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Accompagner vers un bel avenir

Elle a grandi au Burkina-Faso, pays qu’elle a quitté pour suivre son mari français rencontré là-bas. Elle était alors assistante de direction. Elle arrête de travailler le temps d’élever ses enfants. Elle suit leur scolarité, observe, s’implique, se heurte parfois à des incompréhensions, rencontre de temps à autre des personnes qui lui donnent envie à son tour de travailler dans le secteur de l’éducation. «J’avais trouvé ce que je voulais faire plus tard, éviter de produire les mêmes erreurs sur l’orientation et l’accompagnement qu’avaient vécues mon fils aîné.» Une conseillère principale d’éducation particulièrement attentive lui donne envie de se diriger vers ce métier.

Elle intègre d’abord la filière administrative de l’Éducation nationale en réussissant le concours de secrétaire, puis dix ans plus tard tente celui de conseiller principal d’éducation. Entre temps, elle a travaillé auprès d’une cheffe d’établissement qui lui a fait confiance, a partagé beaucoup et l’a encouragée à franchir le pas. «J’ai vu comment elle s’occupait de chaque élève, répétant avec conviction qu’elle était là pour eux. Quand je suis devenue CPE, j’ai compris qu’il fallait insister là-dessus, que pour toute décision, il fallait se poser la question de l’intérêt de l’élève.» Elle fait son année de stage à Paris et choisit dès sa titularisation d’exercer son nouveau métier en Seine-Saint-Denis, là où elle a le sentiment qu’il existe des profils d’élèves pour lesquels l’accompagnement se doit d’être plus intense. Elle remplace un collègue charismatique parti à la retraite après 30 ans de présence dans le collège, affirme son approche en s’affranchissant de la comparaison. Aujourd’hui, elle fait fonction de principale-adjointe, mais, nous dit-elle, est «toujours CPE d’une façon ou d’une autre car on fait beaucoup de vie scolaire, de gestion du temps et de l’espace».

Un certain recul

Elle se souvient en riant que pendant son année de formation, les autres stagiaires avaient l’âge de ses enfants. Elle se sent bien dans le groupe, apportant un certain recul sur les relations humaines, le rapport aux élèves. Les autres sont curieux de son parcours, de son arrivée tardive dans la profession. Elle s’en amuse mais elle ne voit pas dans son choix un quelconque brin d’extraordinaire, elle a juste réussi ce qu’elle souhaitait faire. Le mot accompagnement résume à lui seul ce souhait, dans son acception pleine, celle qui reconnaît l’élève dans son individualité avec son vécu, ses capacités, sa fragilité et se propose de l’aider à se construire un chemin qui lui est propre. «La relation vécue par l’enseignant en classe est différente avec en face 25 à 27 élèves. En tant que CPE, j’arrive à avoir une relation individuelle.»

Quand un problème survient en classe, elle s’attache à recevoir le collégien de façon calme, apaisée, pour l’amener à se poser, pour laisser un espace d’expression, amener vers le questionnement et la prise de conscience. «Dans 95 % des cas, les élèves reconnaissent leurs actes et souhaitent s’excuser. Cet accompagnement-là est fait pour que l’élève revienne en cours apaisé et qu’il reprenne confiance dans sa relation avec l’enseignant.» Elle n’oublie pas qu’ils sont là pour se construire un projet, alors que souvent, empêtrés dans un contexte familial et éducatif tumultueux, ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils aimeraient devenir. Elle se souvient de sa surprise lors de sa première rentrée en constatant qu’à l’entrée du collège, les bonjours étaient absents. Elle s’obstine alors à saluer chacun, les nommant petit à petit et recueillant en retour des salutations souriantes. Ce geste simple est pour elle une façon d’intégrer le respect dans les relations, de repérer aussi ceux dont le visage exprime les soucis ou le mal être.

