et non sous forme cumulative. Sans cette conviction, le découragement nous guette.

Mais la demande sociale est diverse et susceptible d’évolution

Enseignant en CM2, j’avais eu l’idée, il y a déjà plus de 20 ans déjà, de demander aux parents de ma classe de me faire parvenir leurs questions avant la réunion à laquelle je les invitais. Je reçus de nombreux écrits. Je me souviens particulièrement de deux d’entre eux.

Le premier disait, je cite de mémoire : « Pourquoi vos élèves ne savent-ils pas encore faire correctement une division ? ». Le second parent écrivait : « Mais pourquoi passez-vous tant de temps à enseigner la division ? Dans les entreprises, à la maison, plus personne ne fait de division. Quel temps perdu ! »

Essayons de comprendre la position du premier parent. Le milieu social joue un rôle important dans la représentation que se font les parents de l’importance de la division. J’ai coutume de dire que le calcul, c’est le savoir des « gens ordinaires ». Quoi de plus utile, en effet, que la maîtrise des quatre opérations (auxquels il faudrait ajouter la règle de trois) pour gérer l’économie familiale ! Un parent d’élève m’avait dit un jour : « savoir calculer c’est ce qui permet de vivre dignement ». La virtuosité dans le domaine du calcul est dans certains milieux sociaux un signe d’appartenance. Lorsque l’école dévalorise le calcul, elle s’éloigne des gens « ordinaires ».

Mais ces derniers ont des pratiques de calcul si profondément ancrées qu’elles sont figées, elles forment un patrimoine non négociable, non discutable. On fait comme cela et pas autrement. Il me semble possible et même utile de montrer aux familles, à travers les activités qu’on fait faire aux élèves que nos techniques opératoires sont arbitraires, qu’il existe de nombreux algorithmes et que celui qu’a retenu la tradition française n’est qu’un parmi de nombreux autres possibles. Les mathématiques, et c’est particulièrement vrai de celles qu’on pratique à l’école élémentaire, sont constituées d’objets culturels, ils ne viennent pas de nulle part. Notre division est bien française, par son élégance. Mais c’est justement parce qu’elle est « élégante » qu’elle est difficile. Même dans la manière de faire nos divisions, nous préférons le brillant à l’efficace. Avons-nous raison ?

Les chocs que produisent les différences sont toujours salutaires. En faisant découvrir aux enfants (et par ricochet à leurs parents) d’autres divisions, plus simples à maîtriser, nous aiguiserions leur curiosité et les aiderions à comprendre la nôtre. On rétorquera qu’il est déjà tellement difficile d’exiger des élèves une technique alors plusieurs … Mais ce que l’on perdrait en aisance, on le gagnerait en compréhension. En outre, éduquer l’esprit à regarder avec bienveillance et intelligence, les différences culturelles, y compris les plus techniques, participe de la culture humaniste qu’appelle de ses vœux la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école d’avril 2005.

Le second parent, celui qui n’admet pas pourquoi on passe tant de temps pour apprendre la division nous rappelle une évidence : la technique opératoire de la division est obsolète dans le monde d’aujourd’hui compte tenu des moyens modernes de calcul, les opérations répétitives étant désormais assurées par des ordinateurs. Au cours d’un échange informel, à la fin de la réunion, ce père d’élève m’a expliqué plus longuement sa position : ayant la responsabilité des ressources humaines dans une entreprise, il est conscient que celle-ci a, avant tout, besoin de personnalités capables de poser des problèmes, de les affronter et de les résoudre en jouant adroitement sur les éléments pertinents qu’il faut préalablement repérer. Cette notion d’éléments pertinents est à rapprocher de ce qu’écrit Marc Legrand à propos de la vie ordinaire et de l’activité mathématique.

