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Activités d’écriture

Comment avez-vous pu impliquer l’équipe des enseignants dans la démarche que vous développez ?

Je peux comparer la façon dont se sont passées les choses dans deux écoles maternelles différentes. Dans les deux cas, certaines collègues se sont montrées plus rapidement réceptives. Par exemple, à mon arrivée dans l’école maternelle précédente, j’ai remplacé dès la pré-rentrée les coins-jeux de ma classe de moyens-grands par un espace-livres, avec des bacs à albums, des présentoirs, et des estrades pour installer les enfants de façon à la fois agréable et fonctionnelle. Cette réorganisation de l’espace de la classe a conduit les collègues à des échanges fructueux. Par la suite, elles ont remarqué l’intérêt que les enfants portaient aux livres et comment ils y construisaient des compétences. Arrivant en 2003 dans l’école de ZEP où je suis actuellement, ma première classe a été une petite section. Là encore, j’ai donné une place importante aux livres dans l’espace de la classe, en réduisant d’autant les coins-jeux. Ma collègue de MS a vu les enfants s’intéresser de plus en plus aux livres au fil des mois, ce qui l’a amenée à leur donner aussi une place plus importante dans sa propre classe. L’année suivante, elle avait la classe de GS, et voyant l’intérêt des enfants de ma classe pour l’écriture (c’était une MS), elle a elle-même proposé des situations d’écriture de plus en plus fréquentes. Elle a aussi remarqué que des enfants qui ne faisaient aucun effort dans les exercices traditionnels de graphisme s’impliquaient dans ces nouvelles situations d’écriture au point de choisir cette activité pendant le moment d’accueil. Comme elle a maintenant une MS-GS parallèle à la mienne, beaucoup d’enfants ont pris l’habitude d’aller montrer à l’”autre maîtresse” ce qu’ils ont été capables d’écrire. Ces échanges, qui sont pour les enfants une véritable stimulation, sont aussi l’occasion de faire des points réguliers entre collègues.

À partir de quand avez-vous pris la décision de faire des activités d’écriture tous les jours ? Leur donnez-vous une place particulière dans l’emploi du temps ?

Formée à l’Ecole Normale de l’Orne par Bernard Devanne, j’ai expérimenté aux cycles 2 et 3 l’importance d’apporter aux enfants une culture quotidienne de la langue écrite et de la littérature, et j’ai pu voir à quel point les activités d’écriture impliquaient les enfants et structuraient leurs apprentissages. Arrivant à l’école maternelle, j’ai essayé de mettre en place la même façon de travailler. Il n’est pas difficile de réunir beaucoup de comptines et d’albums à structures répétitives qui suggèrent des situations d’écriture assez variées accessibles à de jeunes enfants. La difficulté est plutôt d’organiser les aides (par exemple, repérage des imagiers parmi les différents types de livres, affichages, fiches individuelles) et de les faire évoluer en fonction des besoins tout au long de l’année. Dans ma classe, les activités d’écriture ont toujours lieu en début de matinée, après le moment d’accueil et les lectures d’albums, de comptines et poèmes, de contes ou de documentaires : elles s’adressent donc à la fois aux moyens et aux grands. En début d’après-midi, la présence des seuls grands permet de travailler de façon plus individualisée sur des problèmes particuliers, en lien en ce moment avec le projet d’écriture de plusieurs albums à compter. C’est à ce moment aussi que les productions d’écrits s’inscrivent dans d’autres domaines d’apprentissages : découverte du monde avec des lectures et des recherches dans des documentaires animaliers, ou consolidation de suites numériques dans des listes qui ont du sens.

Que pensez-vous des activités de graphisme ? Les utilisez-vous pour servir votre projet et, si oui, comment ?