Prévenir

Détecter et réagir pour ne pas laisser la scolarité se dégrader sous le coup des difficultés extérieures est pour elle le deuxième volet de l’accompagnement. Elle relaie auprès de l’assistante sociale ou d’autres acteurs selon les cas, prévient les enseignants sans rentrer dans les détails. «C’est un accompagnement qu’on ne voit pas, souvent dans mon bureau, dans celui de l’assistante sociale ou auprès des professeurs principaux.» Elle se préoccupe du repérage des troubles «dys» qui n’auraient pas été détectés en primaire en initiant des réunions avec les enseignants pour mettre en place un accompagnement personnalisé surtout lorsqu’à la maison, le cadre n’est pas propice pour se poser et travailler.

Dans son établissement, elle a instauré un rôle de référent pour les assistants d’éducation qui suivent chacun particulièrement un groupe, sur les attitudes, les absences. L’idée est d’anticiper des difficultés plus grandes, d’amorcer le dialogue tôt pour trouver des solutions. Elle raconte qu’il lui arrive de repérer des élèves, plus d’une vingtaine à ce jour, qui vivent en hôtel social avec les parents. Leur seul repas est souvent celui pris au collège, alors elle prévient l’intendante et l’assistante sociale pour qu’ils aient une ration copieuse. «L’accompagnement est fait pour qu’ils soient dans de bonnes conditions d’apprentissage.» Elle sait aussi que certains élèves échappent à son attention et à celle de l’équipe de vie scolaire, ceux qui ne font pas de bruit, taisent leurs difficultés. Elle fait le point régulièrement avec les professeurs principaux sur chaque élève afin de n’oublier personne.

Construire parcours et projet

Le projet d’orientation est pour elle d’importance. Construire un projet, alors que la conseillère d’orientation-psychologue n’est présente que deux demi-journées par semaine, réclame un accompagnement construit, solide. Dès l’entrée en cinquième, un questionnaire bâti autour de questions simples est distribué aux élèves. Ils écrivent ce qu’ils aiment, quels sont leurs rêves. «Ils se lâchent car il n’y a pas d’échéance d’orientation. Cela sert de base pour les échanges individuels autour de la question : et toi tu es prêt à faire quoi en classe pour réaliser ton rêve ?». Le lien entre le rêve et le travail en classe donne du sens aux apprentissages en soulignant la relation avec le métier désiré.

Dans le cadre du parcours d’avenir, le travail se poursuit en 4e, où les souhaits sont confrontés aux résultats scolaires. Un accompagnement éducatif est animé par des enseignants qui proposent des créneaux horaires mais aussi par des assistants d’éducation qui étudient dans une discipline concernée. «Des élèves ont ainsi retrouvé le goût pour des matières qu’ils ne comprenaient pas au début.» Elle accorde un soin tout particulier à ceux qui s’orientent vers la Prépa pro, avec la mise en place d’une aide pour contacter les entreprises afin de trouver un lieu de stage, des ateliers pour simuler des entretiens et des créneaux en salle informatique pour la recherche des centres d’intérêt avec les applications onisep.fr ou lesmetiers.net.

A 57 ans, Nana Maminata, a construit en dix ans un parcours singulier, du métier de secrétaire à celui de principale-adjointe. La réussite pour elle se lit dans la fréquentation de son bureau qui ne désemplit pas, dans l’engagement des équipes qu’il a fallu convaincre, dans le mot «accompagnement» qui déploie toutes ses richesses auprès des adultes mais surtout auprès d’élèves pour lesquels la porte de la réussite est au départ à peine entrouverte. Poser un cadre, dire non quand il le faut, écouter, entendre et apprendre, elle éprouve et développe sa méthode au fil du temps. Elle précise qu’elle à appris à faire de la méditation pour «se vider la tête et pouvoir revenir le lendemain avec l’énergie nécessaire». Et le matin, au seuil du collège, elle sourit en regardant ceux pour qui venir apprendre est une façon de vivre un meilleur quotidien. «Il y a des élèves pour qui la seule idée de les voir au collège me ravit, ce sera une journée qu’ils passeront dans un cadre sécurisant.»

Monique Royer