Dans un ouvrage récent[[LEGRAND (M.) « A la recherche d’une cohérence pour une véritable activité mathématique en classe » dans Faire des maths en classe, ouvrage coordonné par J. Colomb, J. Douaire, R. Noirfalise, INRP, ADIREM,2003, page 23]], il rappelle que dans les situations de la vie courante que nous ne comprenons pas d’emblée « notre tendance naturelle et notre horreur de l’incertitude, nous poussent à nous précipiter sur la première formule magique censée donnée la solution ». Nos élèves agissent souvent de même face à un problème, ils se contentent d’indices de surface et se précipitent sur une technique opératoire, celle qui vient d’être étudiée, montrant ainsi au passage qu’ils ne rêvent pas, mais travaillent. On est loin du comportement attendu par le responsable dont il était question plus haut.

Marc Legrand développe l’idée, en prenant appui sur d’autres exemples que la division, que les mathématiques contraignent à une mise à distance, et que « l’un des savoirs essentiels qu’elles nous apportent en terme de changement de regard sur le monde, c’est précisément la notion de variable ou de paramètre (caché ou non, mais plus ou moins pertinent) … Nous avons constamment intérêt à nos poser les questions suivantes : ici, quelles sont les variables pertinentes ? Qu’est-ce qui a réellement de l’importance ? Qu’est-ce qui peut tout faire changer suivant que … ? Les mathématiques nous apprennent à nous comporter plus intelligemment (en sachant repérer les paramètres pertinents) dans les situations complexes et cette intelligence vaut aussi pour les situations de la vie courante comme celles de la vie professionnelle.

Il me semble, qu’une ingénierie, plus didactique celle-ci, est à inventer pour enseigner la division en tenant compte de qu’écrit Marc Legrand. Elle aurait comme principe fondateur d’apprendre aux élèves à distinguer les variables qui sont en jeu dans une division, à agir sur celles qui sont pertinentes, à anticiper les effets de cette action, par exemple : Que se passe-t-il si on augmente le diviseur et le dividende par un même nombre ? Si l’on multiplie le dividende par un nombre mais pas le diviseur ? Et l’inverse ? Quelles sont les divisions qui ont même quotient ? Comment le savoir ? En prenant, bien sûr, appui sur des exemples concrets, pouvant être appréhendés par les enfants. Tout ce travail aurait pour objet d’amener, petit à petit, l’élève à comprendre la relation fondamentale de la division : combien de fois un nombre est-il contenu dans un autre nombre ?

Autrement dit, dans une telle ingénierie, la division ne serait plus apprise exclusivement pour elle-même mais pour ce qu’elle permet de développer en termes d’appropriation des règles du jeu mathématiques. Ce travail est utile dans la perspective d’aider chacun à affronter les problèmes que lui réserve la vie.

De l’importance du pédagogue

Une analyse sommaire, mais sans doute largement partagée par la communauté enseignante, laisse supposer que dans la conception et l’animation des situations d’enseignement de la division nous ne disposerions que de l’alternative suivante :

  1. Montrer la technique au tableau et demander aux élèves de la reproduire. Bien sûr, l’enseignant peut ajouter des explications, commenter son action ou encore poser des questions pour s’assurer de la compréhension. Mais cette stratégie pédagogique est essentiellement basée sur la capacité de l’élève à imiter le maître. Parce qu’elle fait de l’enseignant l’acteur principal, elle permet d’aborder très vite la procédure experte. Toutefois, elle laisse sur le bord du chemin les élèves qui ne sont pas en mesure d’enregistrer, au rythme impulsé par le maître, tous les paramètres à prendre en compte dans une division. Ils ne se reconnaissent pas dans le processus collectif, et rapidement ce qui se passe au tableau ne les concerne plus.
  2. Poser un problème aux élèves et leur demander de le résoudre en utilisant des procédures personnelles. L’avantage est que les élèves ne « décrochent » plus puisque leur action est guidée par la représentation qu’ils se font de la situation. Mais l’enseignant dans ce cas est confronté à une double difficulté : d’une part, il doit gérer la diversité (schémas, additions ou soustractions successives …) et d’autre part faire évoluer toutes les manières de faire vers la procédure experte qui, seule, à une valeur sociale. Cette démarche, plus constructiviste, est largement utilisée aujourd’hui mais est mal comprise par l’environnement car la technique usuelle n’apparaît qu’au terme d’un long processus comme cela a déjà été dit plus haut.