Les activités dites de graphisme, sur fiches ou sur photocopies, m’ont toujours laissée perplexe : je dois dire que je n’ai jamais vu l’intérêt de faire le détour par la spirale sur la coquille de l’escargot, quand ce ne sont pas les gouttes de pluie sur le parapluie ! Pour avoir souvent reçu des enfants qui avaient beaucoup fait dans les classes précédentes de tels exercices, je peux affirmer que cela ne prépare en rien à l’écriture. Pour ma part, j’ai proposé dès la PS des situations ayant pour objectif la maîtrise de gestes calligraphiques, en faisant travailler le mouvement en grandes puis en plus petites dimensions avec des outils variés (craies, pastels, pinceaux, peignes, etc.). Comme pour la lecture et l’écriture, il est important d’associer ces moments à d’autres qui consistent à découvrir des tableaux contemporains à dominante calligraphique ou même à voir un documentaire montrant des peintres abstraits au travail. Ces activités relèvent donc de l’éducation esthétique tout autant que de l’approche de l’écriture. D’autre part, je suis profondément convaincue que pour apprendre à écrire, il faut beaucoup écrire ! C’est pourquoi, dès le début de la moyenne section, je propose une activité d’écriture tous les jours. Cette fréquence permet aux écrits de gagner rapidement en lisibilité.

Pouvez-vous nous décrire les premiers moments où s’amorce, de la petite à la moyenne section, le travail de l’écriture proprement dit ?

Les activités d’écriture de messages signifiants sont bien sûr encore très limitées en petite section. Les enfants apprennent en premier lieu à écrire leur propre prénom, puis ceux des frères et soeurs, ce qui répond souvent à un désir spontané des enfants, en même temps que cela traduit la conscience d’une compétence naissante. Les plus mûrs commencent à écrire des noms de personnages ou des titres d’albums, TIC-TIC, PLOUF!, LE LOUP… En ce mois de novembre de la moyenne section, les premières comptines numériques sont tracées avec difficulté en capitales : 1 ÉLÉPHANT VERT / 2 PERRUCHE ORANGE ; 1 PAPILLON ROUSE / 2 HIBOU VERT / 3 CHAUVE-SOURIS BLEU. Si on compare pourtant ces écrits avec ceux du début de l’année, on voit déjà de nets progrès : les mêmes enfants, qui n’avaient qu’à choisir et copier des noms de couleurs, produisaient des tracés presque illisibles. Il faut dire que les enfants qui arrivent cette année en MS n’ont fait l’année dernière que des exercices de graphisme sur fiches. Leurs difficultés de début d’année me semblent bien montrer l’importance de la pratique de l’écriture le plus tôt possible.

Y a-t-il des enfants de petite section qui passent l’année sans s’intéresser à ces activités ? Y en a-t-il qui font fausse route quant au sens de l’acte d’écrire lui-même ?

J’ai pu observer en petite section que les seuls enfants qui restent étrangers à cette dynamique sont ceux qui fréquentent l’école de façon très irrégulière, ou ceux qui ne sont pas francophones. Cependant, après une année d’écoute d’histoires, de comptines, les enfants, même ceux d’origine étrangère, donnent la preuve qu’ils ont engrangé beaucoup de choses : ils se souviennent des histoires, des personnages, ils commencent à parler des livres, à donner leur avis et, surtout, ils se montrent capables d’écouter longtemps les lectures (de 20 à 30 mn, en alternant comptines, albums, documentaires). Quant au sens de l’acte d’écrire, il peut, en petite section, se construire aussi sans écrire, à l’aide d’écrits photocopiés : trouver le bon titre, le coller sur la bonne photocopie de couverture, etc. Les enfants qui ne réussissent pas (qui ne prennent pas d’indices, qui collent à l’envers…) vont pourtant maîtriser en MS les procédures qui ont fait de bonne heure l’objet d’un entraînement régulier. En revanche, ceux qui n’ont jamais été confrontés à ces situations problèmes restent en attente, ne comprenant pas que l’adulte ne fera pas le travail à leur place. La PS a donc un rôle important pour amener les enfants à comprendre le sens des activités et pour les préparer à la résolution de problèmes de lecture-écriture.

Comment reliez-vous lecture et écriture ?

