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Apprendre à lire

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L’Observatoire national de la lecture réunit des experts, linguistes et psycholinguistes, et a pour but de formuler des recommandations pour améliorer l’apprentissage de la lecture. Ensemble, ceux-ci ont tenté de dégager le noyau actuel de consensus sur l’état des connaissances scientifiques concernant les débuts de l’apprentissage de la lecture. Le résultat en est ce livre de poche, qui s’adresse aussi bien aux praticiens qui exercent à ce moment crucial de la scolarité qu’est le cycle 2 qu’aux formateurs.

Ce projet correspondait à un besoin. Dans ce domaine où la controverse ne s’appuie pas toujours sur des arguments rationnels, les résultats des recherches récentes n’étaient pas toujours facilement accessibles : dispersés dans des revues ou des chapitres d’ouvrages – souvent en anglais ou très techniques – ils restaient réservés aux chercheurs.

Apprendre à lire tient-il ses promesses ? Oui car il met à la disposition du public, de manière claire et synthétique, beaucoup de recherches récentes. C’est un état des connaissances actuelles, donc provisoires, ont la prudence de dire les auteurs.

Parcourons les chapitres. Le premier est consacré à l’entrée dans la langue écrite (sensibiliser à la culture et à la langue écrites, identifier les enjeux de la communication linguistique, découvrir l’objet langue et son organisation). Un long chapitre porte ensuite sur l’identification des mots écrits. Il montre en particulier l’importance de la découverte du principe alphabétique, puis de l’acquisition des correspondances entre phonèmes et graphèmes ; l’accès lexical, ou reconnaissance orthographique vient après, par automatisation. Les auteurs s’intéressent ensuite aux compétences morphosyntaxiques et plus largement, textuelles, puis à l’accompagnement de l’apprentissage (le travail avec les familles, l’aide entre pairs et le tutorat, les aides informatiques). Enfin, à propos des difficultés d’apprentissage de la lecture, ils montrent comment la réussite en lecture est liée à une bonne identification des mots et à une bonne compréhension orale ; la dyslexie, si discutée, est l’objet d’un développement long et mesuré : cette difficulté spécifique résulte d’une vraie anomalie, mais n’affecte qu’une minorité des enfants en difficulté de lecture.

Le livre est donc substantiel autant que clair. Quelques regrets toutefois. Il a l’ambition de tirer, des recherches qu’il résume, des recommandations directement utilisables par les enseignants. Or l’équilibre entre les recherches et les pistes d’action n’est pas tenu avec le même bonheur dans tous les chapitres, au point que parfois, la présentation de pratiques scolaires intéressantes et considérées comme efficaces prend le pas sur l’exposé de recherches identifiées.

Sans doute aussi les auteurs ont-ils une conception trop linéaire des apprentissages : le parti pris théorique de privilégier les causalités simples amène à concevoir un enchaînement des apprentissages plutôt que leur interaction. Par exemple, peut-on vraiment penser que la question de l’acculturation à l’écrit est seulement l’affaire de la maternelle ? Certes, c’est un des rôles de la maternelle que de faire entrer l’enfant dans le monde de l’écrit, d’introduire aux différentes fonctions de celui-ci, de lui donner du sens dans des projets de communication. Mais je suis persuadé que c’est au cours préparatoire que les enfants ont le plus besoin de ce travail sur les pouvoirs et les fonctions de la langue écrite, en même temps qu’on les aide à mettre en place les mécanismes d’identification et les savoirs grammaticaux et textuels nécessaires à la compréhension des textes.

Mettons enfin en garde contre une mauvaise interprétation de ce livre. Dans la polémique concernant les rôles respectifs du déchiffrement et de l’anticipation du sens, l’ONL tranche, à la lumière de très nombreuses recherches récentes [[On peut d’ailleurs penser que le  » large consensus  » des chercheurs sur lequel il s’appuie reste ici malgré tout empreint des orientations personnelles des rédacteurs : y a-t-il vraiment un tel accord dans la communauté scientifique pour affirmer que la prise en compte du contexte n’a aucun rôle dans l’apprentissage de la lecture ?]] : le passage par le code est une étape indispensable. Il n’en insiste pas moins sur le sens. En aucune façon il ne préconise des pratiques mécaniques. Le but de la lecture, c’est toujours, et dès le début de l’apprentissage, l’accès à la compréhension d’un texte. Naguère, une certaine interprétation de la formule « lire, c’est comprendre » avait pu engager certains vers des pratiques laissant de côté le travail structuré sur le code. Il serait fâcheux qu’aujourd’hui, par un retour du balancier pédagogique, l’accent mis sur le décodage fasse oublier qu’il n’y a d’apprentissage réussi que si, comme l’écrivait Gérard Chauveau il y a déjà quelques années, l’apprenti lecteur est à la fois « chercheur de code » et « chercheur de sens ».

Conseillons en tout cas l’achat de ce livre, à faire acheter aussi par les bibliothèques d’IUFM : si l’exposé des recherches sur l’apprentissage ne peut suffire à faire une bonne formation, la connaissance de celles-ci est néanmoins indispensable.

Jacques Crinon


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