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Apprendre les maths, une belle aventure

« Donner le goût des maths n’est pas le but principal, je veux juste qu’ils viennent avec plaisir en cours. Qu’ils sentent qu’ils ont leur place même s’ils se sentent nuls, la même place que le voisin qu’ils jugent bon », explique-t-elle. Pourtant, sa passion pour sa discipline elle souhaite la partager. Elle l’a choisie après avoir hésité lui préférant un temps l’allemand ou le français. « Je trouve les maths belles, difficiles. On y écrit, on invente, mais parfois elles résistent ». Cela n’allait pas de soi, ce n’était pas la matière dans laquelle elle se sentait la plus à l’aise et pour obtenir le CAPES elle a dû bûcher sans relâche. C’est justement cette difficulté qui l’a attirée, correspondant à son envie d’enseigner, de transmettre. « J’avais envie de faire ce métier pour aider les élèves qui n’y arrivaient pas ». Ce qu’elle vise vraiment « c’est de voir les yeux briller car après, ça finit par cogiter derrière », et de susciter un intérêt pour une matière qui permet de comprendre le monde et de développer une certaine sensibilité. Dans sa classe, il n’y a pas de notes, hormis pour les 3e en lien avec les obligations du DNB. On y trouve des ateliers, des tables disposées en carré pour faciliter l’entraide et des activités variées pour outiller la différenciation. Son approche pédagogique se construit depuis 20 ans, nourrie par des expériences de TZR (titulaire sur zone de remplacement) et d’enseignement en zone d’éducation prioritaire, de formatrice en Greta, en IUT et en ESPÉ, des échanges, des rencontres au sein de l’IREM ou de l’Apmep.

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Enseignante pendant dix ans en lycée Eclair, elle avait contribué à monter une section européenne maths-allemand et trouvé là la concrétisation de ce qu’elle espère de l’exercice de son métier : « aider les gamins à aller plus loin que là où ils pensaient aller, en y parvenant par eux-mêmes ». La note, qui s’attarde sur ce qui n’est pas compris plus que sur les progrès, est pour elle un obstacle pour se débarrasser des a priori sur sa matière. Alors, s’inspirant des jeux de rôles qu’elle affectionne, elle a mis en place dans ses classes de collège une feuille de compétences reprenant les thèmes du programme. Chaque élève choisit un personnage en début d’année qui grandira à mesure des points d’expérience collectés et des changements de niveau qu’ils permettent. En fonction des activités, la quête de points est individuelle ou collective. Même les exercices sont contextualisés avec des énoncés s’inspirant des jeux de rôles. Chaque chapitre étudié commence par des manipulations. L’approche concrète permet d’avancer dans la compréhension du problème. Les aspects théoriques sont ensuite présentés sous forme de vidéo, la plupart du temps puisée dans les ressources créées et mises à disposition par d’autres enseignants. Claire Lommé fournit aux élèves la trace écrite des notions à retenir. Les exercices d’application sont différenciés selon le niveau d’acquisition, les évaluations également. Chacun avance à son rythme, va où il peut aller et progresse.

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« Mettre les élèves tout le temps en activité » réclame une organisation et une gestion de la classe particulières. Le long des murs, des étagères contiennent les fiches d’activités, du matériel pour les manipulations. De chaque côté de la salle un tableau est installé. Les tables sont regroupées par quatre en ilots, favorisant à la fois les travaux collectifs et l’entraide qui est valorisée par des points d’expérience. L’enseignante peut passer ainsi plus de temps avec les élèves en butte à un problème « Je n’ai même plus de chaise, j’aime que ça bouge, que ça remue, on est là ensemble pour progresser.  » L’enseignante attache beaucoup d’importance à son rôle d’adulte de référence et à l’exemplarité qu’il suppose. « Mon objectif est de leur donner envie de grandir, leur montrer que cela vaut le coup de savoir, de réfléchir, de raisonner. » Elle pioche aussi du côté de Freinet pour stimuler leur créativité en leur proposant de concevoir des réalisations concrètes. Nulle obligation dans l’exercice mais les élèves se prennent au jeu, en créant des bandes dessinées, des vidéos, des textes et même une poterie. Leur personnage de la feuille de compétences grandit par ces initiatives. Des exercices sous forme d’énigmes sont accessibles pour compléter les temps d’apprentissage en classe. Ils remportent un fort succès. L’apprentissage des mathématiques est conçu comme une aventure où les chemins sont multiples, construits par chacun. « C’est comme dans un Lego, les ressources sont des briques qui viennent de partout ». Il lui a fallu au préalable envisager pour chaque thème les différentes approches possibles et les activités correspondant. Le temps passé pour la correction des différents travaux est conséquent. Mais le plaisir d’enseigner se renouvelle de l’écho du plaisir d’apprendre.

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Elle exerce depuis trois ans dans son collège actuel et cette troisième année est celle de la mise en œuvre de la méthode qu’elle a muri, construit patiemment. Elle craignait un peu la réaction des parents d’élèves surtout devant l’absence de notes. Il n’en a rien été. Elle a présenté lors d’une réunion en début d’année son approche pédagogique. Son chef d’établissement et son inspecteur étaient présents à ses côtés. Les réactions ont été en grande majorité positives. Les élèves quant à eux valident la méthode par leur implication et leurs progrès. Claire Lommé partage son expérience et sa veille sur un blog. Des parents et des élèves comptent parmi les lecteurs. Des collégiens viennent parfois lui conseiller des articles ou des thèmes, sur la classe inversée par exemple. Ils apprécient particulièrement lorsqu’elle raconte des activités réalisées ou encore des épisodes de l’histoire des mathématiques. « Le blog est un formidable outil de dialogue ». Dans la classe, les temps d’échanges ont une place de choix pour inciter à développer une attitude réflexive sur les apprentissages mais aussi pour formuler des opinions de façon constructive. L’enseignante reprend les mots d’Anne Siéty, la psychopédagogue des maths qui a contribué au documentaire « comment j’ai détesté les maths » : « c’est plus facile de dire « je suis nul en maths » que d’accepter de se tromper. Le raisonnement est un processus intime qui demande de la décentration  ».

Alors, quoi de mieux que la parole, l’expérience, la manipulation, la créativité pour contourner l’obstacle fondamental : celui d’admettre que l’on ne sait pas mais que déjà, dans le fait de le concevoir, on entre dans le chemin de l’apprentissage. Les mathématiques vécues comme une aventure, le pari de Claire Lommé est un joyeux défi où l’élève pris au sérieux construit son propre chemin pour apprendre à sa mesure.

Monique Royer