Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

« Accompagner le doux essaimage des pratiques numériques »

Lorsque Bertrand Formet a accompagné Amandine Terrier dans la création d’une twittclasse à Crotenay dans le Jura, il ne pensait pas que l’initiative allait ouvrir si grand les fenêtres de la classe mais aussi celles de son propre parcours. A l’occasion d’un voyage scolaire à Paris, Amandine crée un compte twitter pour communiquer avec les parents. Les élèves prennent plaisir à écrire, les parents sont enthousiastes.

Au retour, l’expérience continue et des projets se créent avec d’autres classes en utilisant le réseau social. Cette première incursion dans les publications numériques offre aussi l’occasion aux deux enseignants de tisser des liens avec des collègues éloignés mais avec lesquels la distance s’efface sous l’effet conjugué d’un intérêt, d’une curiosité partagés et des technologies. Des contacts se nouent avec des pionniers de l’utilisation de Twitter en classe comme Laurence Juin et David Cordina en France, au Québec et ailleurs.

Bertrand Formet ©DR

Bertrand Formet ©DR


Les twittclasses ont essaimé depuis 4 ans. Bertrand Formet, qui les recense sur le site twittclasses francophones, en dénombre aujourd’hui près de quatre cents. « Les élèves sont motivés. Ils sont dans la production, la communication, écrivent pour être lus, pour échanger avec des pairs qui vivent ailleurs ». Le réseau social lui permet aussi d’apprendre, de trouver des réponses à des questions qu’il pose auprès de ses contacts ; « un réseau de personnes qui se choisissent mutuellement et qui acceptent l’échange et la critique », précise t-il. Il y lit et observe les idées et projets qui se développent à côté de chez lui ou à l’autre bout du monde et qui nourrissent ses propres réflexions et initiatives.

Des horizons

Ce qu’il apprend, ce qu’il développe au sein de sa classe, il le partage en retour lors de formations ou d’échanges informels. Il intervient ponctuellement pour le CRDP et cette collaboration aboutit progressivement à une proposition de poste. Bertrand Formet accepte ce qui apparaît comme une évolution sans rupture d’un rôle d’accompagnement qu’il exerçait déjà à temps partiel en tant qu’animateur Tice. Au CRDP, ses activités sont multiples et cette diversité le ravit. Il intervient au sein de « l’espace éducation numérique » regroupant la librairie, la médiathèque, une salle de formation et un lieu ouvert où les enseignants peuvent utiliser du matériel mis librement à leur disposition. Des ateliers, des conférences, des projections sont organisés. Bientôt, un atelier dédié aux parents sera testé.

Bertrand Formet anime également des formations pour les premier et second degrés sur les réseaux sociaux, les outils de publication ou encore l’éducation aux médias. Il accompagne des projets, des découvertes d’outils numériques en classe, suit des expérimentations en collaboration avec l’équipe académique numérique. Il reste ainsi en contact avec les réalités du terrain, pour lui élément essentiel pour bien exercer son métier. « C’est bien de conseiller mais il faut voir ce qui se passe dans la vraie vie » souligne t-il. Il découvre de nouveaux horizons en intervenant auprès d’enseignants du second degré ou des membres de conseils de la vie lycéenne avec qui il travaille sur les problématiques de publication sur les réseaux sociaux.

Construire des projets

Les demandes d’accompagnement des enseignants partent souvent d’un prêt de matériel. La découverte dans un premier temps technique fait naître des questions pédagogiques et des projets. Le rôle de Bertrand Formet est alors d’aider à la construction de projets et de le suivre dans sa réalisation en classe. Une professeure souhaitait par exemple comprendre le fonctionnement du tableau interactif pour voir comment avec sa classe de CP elle pouvait l’utiliser pour l’apprentissage des mathématiques. Elle avait l’intuition que l’outil pourrait étayer sa méthode basée sur les manipulations mais ne savait pas l’utiliser. Avec l’aide de Bertrand, elle a conçu des séquences permettant à ses élèves de construire des exercices. Le projet est suivi avec le Pôle Académique de Soutien à l’Innovation et à l’Expérimentation. Ce suivi permet de laisser une trace, de donner à voir ce qui est réalisé pour essaimer, donner des idées à d’autres, partager l’expérience pour que naissent d’autres projets dans d’autres écoles, d’autres classes.

Pour Bertrand Formet, ce partage est essentiel. L’envie de se lancer vient souvent de l’écoute de témoignage de collègues qui dans une situation qui ressemble à la sienne ont trouvé dans les outils numériques une réponse pédagogique pour mettre en œuvre de nouvelles pratiques. Ce partage inclut les doutes, les questionnements, les erreurs commises, les solutions trouvées.

Ouvrir sa porte

« Comment un enseignant aujourd’hui peut-il dire à ses élèves qu’il est le seul détenteur du savoir ? Comment peut-il fermer la porte au monde extérieur ? » s’interroge Bertrand Formet. Le savoir est accessible facilement pour peu que l’on sache trier l’information et construire ses propres savoirs. Le rôle de l’enseignant est de plus en plus là. Il est aussi de faire appel à des compétences externes, des professionnels pour les faire intervenir sur des questions précises. « Il faut accepter que d’autres maîtrisent mieux certains sujets ».

Lorsqu’il était enseignant, il avait ainsi organisé une rencontre par visio-conférence avec Carol-Ann O’Hare de Wikimédia afin qu’elle réponde aux questions des élèves qui construisaient alors la page wikipedia de leur village. L’idée était qu’ils interrogent la personne la plus qualifiée pour leur répondre. Bertrand était là pour les aider à préparer leurs questions, veiller au bon déroulement de l’interview et exploiter par la suite les réponses obtenues. Car pour lui, le numérique n’apporte pas uniquement des outils, il amène à voir et vivre différemment le métier d’enseignant. Cette idée, il la partage de plus en plus largement, constatant l’évolution en quelques années des points de vue sur les réseaux sociaux à l’école et dans la vie de tous les jours. Les hashtags fleurissent sur le petit écran, les journaux ont investi le transmédia prolongeant les écrits sur le papier par des images, du son en ligne accessibles sur les tablettes et les ordinateurs. Alors forcément, ces hashtags intriguent de plus en plus d’enseignants qui préfèrent apprivoiser le numérique, se l’approprier, envisager et construire des usages pédagogiques.

Enseigner ou non avec le numérique ? Pour Bertrand Formet, la question ne se pose plus. Désormais, il accompagne la naissance et la diffusion de projets, observe dans les classes les chemins ouverts. Raconter, expliquer, écouter et toujours apprendre, avec son sourire communicatif, il se réjouit de voir les pratiques à l’école doucement évoluer par essaimage. Et, parce que l’histoire est partie de là, il garde un œil attentif sur la twittclasse de Crotenay et s’enthousiasme encore de tous les projets qui ouvrent les fenêtres d’une classe du Jura sur le monde entier. « Accompagner les élèves à devenir des citoyens numériques », Bertrand Formet inscrit par ses pratiques une nouvelle compétence à afficher dans le portfolio des enseignants, une compétence qui s’acquiert par la construction de projets et le partage.

Monique Royer