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A l’école du feu

« Monsieur, on fait des expériences aujourd’hui ? »
C’est la question que j’entends le plus fréquemment quand mes élèves de collège arrivent devant la porte de la salle de cours. La plupart des fois avant même de me dire bonjour ! Le jour où je leur annonce qu’ils vont en plus faire des explosions, ils ajoutent : « on va faire exploser le collège ? »

Alors je leur explique calmement qu’ils devront obtenir le bruit le plus fort possible, et qu’en plus ils devront recommencer plusieurs fois pour être sûr que ce n’est pas un coup de chance. Alors là, ils ne me croient pas… mais leur regard se met à briller.

Cette situation se passe dans chacune de mes classes de quatrième depuis cinq ans et a concerné des centaines d’élèves au total. Certes je pourrais me contenter de faire le cours et les exercices sur la réaction chimique et les équations-bilan, mais je trouve tellement plus intéressant pour eux de constater qu’une réaction chimique équilibrée peut devenir explosive. Ils le réalisent par eux-mêmes en mélangeant du gaz de briquet et du dioxygène dans des bulles de savon. Ils les enflamment et les font exploser à l’aide d’un long briquet, jusqu’à s’en décoller les tympans ! L’approche est expérimentale. Ils testent plusieurs combinaisons de ces deux gaz dans une seringue destinée à remplir les bulles de savon. Ils notent à chaque fois les proportions et le résultat obtenu sur leur compte-rendu. Quand ils obtiennent l’explosion vraiment forte je les autorise à recommencer et même je les y oblige, en se bouchant les oreilles s’il le faut !

Des questions

Alors ils se mettent à poser plein de questions : « est-ce qu’on aura deux fois plus de bruit avec deux fois plus de gaz, le bécher en plastique avec les bulles de savon peut-il éclater, en mettant plus de savon va-t-on obtenir plus de bulles et donc plus de bruit… ? » Ils courent d’un bout à l’autre de la classe pour remplir leur seringue de gaz et aller faire exploser ce gaz, et ils se mettent à me poser plein de questions pour tenter de répondre au problème dans lequel ils se plongent vraiment. Ils font des hypothèses, testent des idées se lancent des défis d’un groupe à l’autre. Pendant ce temps des bruits énormes retentissent aux quatre coins de la classe, car quatre groupes fonctionnent en même temps, et tout le collège tremble. Mais il n’explose pas !

L’expérience du feu en laboratoire

L’expérience du feu en laboratoire

Graver des notions scientifiques dans leur mémoire, voilà ce qui est important. Depuis trop d’années j’entends des parents d’élèves me dire que la physique et la chimie, ils n’y comprenaient rien eux-mêmes, que c’était trop dur, que cela ne les intéressait pas. Quel dommage. Nous vivons dans un monde où la science est partout. Nous avons à faire des choix scientifiques et politiques en matière d’énergie, de santé, d’environnement… Pourtant de moins en moins d’élèves sont attirés par les études scientifiques car la science ne les fait plus rêver. En tout cas pas assez pour avoir le courage de faire des études longues et compliquées. La science, devenue de plus en plus complexe, est peu à peu prise en otage par une élite, et elle échappe au peuple.

Alors pour tous ceux qui n’iront pas en école d’ingénieur plus tard, je grave en eux par tous les moyens possibles, des notions scientifiques qui vont leur rester. Je les bouscule, je les brûle, je les électrise… au sens propre. Et pour ceux qui en ont les capacités, je tente de partager cet émerveillement permanent que j’ai pour la science, pour que plus tard ils aient envie d’aller plus loin. Je leur montre que la science est capable de faire mieux que l’imagination ou que la fiction. Cela se passe en vrai, devant leurs yeux, et même entre leurs mains. Ils ont ce qui est extraordinaire entre leurs mains, et ils en sont les acteurs.

