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Accueil des migrants : agir tout simplement

Dès le départ elle précise que ce qu’elle fait n’a rien d’exemplaire ni de spectaculaire, juste un engagement qui se construit au fil du temps, par le hasard des liens qui se tissent, des événements. Elle travaille pour ses recherches sur les routes antiques, sur l’organisation des territoires antiques, sillonnant les paysages du Nord de la Grèce et du Sud de l’Albanie pour découvrir des traces, des forteresses oubliées. Ces routes pourraient aussi être le chemin des migrants d’aujourd’hui si ceux-ci n’évitaient précautionneusement cette frontière-là. Pourquoi ? Cette première question amène une interrogation sur ce qui construit l’itinéraire, sur l’ingéniosité, les relais et la circulation de l’information que cela suppose. Comme dans son travail de prospection, elle est sensible à l’histoire des gens qui s’écrit sur ces routes. « Je suis universitaire mais je ne passe pas mon temps dans les archives ou les bibliothèques. J’adore faire du terrain, aller chercher les informations dans les cafés en Albanie pour dénicher des forteresses dans la nature et puis écouter les gens qui racontent leur vie. »

Pour explorer l’époque du Ve au IIe siècle avant Jésus-Christ, pour poursuivre sa typologie des implantations antiques, elle s’offre un détour dans l’histoire contemporaine avec les récits d’une vie aux temps d’Enver Hoxha. Elle goûte à l’hospitalité, la disponibilité des Albanais. Elle constate en parallèle lors de ses incursions en Grèce, pays où elle a habité, la lente déshérence de villages autrefois pleins de vie et l’abandon de lieux de vestiges hier entretenus. Pourtant, souligne-t-elle, « La Grèce a pris en main l’événement. On dit aux grecs que ce sont des vilains petits canards alors qu’ils font un travail de fous pour accueillir les migrants. »

Retour en France

A son retour en France, elle décide avec Vincent Mespoulet qui l’accompagnait, de faire quelque chose. Ils ne savent pas encore quoi, ni comment et ils commencent avec quatre autres personnes par fonder un collectif à Manosque. Ils vont le samedi sur le marché à la rencontre des habitants pour les informer. Petit à petit, le collectif s’agrandit, atteint la centaine de participants, fédère des énergies diverses, vétérans du militantisme comme nouveaux résidents qui trouvent là un lieu de partage. Des villages des environs expriment eux aussi leur envie d’agir. Les choses se mettent en route, doucement, simplement.

Les migrants arrivent à Manosque par hasard ou parce qu’un membre de la famille, une connaissance s’y trouve déjà. Chaque fois, il faut trouver un hébergement, accompagner à la préfecture, aider pour faire les papiers. « Un groupe de huit Syriens kurdes sont arrivés un jour de Marseille. Nous savions qu’une commune à dix kilomètres de là avait un logement vacant. Nous sommes allés voir la mairie et le groupe a obtenu le logement. » Les migrants sont fatigués de leur périple, du côté de Forcalquier leur est proposée l’hospitalité pour offrir simplement un temps de repos dans les montagnes. Ils sont perdus dans le dédale administratif. La solidarité se vit là aussi, tout comme avec les sorties théâtre, les cours de français, les moments partagés pour chasser les angoisses et tromper l’ennui de l’attente, l’attente des papiers, l’attente d’un avenir.

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« C’est une belle expérience avec de belles rencontres » ; parmi elles, celle d’un jeune couple albanais et celle de Fadi, auparavant enseignant en français langues étrangères à Damas. Il exprime sa volonté de s’installer en France, d’y travailler. Marie-Pierre Dausse lui conseille de reprendre des études, contacte son Université, Paris VIII pour qu’il puisse s’y inscrire. Elle se rend compte que malgré la tradition d’accueil d’étudiants étrangers de la fac, rien n’est organisé. Elle n’est pas à Paris lors de ce début d’année, elle prend des contacts avec ses collègues, trouve des relais pour le logement, les aspects pratiques. Comme à Manosque, la mobilisation se fait petit à petit, en liant des volontés des initiatives éparses. Comme à Manosque, des réunions sont organisées pour raconter les itinéraires des migrants, leur réalité, avec des témoignages. « Le meilleur moyen de comprendre les migrants, c’est de les fréquenter, pour être à l’écoute et comprendre les besoins, aller contre les idées reçues. » Les parcours sont divers, les professions aussi, les niveaux d’études parfois élevés. La guerre a mis sur la route des populations entières dans toute leur hétérogénéité mais quasiment toutes connectées à leur famille, leurs amis restés dans leur pays.

Une tradition de mobilisation

Une première réunion a eu lieu en février, « l’occasion de relancer quelque chose de concret. J’ai l’impression que plein de petites initiatives se font dans la fac et ne se voient pas. » L’enseignante a à cœur que son université se mobilise dans la tradition d’accueil qui a vu arriver des sud-américains ou des grecs sur les bancs de la fac par le passé. Des étudiants ont répondu présents. Alors, elle fait le lien avec la présidence pour s’assurer que tout se déroulera au mieux, avec le cadre et les moyens adaptés.

Du côté institutionnel, les choses bougent aussi avec le démarrage d’un diplôme en Français langue étrangère, porte d’accès pour un cursus universitaire, qui accueillera 60 personnes. D’autres initiatives se déroulent ici et là comme les cours donnés par les étudiants de Normale Sup rue d’Ulm, ou l’accueil organisé par Paris X. « Ici, nous en sommes au démarrage, tout se met en place. » Comme à Manosque, l’initiative se déroulera en lien avec d’autres structures : la CIMADE, la Ligue des droits de l’Homme qui mobilise des avocats et sans doute RUSF (Réseau universités sans frontières). Mais ici à Paris, la question de l’accessibilité des logements complique encore les choses, qui au fil des refus de statut de réfugiés risquent de se compliquer encore. L’heure n’est toutefois pas au découragement. « Je me suis dit qu’ici à Paris VIII, je ferais quelque chose », Marie-Pierre Dausse se souvient de la promesse d’un engagement faite au Sud de l’Albanie, tout près de la frontière grecque. Et elle poursuit par un encouragement à notre destination : « Tout le monde est capable de faire quelque chose. »

Monique Royer