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À la recherche des cités éducatives

ENTRETIEN. Nouveauté dans la galaxie des dispositifs de réussite éducative, les « cités éducatives » doivent être créées en cette rentrée. Un dispositif de plus ou la solution contre les difficultés de certains quartiers ? Nous avons interrogé à ce sujet Vincent Léna, coordonnateur national des cités éducatives, et Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices.
Quelle définition donneriez-vous de la réussite éducative ?

La prévention du décrochage est un véritable enjeu, mais ne résume pas la réussite éducative, qui est à la fois un parcours scolaire accompli, passeport pour l’avenir (persévérance, acquisition des savoirs fondamentaux, orientation choisie, diplôme, etc.), mais aussi l’apprentissage de la citoyenneté et des valeurs collectives, sans oublier l’insertion professionnelle. Autant dire que la réussite éducative ne repose pas que sur l’école, mais sur la communauté de vie, en premier lieu les parents, et tout le corps social, qui agissent souvent en ordre dispersé, voire dans la contradiction. C’est la notion de parcours vers la réussite qu’il faut étayer collectivement, dès le plus jeune âge et sur la durée.

Aujourd’hui, les cités éducatives ne concernent que des REP + (réseaux d’éducation prioritaire renforcés). Quels sont les critères qui ont permis de choisir les quatre-vingts quartiers retenus ? Est-il prévu d’élargir hors des REP+ ?

L’enjeu de la coopération des acteurs autour de l’école se pose particulièrement dans les grands quartiers à faible mixité, très jeunes, et qui concentrent des familles pauvres, précaires ou venues de loin. C’est donc une priorité forte, car les écarts de réussite sont importants avec les autres territoires, et les enjeux pour la cohésion sociale sont décisifs. Le choix des quatre-vingts sites par Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, et Jean-Michel ­Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, s’est fait sur la base de critères comme la difficulté objective et le volontarisme des acteurs. De nombreux territoires se sont manifestés. Mais la vocation de ce programme gouvernemental, né du rapport Borloo et d’expérimentations locales, est de tirer des enseignements pour d’autres territoires, afin de conforter les stratégies de mixité scolaire et de faciliter les démarches de coopération éducative.

Quelle sera l’articulation avec les autres dispositifs (PRE, REP) existants, qui semblent maintenus ? Et le budget du nouveau dispositif viendra-t-il s’ajouter à celui des anciens ?

Il ne s’agit surtout pas d’un dispositif qui viendrait se superposer à d’autres, parmi lesquels on peut aussi citer les CLAS (contrats locaux d’accompagnement scolaire), ou de nombreuses initiatives municipales ou associatives. La cité éducative est une démarche d’ensemble, qui permet de revisiter les actions existantes, de mieux les articuler et, si nécessaire, d’accentuer l’effort ou de combler les chainons manquants, en fonction des priorités locales (conforter le rôle de l’école, garantir la continuité éducative). Le programme mobilisera des moyens nouveaux, de l’État et des collectivités. C’est aussi l’occasion de faire le point sur l’efficacité des dispositifs existants, de mieux articuler les différentes actions, et d’associer parents, citoyens, jeunes eux-mêmes, à l’atteinte d’objectifs communs.

Quelle sera la gouvernance ? Certains articles ont annoncé que les principaux de collège seraient les têtes de pont, avec chacun un budget de 30 000 euros à leur disposition.

L’une des originalités du programme est en effet l’implication directe de l’Éducation nationale, y compris dans le pilotage partenarial local. Les recteurs ont identifié dans chaque cité éducative un chef de file, en général un principal de collège, en partie déchargé ou renforcé pour pouvoir exercer cette mission, en lien avec des responsables identifiés dans la commune et la préfecture. Cette troïka, parfois complétée par la caisse d’allocations familiale ou le département, aura un rôle d’impulsion. L’une des nouveautés vient d’un « fonds de la cité éducative » de 30 000 euros par an, alimenté à parité par les ministères de la Ville et de l’Éducation nationale, logé dans le collège chef de file. Mais les moyens à l’appui du programme vont bien au-delà, avec notamment une enveloppe spécifique et nouvelle de 100 millions d’euros sur trois ans du ministère de la Ville pour les quatre-vingts sites, en appui des moyens que les ministères, agences, collectivités, institutions, associatifs ou autres sont prêts à mobiliser.