Mais cet enseignement doit être concret pour les intéresser vraiment. Ils ont besoin de toucher, de sentir, de se brûler, d’avoir peur, d’échouer, de recommencer, d’avoir envie de faire des hypothèses, de comprendre par eux-mêmes… pour que cela reste, pour que leur cœur batte plus fort, pour que leur visage s’illumine. C’est comme pour apprendre à marcher : on n’apprend pas à marcher sur un ordinateur devant une simulation, ou en écoutant le cours d’un professeur sur la marche. Il faut tomber plusieurs fois et se faire mal avant de savoir marcher. Il faut se battre avec la matière pour la comprendre et la maîtriser.

Aussi depuis plusieurs années je vais dans la cour avec mes élèves pour étudier toutes les techniques de production du feu depuis la Préhistoire. Mais cela n’est possible qu’avec des groupes et non en classe entière. Or les groupes en sciences sont en train de disparaître et avec eux la possibilité d’une vraie interaction avec le professeur et d’une vraie interaction avec la matière. Alors j’improvise. J’envoie la moitié de la classe en étude, j’en laisse la moitié dans un coin de la salle de cours avec un travail à faire à l’écrit, et en fin de compte ils finissent par faire moins d’expériences quand ils sont en classe entière. Ce qui ne me convient pas !

Briquet préhistorique

Briquet préhistorique

Se confronter avec la matière et avec la réalité. C’est comme ça qu’on apprend et qu’on a envie d’apprendre. Comme cet élève de quatrième cette année qui m’a presque pris le matériel des mains pour essayer le briquet acier de l’époque médiévale. Après quelques coups infructueux, j’ai repositionné ses mains pour lui permettre d’obtenir de magnifiques gerbes d’étincelles. Pendant ce temps je lui mettais moi-même les lunettes de protection sur les yeux. Il ne pouvait pas attendre, tant l’envie était forte pour lui d’essayer. Ensuite, il s’est acharné pendant près d’une demi-heure avec le briquet à friction et son foret en bois frottant sur une planchette. Je l’ai vu suer et pester pour obtenir à peine un peu de fumée quand son geste est devenu assez rapide. En le regardant je me suis rendu à l’évidence : le feu n’avait sûrement pas été maîtrisé au cours de la préhistoire par des individus mollassons, mais par des hyperactifs !

Cette technique, ou plutôt cette attirance, est toujours présente dans nos gènes : 500 000 ans d’histoire du feu, un demi-million d’années, cela ne s’oublie pas. Bien qu’il soit si facile d’obtenir du feu avec des allumettes de nos jours, il suffit de chercher un peu en nous pour retrouver l’homme préhistorique qui a dû se débrouiller si longtemps avec si peu pour survivre. Ce jour-là cet élève n’a produit aucune flamme. Il a transpiré pour obtenir tout juste un peu de fumée et quelques étincelles. C’est un élève qui avait eu des mises en garde pour discipline sur ces bulletins des premiers et deuxièmes trimestres, et bien c’est lui qui est venu me trouver à la fin de la séance pour me dire : « c’était super, Monsieur ». Comme tant d’autres élèves en difficulté qui chaque année sont les plus impliqués dans ces expériences spectaculaires. Ils se réveillent enfin et se mettent à participer.

Nous sommes en train de perdre le lien avec la nature, mais nous sommes aussi en train de perdre le lien avec la matière elle-même. Or nous faisons partie de la matière, nous obéissons à ses lois, nous sommes de la matière. C’est en cherchant à comprendre la matière que nous avons acquis notre savoir, et que nous avons acquis notre pouvoir.

Ce savoir est précieux. C’est notre plus grande richesse. Aujourd’hui nous avons accès à un savoir immense grâce à internet. Cela ne veut pas dire pour autant que tout le monde puisse s’approprier ce savoir. Combien de fois j’ai entendu des enseignants dire que des élèves avaient fait des copiés-collés sur internet pour des recherches ou un exposé, le tout sans rien comprendre. Combien d’élèves s’ennuient au collège et ne trouvent aucun goût aux études. C’est à nous, enseignants, de leur faire saisir la valeur de ce savoir.

