Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

À la lecture du texte d’Hervé Grau…

Nous avons décidé de nous « répondre » car les textes parus semblent défendre des conceptions opposées de la place à faire aux mathématiques dans l’enseignement de la physique. Il me semble que l’opposition est forcée, car au fond nous sommes d’accord sur l’idée qu’il faut trouver un équilibre entre place de la théorie, place de la mathématisation et aspects expérimentaux, et qu’il faut développer une meilleure connaissance réciproque des deux disciplines parmi les enseignants.
Cependant, j’aimerais revenir sur quelques-uns des aspects du texte d’Hervé Grau.
L’erreur « historique » tout d’abord. Je comprends tout-à-fait l’idée que la physique, les sciences physiques en général se sont constituées et ont été reconnues « en tant que sciences établies »[[Les citations entre guillemets sont extraites du texte de Hervé Grau.]] grâce à leur mathématisation. Mais faut-il pour autant penser que les sciences physiques ne valent que par ce que les mathématiques leur apportent ? Qu’elles ne sont sciences que par ce qu’elles contiennent de mathématiques ? Je préférerais, quant à moi, penser que c’est « simplement » parce que les mathématiques leur ont apporté des possibilités d’analyse, de formulations, de représentations, qui ont considérablement multiplié leur efficacité, leur « assurance » dans la construction du savoir physique. Mais ce savoir porte bien sur des objets et des phénomènes qui sont proprement physiques, et qui ont trop souvent, à mon avis, tendance à être étouffés derrière la formulation des propriétés, et méconnus des élèves.

À propos de l’erreur « didactique » évoquée par H. Grau, je voudrais relever deux points. Tout d’abord, je trouve trop rapide d’opposer uniquement l’aspect « expérimental » à la mathématisation. Ou alors il y a ambiguïté sur ce qu’on appelle mathématiques. Quand H. Grau parle du « rôle modélisant d’une fonction définie et continue par rapport à une liste de nombres forcément discontinue, en clair, ce qui nous autorise  » à relier les points «  », il ne s’agit pas, à mes yeux du « concept mathématique de fonction »… ni de statistiques[[Je ne voudrais pas rentrer ici dans l’analyse de ce que sont les statistiques, cela sortirait du sujet.]]. On est déjà là dans un entre-deux, entre les mathématiques qui conçoivent des « objets mathématiques » et la physique qui observe et théorise des phénomènes. De même, les concepts de grandeur, de mesure, ceux aussi « d’approximation », de « négligeable »[[Qui ne sont pas de « mauvaises mathématiques », mais des notions fines qui sont souvent employées en physique bien avant que le cours de mathématiques ne les ait évoquées.]], sont nés dans cet entre-deux là. Physique et mathématiques sont liées, là, par un entrelacs qu’il me semble maladroit de vouloir démêler, mais dont il faut reconnaître l’existence. Il y a là des concepts, des savoir-faire qu’on se renvoie trop souvent entre professeurs de physique et de mathématiques, comme tel professeur de physique de Maths Spé qui prenait un malin plaisir à commencer l’année par un chapitre « Rappels de mathématiques sur les torseurs », alors qu’il savait pertinemment que le prof de maths ne les avait pas abordés, considérant que c’était au physicien de le faire… Certaines notions (comme celle évoquée ci-dessus : « ce qui nous autorise  » à relier les points «  ») ne peuvent pas prendre sens aux yeux des élèves si leur apprentissage n’est pas fait en relation étroite entre les deux disciplines : c’est seulement ainsi que les exemples auxquels s’applique la notion mathématique seront consistants et significatifs[[Il en est à peu près de même pour certaines notions concernant les pourcentages et les statistiques, justement, avec les sciences humaines, économiques ou géographiques, par exemple. ]].
Pour finir, il me semble nécessaire de penser qu’il ne s’agit pas seulement de « préparer tout de même les élèves à des études scientifiques au niveau du lycée », mais de s’adresser à tous, en tout cas au moins jusqu’au niveau de la seconde incluse, et de contribuer à un socle commun de connaissances. On retrouve là aussi le même problème en mathématiques et en sciences physiques !

Françoise Colsaët, Professeure de mathématiques au lycée de Cavaillon.