Une évaluation du dispositif est-elle prévue ?

Nous accompagnerons les sites pour qu’ils aient un dispositif local de suivi et d’évaluation, avec quelques données communes exploitables sur le plan national. Certains ont déjà prévu des observatoires partenariaux, ou une collaboration avec l’université. Sur le plan national, un Comité d’orientation et d’évaluation du programme des cités éducatives, comprenant experts, territoires et usagers, contribuera à la réflexion et pourra faire des recommandations.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

 

Du côté des villes éducatrices

 

Nous avons également interrogé Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices, sur la réception par les communes de ce nouveau dispositif.

« Les villes éducatrices sont prêtes à s’investir pleinement dans le dispositif des cités éducatives. On ne peut que partager les intentions, mais nous demandons à voir pour ce qui est de la réalisation, car, pour le moment, il y a encore beaucoup d’interprétations différentes, nous le voyons dans les réunions régionales auxquelles nous participons. Les cités éducatives peuvent être un moyen de dépasser les difficultés de coordination des dispositifs de réussite éducative existants. C’est à cette aune qu’on jugera le dispositif. Mais il faut que nous soyons rapidement fixés : on se rapproche des élections municipales, il sera compliqué de mettre en place une nouvelle gouvernance, sans savoir qui reprendra par la suite. Pour autant, il faut absolument intégrer des élus dans la gouvernance. Il faut un engagement politique fort des élus, sinon ça ne marchera pas. Nous avons aussi besoin d’un minimum de garanties sur les financements, notamment, les 30 000 euros annoncés par collège seront-ils un réel supplément ou y aura-t-il en parallèle des diminutions de crédits pour la politique de la ville, voire les budgets de droit commun versés par l’État et les CAF dans le territoire concerné ? Et qui sera décisionnaire pour l’emploi de ces crédits ? Le collège pourra-t-il décider seul ? Enfin, il faut que l’État accepte qu’au-delà de son impulsion, les objectifs soient définis au niveau local et pas “d’en haut”. Les semaines qui viennent seront donc déterminantes pour voir si la confiance est là et si les collectivités peuvent s’engager durablement. »

POINT DE VUE Nous avons également interrogé Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices, sur la réception par les communes de ce nouveau dispositif.
« Les villes éducatrices sont prêtes à s’investir pleinement dans le dispositif des cités éducatives. On ne peut que partager les intentions, mais nous demandons à voir pour ce qui est de la réalisation, car, pour le moment, il y a encore beaucoup d’interprétations différentes, nous le voyons dans les différentes réunions régionales auxquelles nous participons. Les cités éducatives peuvent être un moyen de dépasser les difficultés de coordination des dispositifs de réussite éducative existants. C’est à cette aune qu’on jugera le dispositif. Mais il faut que nous soyons rapidement fixés : on se rapproche des élections municipales, il sera compliqué de mettre en place une nouvelle gouvernance, alors qu’on ne sait pas qui reprendra par la suite. Pour autant, il faut absolument intégrer des élus dans la gouvernance, quitte à ce qu’ils changent par la suite. Il faut un engagement politique fort des élus, sinon ça ne marchera pas. Nous avons aussi besoin d’un minimum de garanties sur les financements, notamment, les 30 000 euros annoncés par collège seront-ils un réel supplément ou y aura-t-il en parallèle des diminutions de crédits pour la politique de la ville, voire les budgets de droit commun versés par l’État aux communes ? Et qui sera décisionnaire pour l’emploi de ces crédits ? Le collège pourra-t-il décider seul ? Enfin, il faut que l’État accepte qu’au-delà de son impulsion, les objectifs soient définis au niveau local et pas “d’en haut”. Les semaines qui viennent seront donc déterminantes pour voir si la confiance est là et si les collectivités peuvent s’engager. »