 Des grimoires d’alchimistes

 Des grimoires d’alchimistes

Pour aller à contre-courant de cette banalisation du savoir, en 2011 j’ai créé un atelier d’alchimie avec 14 élèves de quatrième qui étaient volontaires : 10 filles et 4 garçons.
D’une part je voulais interpeller l’imaginaire des élèves avec cette notion d’alchimie. Pour qu’ils s’intéressent à cet atelier et qu’ils aient envie de venir y participer. Qu’ils aient le sentiment de faire quelque chose de dangereux et un peu secret, qui sort du monde aseptisé et classique de l’éducation nationale, pour ressentir de vraies émotions, pour ne pas faire comme tout le monde.

D’autre part je voulais vraiment insister sur l’histoire des sciences, et donc l’héritage scientifique de l’antiquité et des alchimistes du Moyen-Age. Leur montrer que les explications du monde dans le passé, si elles nous paraissent étranges aujourd’hui étaient pourtant fondées à l’époque. Et que notre explication du monde actuel paraitra sûrement bien étrange pour des scientifiques qui vivront dans cinq siècles !

Tout ceci bien sûr en insistant sur les apports majeurs du chimiste français Antoine Lavoisier. Grand scientifique du XVIIIe siècle qui a su sortir la chimie de l’obscurantisme pour l’amener vers une approche quantitative, rigoureuse, et une méthode basée sur les échanges avec d’autres scientifiques. En un mot l’invention de la chimie moderne.

Des grimoires d’alchimistes

Pour leur montrer la valeur de ce savoir, je leur ai fabriqué moi-même à chacun un cahier renforcé par du carton, avec un câble en acier qui permettait de fermer le cahier à l’aide d’un cadenas. C’étaient leurs grimoires d’alchimistes renfermant un savoir précieux et dangereux. Un savoir qu’eux seuls pouvaient décider de partager avec les autres, si ils le voulaient et si ils le décidaient. Un savoir qu’ils maîtrisaient, un savoir capable de détruire. Je leur ai donné des photos en couleur d’eux-mêmes en train de manipuler pour les coller dans ce cahier. Ils devaient ajouter des textes écrits à la main expliquant leurs expériences et présentant leurs recherches sur les origines et les pratiques de l’alchimie et des grands savants qui ont marqué le passé.

Bien sûr il y a eu des ratés. Un élève n’a pas du tout rempli son cahier. Deux ou trois cahiers étaient très succins. Mais les autres étaient exceptionnels. L’un des élèves a même écrit entièrement son cahier en écriture en miroir, l’écriture spéculaire. Comme l’avait fait Léonard de Vinci cinq siècles auparavant pour commenter les schémas de ses inventions et de ses machines de guerre. Au début, ils devaient tous coder au moins le secret de la fabrication de la poudre à canon de cette manière : en écriture en miroir, et même sous la forme d’un poème. Poème compréhensible uniquement par un autre alchimiste. Cet élève a rédigé tout son cahier en écriture en miroir. A force d’entrainement il écrivait aussi bien et aussi vite à l’endroit qu’à l’envers.

Fabriquer de la poudre à canon…

Fabriquer de la poudre à canon…

Ils ont tous préparé de la poudre à canon. La technique de fabrication de cette poudre est accessible très facilement sur internet, mais de là à savoir la fabriquer en vrai… Et ils ont tous fait brûler leur propre poudre, sur une pierre dans la cour, dans d’énormes gerbes d’étincelles.

Et la faire brûler !

Et la faire brûler !

Voici le poème de Loic Balleydier, élève de 4e A, pour cacher le secret de la poudre à canon. Le sel qui coule de la pierre est le salpêtre, c’est-à-dire le nitrate de potassium. La pierre qui brûle est le soufre. L’arbre après l’incendie désigne le carbone, et le bon équilibre évoque les proportions des réactifs. Le reste du poème est compréhensible par un non initié. Mais pour cela il faut trouver un miroir…

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Laurent Brice
Professeur de sciences physiques aux collèges de Seyssel et de Frangy en Haute-Savoie