On pourrait dire, pour synthétiser de manière un peu grossière, que dans le premier dispositif, l’enseignant « dit ce qu’il faut faire » et que dans le second, il « laisse faire ». La question pédagogique se ramène donc à la suivante : quel jeu est à inventer entre « dire ce qui est à faire » et « laisser faire » ?

Pour surmonter cette tension, il nous faut approfondir le concept de coopération, pas celle qui concerne les élèves entre eux, mais celle qui s’installe entre le maître et l’élève (ou les élèves). Je voudrais ici en donner un exemple.

Supposons qu’un élève explique que, pour trouver le nombre de tables de 12 places nécessaires pour asseoir 217 personnes, il procède ainsi :

« Je place d’abord une table de 12, il me reste 217-12 = 205 personnes. Je place encore une table, il reste 205-12 = 193 personnes … » et ainsi de suite (on reconnaît ici la technique des soustractions successives, longue mais fiable). Que peut faire l’enseignant qui souhaite faire évoluer l’élève vers un technique plus économique et donc plus proche de la technique experte ? Je propose d’identifier six gestes de ce que je nomme la coopération pédagogique maître/élève :

1er geste : Entrer en communication, s’intéresser à : « Vas-y écris ce que tu fais, continue ». Il s’agit de confirmer l’élève dans son action. Ce geste pédagogique n’est pas aussi spontané qu’on pourrait le penser, il est sans doute même contre intuitif en raison de notre tendance à toujours vouloir rectifier. Or, pour rester en contact avec l’élève, il est préférable de confirmer son action avant de l’invalider. Elle a nécessairement du sens pour lui, même s’il se révèle incapable d’en rendre compte.

2nd geste : Passer de l’action à une parole descriptive de cette action : L’enseignant demande à l’élève de décrire son action de dire exactement ce qu’il fait. « Tu peux nous dire ce que tu fais ». L’élève répond : « Je fais moins 12 personnes puis moins 12 personnes et encore moins 12… ». Ceci paraît banal, ça ne l’est pas, car le passage de l’action au langage, produit beaucoup plus qu’un commentaire, il aide l’élève à transformer une action empirique enchâssée dans une situation (des tables de 12, des personnes à placer) en un acte volontaire porteur d’une intention. De plus, l’élève doit décrire, il ne lui est pas demandé de justifier. En effet les questions de type : « pourquoi » étouffent le dialogue plus qu’elles ne l’enclenchent.

3ème geste : Simplifier l’écriture de l’élève pour que n’apparaissent que les écritures mathématiques. On invite celui-ci à ne plus se référer aux grandeurs (ici les personnes) mais seulement aux nombres et aux opérations sur les nombres : « Peux-tu seulement écrire – 12 et non moins 12 personnes ? » Il s’agit d’aider l’élève à s’extraire d’une situation fortement contextualisée pour accéder à un niveau de généralisation et donner ainsi accès à un premier niveau de compréhension. L’opération concrète n’est plus à présent sur le devant de la scène, elle laisse la place à une opération intellectuelle agissant sur des nombres. Ces derniers sont, rappelons-le, des objets abstraits organisés en système.

4ème geste : Donner des mots pour changer de niveau d’abstraction « Tu as fait 1 fois moins 12, 2 fois moins 12, 3 fois moins 12 … » le maître utilise le concept « fois » pour décrire ce que fait l’élève il n’est pas dans la même posture intellectuelle que lui. Il lui offre un mot pour généraliser son action. Il entre, sans effraction, dans le processus initié par l’enfant et l’invite à entrer dans un niveau supérieur de signification.

5ème geste : Faire émerger l’intention sous-jacente à l’action : « quand tu fais -12, -12, -12 … qu’est-ce que tu cherches ? » On attend de l’élève qu’il s’approprie le mot « fois » donné par l’enseignant, qu’il le reprenne à son compte : « Je cherche le nombre de fois où il y a 12 dans 217 ». Pour institutionnaliser le nouveau savoir, le maître écrit la phrase de l’enfant telle qu’il l’a prononcée : « Recherche du nombre de fois 12 dans 217 ».
À ce stade, le maître et surtout l’élève ont dépassé l’action pour entrer dans l’opération division. Diviser, c’est bien en effet chercher le nombre de fois où un nombre est contenu dans un autre nombre. On le comprend, quand un élève apprend, il n’est pas nécessairement capable d’énoncer, d’emblée, le but de son action. Son intention émerge au cours du processus grâce au mot donné par l’adulte. Le mot nouveau éclaire, transforme, donne à voir :

— Ah oui, c’est cela je cherche combien de fois »

— Et si tu cherches combien de fois quelle opération serait mieux à même de te donner la réponse ?

