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Anciennes rengaines ou vraies remises en cause ?

Pendant que le Conseil de l’innovation réfléchit, l’actualité éducative des deux derniers mois remet au goût du jour d’anciennes rengaines. « Jack Lang relance l’internat scolaire public » lit-on dans Le Monde de l’Éducation de février ; « Le principe du collège unique remis en cause » titre en première page Ouest France du 21 février ; « Contre les violences, Jack Lang veut reconstruire l’autorité à l’école » titre un article du Monde (6 mars 2001)…Dans le même temps, on rencontre à plusieurs reprises l’image de la « panne » qui semble paralyser le système : « L’Éducation nationale en panne de réponses nouvelles face à la violence » ; « Le collège en panne de démocratisation »… La crise de l’école se cristallise sur le collège « maillon faible » du système et est amplifiée par les phénomènes de violence dont l’espace scolaire n’est plus préservé.

Les pistes de réflexion ouvertes par le ministère, résolument tournées vers le passé, méritent analyse…

Remise en cause du collège unique ?

Il y a, sur les termes du problème, une confusion qu’il faut lever. Il ne s’agit pas pour nous de rester arc-boutés sur des principes intangibles alors même qu’ils auraient fait la preuve de leur nocivité. Nous sommes bien d’accord sur la gravité de la situation du collège à l’heure actuelle ; nous sommes bien conscients des souffrances et des difficultés rencontrées par un nombre important d’élèves qui n’y trouvent pas leur place, et grandissent dans une dévalorisation permanente de ce qu’ils sont.

Mais faut-il en rendre responsable le principe de l’école pour tous – ce qui reviendrait à entériner le caractère inéluctable des déterminismes sociaux ? Ou bien plutôt mettre en cause le caractère mythique de ce collège qui n’a d’« unique » que le nom ? François Dubet le montre bien : on ne trouve de classes hétérogènes que dans un quart des collèges. Les trois quarts restants créent des classes de niveau par le jeu des options et des choix de langues… Il s’agit parfois, dans un contexte de concurrence scolaire, de préserver la mixité sociale du recrutement en proposant ainsi de « bonnes classes » aux parents inquiets, tentés par une dérogation, allant même parfois jusqu’à choisir leur lieu de résidence en fonction de la réputation de l’établissement de rattachement. Disparités entre quartiers, entre régions ; disparités à l’intérieur même du collège…

Peut-on remettre en question ce qui n’existe pas ?
Interrogeons plutôt l’organisation pédagogique du collège, la façon dont les contenus d’enseignement sont transmis. Si le collège continue majoritairement – bien que de nombreux enseignants résistent au fatalisme – à fixer ses contenus d’enseignement et ses méthodes en prenant comme point de référence la préparation au baccalauréat général pour les « bonnes classes », et une exigence minimum pour les autres, l’exclusion et la violence qu’elle engendre perdureront ; si les options technologiques continuent à figurer en bas du bulletin scolaire, coincées entre les arts plastiques et la musique, l’appel à l’égale dignité des filières de formation lancé par Jean-Luc Mélenchon restera lettre morte. Un autre collège est possible avec comme horizon de référence la construction d’une culture commune pour tous, au moins jusqu’à seize ans et dans laquelle la culture technique aurait toute sa place.

Développer les internats ?

Lang avait déjà lancé l’idée en 1992. Neuf ans plus tard il y revient, conseillé par Alain Seksig, ancien instituteur, convaincu du rôle structurant – à la fois sur le plan social et éducatif – de l’internat. Sans doute cette forme de scolarisation a-t-elle été une solution pour de nombreuses familles à l’époque où l’enseignement secondaire, moins développé qu’aujourd’hui, obligeait les élèves à de longs déplacements. Quel sens cela prend-il aujourd’hui ? L’offre existe et répond globalement aux demandes… Faut-il aller au-delà ?

Serait-ce un facteur de démocratisation possible ? Quel type d’internat proposer alors ? La mixité sociale risque en effet d’y être très faible. Par ailleurs, Robert Ballion montre dans une étude conduite en 1999 que les taux de toxicomanie, de tabagisme et de consommation d’alcool sont systématiquement supérieurs dans les internats tels qu’ils existent. Sans réflexion sur la nature de l’institution, le degré d’autonomie et de responsabilité des internes, la possibilité pour eux d’en faire un lieu de vie acceptable, le pari semble difficile à tenir…

« Reconstruire l’autorité à l’école ? »

Du 5 au 7 mars, au palais de l’Unesco à Paris, s’est tenue une conférence internationale sur le thème « Violences à l’école et politiques publiques ». Jack Lang en ouverture du colloque a, là encore, convoqué le passé. Décidément apprécié par les politiciens – comme en témoigne la campagne lancée contre le ministre vert allemand, coupable de vie communautaire imprudente ; et celle lancée contre Daniel Cohn-Bendit, coupable de propos tout aussi imprudents – le spectre de 68 est apparu avec son cortège de coupables excès. Il s’agissait en l’occurrence de la perte de la « belle notion d’autorité » pouvant expliquer l’irruption de la violence dans nos cours de récréation ! Les interdictions d’interdire auraient encore une fois frappé ! Comme si la crise économique, les profondes mutations sociologiques, politiques, qui ont marqué ces trente dernières années n’étaient pas pour grand-chose dans la perte des repères éthiques, au regard de la force poétique des slogans de 68 ! Certes, il ne faut pas sous-estimer la puissance de la poésie, mais tout de même. Je ne parle pas ici en soixante-huitarde nostalgique – je n’ai pas la nostalgie de cette époque : je veux simplement rappeler que 68 n’est pas né de rien, et que si excès il y a eu, c’est en réaction aux excès d’autorité, de censure, de violence et de cynisme (Papon était alors préfet de police si je ne me trompe…) qui ont marqué cette époque. L’autorité formalisée dans des rites d’allégeance a certes été affaiblie ; mais l’autorité fondée sur le respect mutuel, la médiation de règlements intérieurs discutés, l’émergence des droits de représentation des élèves et des parents a été au contraire encouragée, travaillée, même si trop souvent ces efforts ont rencontré des résistances dans l’institution. Cet héritage-là de 68 mérite aussi d’être rappelé. Et c’est peut-être pour n’avoir pas été suffisamment prise en compte que la violence scolaire a pu s’exacerber… Je terminerai en citant un passage d’un article de Gérard Auguet paru dans le numéro des Cahiers pédagogiques intitulé « Face à la violence » de juin 1999 (n° 375) : « Mettre les élèves dans des situations impossibles, ne fonctionner que sur des évaluations normatives, sur des appréciations dévalorisantes, c’est, à coup sûr, faire le lit de la violence, celle qui explose ou celle qui se retourne contre celui qui lentement voit son image se défaire.»

Marie-Christine Chycki