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À la recherche du programme perdu

En bonne fonctionnaire, j’ai appris que la première chose à faire est de me procurer le programme. Nommée dans un lycée général et technologique, j’ai hérité de classes en filière hôtellerie. L’enseignement des mathématiques est séparé de celui de la gestion, mais l’épreuve du baccalauréat est commune. L’épreuve dure quatre heures trente, le sujet de gestion hôtelière et droit est prévu pour être traité en trois heures avec un coefficient cinq et celui de mathématiques en une heure trente pour un coefficient deux. Il me faut quelques références ou des annales pour ce qui concerne l’examen en classe terminale. Je cherche donc sur internet.

J’entre sur le site Eduscol, portail national des professionnels de l’éducation. Au menu je choisis « lycée », « filières technologiques » et là, difficile de trouver la filière hôtellerie. J’utilise donc le moteur de recherche et je finis par trouver la page des horaires et des programmes : le dernier texte en vigueur est celui du 14 février 1992 !

« Article annexe II : Le programme du baccalauréat technologique « Hôtellerie » fait l’objet de la brochure n° 75501025 publiée par les soins du Centre national de documentation pédagogique, 29, rue d’Ulm, 75230 Paris Cedex 05. » Mes recherches sur internet, puis au CNDP (Centre national de documentation pédagogique) sont vaines car la brochure n’est pas numérisée, la version papier est épuisée et n’a pas été rééditée en l’attente d’un nouveau programme. Le mieux, me conseille-t-on, est de voir auprès de mon chef d’établissement. Effectivement, mon proviseur me sort, triomphant, la brochure qu’il garde précieusement et demande à sa secrétaire de me faire une copie, pas question que le document sorte de son bureau ! Depuis, je l’ai aussi trouvé sur internet. L’académie de Rouen annonce que le programme est consultable sur le site du CRDP (centre régional de documentation pédagogique) de Lyon, et là j’ai trouvé la brochure de 92 scannée en PDF (ne cherchez pas, la page n’est plus active).

Cette anecdote est significative : si dans certaines filières le programme est sacrosaint, chacune de ses modifications faisant s’émouvoir toute la profession, dans d’autres, tout le monde semble s’en ficher royalement. Ce programme de 1992 ne tient absolument pas compte des réformes menées au collège et propose donc des activités qui n’ont aucune cohérence avec ce que les élèves ont fait les années précédentes. Les contenus par exemple en probabilité sont les mêmes que ceux aujourd’hui enseignés au collège.

Au final, que faisons-nous avec nos classes ? Les différents professeurs en charge de ces sections en sont réduits à composer, en jouant à la fois sur les notions qui leur semblent indispensables, les compétences de recherche, d’analyse et de modélisation et sur les attendus pour l’examen qui sont purement techniques, du moins c’est ce qui ressort de l’analyse des annales. Certaines connaissances ont disparu des filières scientifiques, mais demeurent en hôtellerie comme par exemple la fonction « valeur absolue ». Devant ce mépris, l’enseignant se sent libre de composer son programme comme bon lui semble. Pour ma part, j’ai choisi de m’appuyer sur le manuel des 2des générales pour permettre une continuité et aussi d’éventuels passages d’une filière à l’autre. Pour la 1re, je me suis appuyée sur le manuel de 1re ES et pour la terminale, je travaille essentiellement sur mes propres documents et à partir des annales.

En 2de, je ne traite pas la géométrie, ce qui donne plus de temps pour le reste et donc la possibilité de mener des activités de recherche, de proposer des problèmes ouverts, d’organiser un travail différencié pour redonner un peu de gout aux mathématiques à ceux qui en ont besoin. L’évaluation est aussi plus souple, j’ai testé des évaluations différenciées, l’évaluation par compétences, l’évaluation collective et non individuelle, l’évaluation de l’oral.

Preuve que sans la contrainte d’un programme, les enseignants peuvent être plus imaginatifs, innovants, prendre plus le temps et en donner donc plus aux élèves. Les annales suffisent à donner le cadre. À chacun ensuite de trouver ce qui mérite ou non d’être développé, ce qui peut avoir du sens par rapport à leur formation professionnelle, ce qui a un intérêt par rapport à l’actualité ou la sensibilité des élèves.

Sylvie Grau
Professeur de mathématiques, collège Sophie-Germain, Nantes