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Apprendre de la vie quotidienne

Cet ouvrage est le septième de la collection « Apprendre », co-dirigée par Étienne Bourgeois et Gaëtane Chapelle. Les trois premiers (Apprendre et faire apprendre, Améliorer l’école, (Se) motiver à apprendre) ont été présentés dans cette rubrique. Il s’agit bien, dans cette livraison comme dans les précédentes, rassemblées sous le titre de collection : « Apprendre », de mettre à disposition des lecteurs des résultats de recherche sur l’apprentissage. Les dix-neuf auteurs ici réunis s’intéressent à un monde à la fois familier mais peu fréquemment exploré sous l’angle des apprentissages : celui de la vie quotidienne, avec l’ambition – nous disent les coordinateurs – non seulement de « réhabiliter le quotidien pour mieux décrypter les fonctionnements qui structurent nos actes et nos pratiques sociales » mais encore d’« offrir de nouvelles perspectives d’action pour penser la formation en prenant acte de ces apprentissages » (p. 16).

Selon Philippe Carré, auteur du chapitre 13, la validation des acquis de l’expérience « vient signer au plan juridique l’entrée dans une ère nouvelle » (p. 172), celle d’une « société cognitive », qui fait place aux apprentissages « clandestins, inattendus, marginaux, contrebandiers » (p. 172) ; une société de l’apprenance telle que la définit ailleurs ce chercheur : « un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l’acte d’apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite » (voir « L’apprenance : rapport au savoir et société cognitive »).

Les vingt et un chapitres se penchent sur ces apprentissages qui se font aussi bien sur la cour de récréation que dans les colonies de vacances, par l’usage des médias ou la pratique du syndicalisme, des loisirs ou des voyages à l’étranger, par l’exercice de l’activité professionnelle, l’expérience associative ou syndicale. Une constante revient comme un leitmotiv : la dimension informelle des savoirs du quotidien, en opposition à la dimension formelle des savoirs scolaires, ces dimensions représentant avec les savoirs non formels les trois piliers de l’apprenance tels que distingués par l’UNESCO.

On peut retenir aussi de ce panorama que, si très souvent « c’est en participant que l’on apprend » (Gilles Brougère, p. 267), la qualité des apprentissages effectués va dépendre à la fois de l’intensité de l’engagement personnel dans la participation et de l’existence de collectifs, de communautés de pratiques, dans lesquels se noueront des relations et se construiront des significations partagées.

Dans le chapitre de conclusion, Gilles Brougère insiste aussi sur l’affordance d’une situation, c’est-à-dire sa capacité à offrir des occasions de s’engager, de participer : « La répétition, la routine, la maîtrise peuvent conduire à une saturation de l’apprentissage au sens où l’affordance de la situation se trouve réduite » (p. 275). D’où l’importance de nouvelles participations, de nouveaux engagements : « une carrière d’apprentissage, c’est une succession d’engagements dans de nouvelles participations » (p. 275).

Reste à savoir de quoi cet intérêt pour le banal, le quotidien, le familier est le signe. S’agit-il de tendre à une valorisation des savoirs ordinaires dont on méconnaît trop souvent le rôle dans la construction sociale de nos évidences ? Faut-il y voir la trace de la « société cognitive » avec ce qu’elle comporte de chance de « faire de l’acte d’apprendre un vecteur d’émancipation des sujets sociaux dans les nouvelles économies du savoir » ou au contraire de risque de dériver vers « une injonction à l’autoformation contrainte, entraînant, dans une sorte de « darwinisme éducatif » aggravé, l’accroissement des écarts sociaux entre « bonne » et « mauvaise » apprenance » (Philippe Carré, voir http://www.u-paris10.fr) ?

Pour que le souci de rentabilité ne l’emporte pas sur le pouvoir d’agir des personnes la vigilance à « déceler partout où ils apparaissent, les signes d’une interprétation aliénante, défavorable aux sujets sociaux » devrait être une préoccupation éthique largement partagée.

Nicole Priou



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