Dès le début de la MS, nous proposons des situations d’écriture d’une certaine complexité : par exemple cette année en octobre, utiliser deux listes, une d’animaux, l’autre de couleurs, pour imaginer de premiers écrits évidemment simples, mais déjà construits. L’ajout de la comptine numérique, au mois de novembre, conduit à des compositions de textes plus élaborées. Tout cela est rendu possible par le choix des lectures quotidiennes : ce sont, dans cet exemple, des albums ou comptines en forme de listes, des documentaires, des comptines numériques suffisamment nombreuses et diverses. Pour écrire, chaque enfant est donc amené à rechercher dans les livres pour y retrouver les écrits spécifiques dont il a besoin, et il s’appuie également sur la fiche individuelle répertoriant les couleurs élaborée en début d’année. D’un autre point de vue, il doit à tout moment relire ce qu’il a écrit, ne serait-ce que pour recontextualiser ce qu’il s’apprête à écrire. Ces relectures, qui n’ont rien de facile, sont de véritables moments d’apprentissage de la lecture.

Quelle place accordez-vous aux jeux sur les sonorités de la langue ? À partir de quelle classe ?

En petite section, l’essentiel est de parvenir à une écoute de plus en plus concentrée de la part des enfants et, pour les enfants non francophones, à un début de participation orale, longue à venir. Avec les moyens, lors des lectures du matin dans l’espace-livres, je propose des recherches orales : continuer une comptine avec rimes, répéter la situation dite du corbillon, telle qu’on la retrouve dans des albums comme Dans la galette, il y a… de Louchard et Moreno[[Louchard A. et Moreno, Dans la galette, il y a…, Thierry Magnier. Commander l’ouvrage avec Alapage]]. Puis, sans tarder, je note les différentes propositions sur des affiches pour solliciter des comparaisons graphiques et phoniques. En prenant appui sur différents albums (Paulette, petite coquette de 100drine[[100drine, Paulette, petite coquette, Albin-Michel. Commander l’ouvrage avec Alapage]], Mon chien mâtin et Mon chien terrier de Dominique Jacques[[Jacques D., Mon chien mâtin et Mon chien terrier, La Joie de Lire.]]), des activités d’écriture de textes rimés prennent progressivement le relais. Les enfants peuvent alors consulter les affiches de façon autonome pour y retrouver les rimes dont ils ont besoin.

Tous vos élèves entrent-ils dans cet apprentissage ? Quel est le type de difficultés que vous rencontrez avec certains d’entre eux ?

En considérant à part les deux enfants qui, cette année dans l’école, présentent un handicap, les élèves entrent dans cet apprentissage comme ils sont entrés précédemment dans l’apprentissage du langage, parce qu’ils y sont producteurs et qu’ils y trouvent du sens. Ceux qui arrivent en moyenne section sans avoir vécu cette approche éprouvent bien des difficultés à comprendre justement le sens des activités proposées. Dans ma classe de MS-GS, c’est cette année le lancement d’un projet d’écriture autour des albums à compter à la rentrée de Toussaint, plutôt porté par les GS, qui s’est avéré mobilisateur pour ces enfants de moyenne section. Quant aux enfants de GS qui arrivent sans jamais avoir travaillé dans ces perspectives, ils mettent de longues semaines à comprendre ce qu’on attend d’eux, le sens de l’activité et la façon de la conduire. D’où la reprise de procédures depuis longtemps assimilées par les autres : “Qu’y a-t-il sur la feuille ? que va-t-il falloir faire ? comment peut-on le faire ? où va-t-on trouver les mots dont on a besoin ? etc.” Si les enfants ont surtout pratiqué les jeux et les activités sur fiches jusqu’en moyenne section, je dois dire très franchement que le manque de références culturelles et l’absence de pratique de l’écriture entraînent un décalage tellement important qu’il ne peut être résorbé en une seule année de grande section. C’est en tout cas ce que je constate en ZEP, où tout retard pris dans l’approche de la langue écrite me semble moins rattrapable qu’ailleurs.

Propos recueillis par Valérie Delamotte auprès de Bénédicte Pelletier, Professeur des écoles à l’école maternelle Jean de la Fontaine à Alençon. Novembre 2006.


Lire dans la revue l’article de Bernard Devanne
La réussite par l’écriture en ZEP (p.28)