— La multiplication.

C’est le sens de ce qu’écrit Vygostsky dans Pensée et langage[[VYGOTSKY (L) Pensée et Langage, traduction de SEVE (F), Paris, La Dispute, 1985 (p.71) ]] : « Le mot, qui exprime le bilan de l’action est indissolublement entrelacé à cette action justement parce qu’il reproduit et reflète les éléments de structure les plus importants de l’opération intellectuelle pratique parce qu’il commence lui-même à éclairer et diriger l’action de l’enfant, la soumettant à une intention à un plan le haussant au niveau de l’activité adéquate ».
Dans une telle démarche, il y a coopération, co-construction, entre le « laisser faire » : « vas-y continue » et « dire ce qu’il faut faire» : « tu cherches le nombre de fois »

6ème geste : Généraliser. Cette prise de conscience ne suffit pas. Il faut la transférer à d’autres situations, il faut en éprouver son intérêt, sa généralité. Il appartient à l’enseignant de montrer qu’à chaque fois que la recherche de la solution à un problème peut être représentée par une suite de soustractions successives, il est équivalent, tout aussi fiable, mais beaucoup plus économique de procéder à la recherche du nombre de fois. Et, l’on pourra tolérer sur le cahier les deux écritures : Pour comprendre : « Je fais -12, -12 jusqu’à 217 mais pour faire je cherche combien de fois il y 12 dans 217».

Bien sûr, l’apprentissage de la division est loin d’être terminé puisque maintenant, la question se pose de savoir comment on cherche le nombre de fois. Mais un grand pas a été franchi car l’un des obstacles à la maîtrise de la technique experte est la difficile compréhension de la fameuse phrase caractéristique de la division : Dans 217 combien de fois 12 ?

Hier mieux qu’aujourd’hui ?

L’APMEP éditait, au cours des années 70[[La division à l’école élémentaire, publication de l’APMEP N° 19. Le document ne mentionne pas de date de parution.]], un petit livret sur l’apprentissage de la division. Les auteurs y évoquaient déjà le manque de maîtrise de cette opération par les élèves du primaire et du collège. Mais plus intéressant encore, ils mettaient en exergue ce texte de Simone Signoret extrait de son livre : « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ».

« Ca devenait tellement rigolo qu’un jour on s’est assis avec un papier et un crayon, on a essayé de se rappeler comment on fait une division -ça nous a pris du temps-, on s’est un peu disputés sur la façon de dessiner la potence sans laquelle on ne peut « épeler » une division. Je veux dire : « …en 9 combien de fois quatre ; deux fois, je pose deux et il reste un … ». Après quelques heures imprégnées d’un arôme de craie et d’encre mordorée, on s’est retrouvés sur la belle table de notre beau salon de notre belle demeure d’Autheuil avec un résultat qui, compte tenu de tous les « j’abaisse quatre, je retiens trois, etc. … » s’élevait à la somme de 2650 francs par cachet, comme on dit dans les agences de spectacle. »

Simone Signoret a écrit son livre en 1976 et avoue sans détour ne pas savoir faire de division. Les artistes n’ont peut-être pas grand goût pour l’arithmétique. Il n’empêche que pour partager leurs gains, quelques connaissances en calcul peuvent s’avérer fort utile et manifestement, ils en manquent. Hier calculait-on mieux qu’aujourd’hui ? A la lecture du texte de Simone Signoret, on peut en douter. Les nostalgiques devront trouver d’autres arguments.

Gérard Morin, formateur de professeurs des écoles au Centre de formation Pédagogique d’Avrillé.