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Respecter, ce n’est pas seulement tolérer

Comment inclure les élèves à besoins particuliers en cours d’EPS afin qu’ils ne se sentent pas seulement acceptés avec leurs différences, mais respectés et valorisés dans leur singularité ?

Les élèves dits à besoins éducatifs particuliers (BEP) sont parfois mal acceptés par leurs pairs. C’est le cas entre autres en éducation physique et sportive (EPS). Le respect dû à ces élèves invite à identifier les manifestations d’intolérance à leur égard, en l’occurrence au collège, et à envisager des interventions favorables au respect de leurs singularités.

En EPS, l’intolérance se marque par le rejet de personnes perçues différentes. Une jeune fille malvoyante souffre d’avoir été laissée de côté par ses camarades lors de la composition des équipes, un collégien dyspraxique qu’on ne lui passe pas le ballon. Quant à la mère d’une élève ayant d’importants problèmes de santé, elle se félicite que le professeur d’EPS ait adapté son enseignement de telle manière que, désormais, sa fille ne se vive plus comme « rejetée, handicapée, exclue ».

Manifestations d’intolérance

À ces discriminations s’ajoutent parfois des stigmatisations dont témoigne Alexandre Jollien. Évoquant son enfance et son adolescence, il déplore l’absence de partage des jeux avec des camarades, mais aussi des marques de dévalorisation : les rires que déclenchait sa voix et les moqueries que provoquait son infirmité motrice cérébrale1. À l’inverse, nous avons observé que si des déficiences physiques manifestes entrainaient souvent la mise à l’écart d’une activité partagée en EPS, elles ne donnaient pas particulièrement lieu à des paroles ou des regards blessants. En revanche, les élèves en surpoids ou obèses sont moins épargnés, de même que ceux affectés d’un handicap invisible, une dyspraxie par exemple.

Or, l’invisibilité du handicap peut être difficile à vivre. Patrick Alvin, chef du service de médecine pour adolescents au CHU (centre hospitalier universitaire) du Kremlin-Bicêtre, remarque que, lorsqu’un jeune affiche une différence évidente, il ne peut pas la nier et il trouve souvent des façons singulières de s’adapter, alors qu’être presque comme les autres, mais pas complètement, fait courir le risque d’une compétition anxieuse avec ce que l’on considère être normal.

Cela dit, le souci du corps n’est pas propre aux jeunes en situation de handicap, visible ou non, ou plus généralement à BEP. De nombreux appels au service téléphonique Fil Santé Jeunes de la Fondation de France concernent le corps, qui change au cours de l’adolescence, et interrogent sa normalité et son acceptation par le groupe. Dans une discipline où le corps est exposé aux regards, on ne peut pas réduire le respect des singularités à certaines catégories d’élèves.

Règles équitables

Le respect ne se limite pas à la tolérance, entendue comme une forme d’indulgence, de résignation, d’indifférence, qui conduit à accepter la présence d’une personne dans un groupe sans chercher à l’impliquer dans son fonctionnement, à agir avec et pour elle. Le respect dépasse la mollesse de la tolérance pour s’ouvrir à autrui, reconnaitre et promouvoir sa valeur. Il s’agit d’être attentif aux élèves pour les placer en situation de réussite tout en prévenant des manifestations d’intolérance. C’est, par exemple, porter attention à ce qu’un élève parfois mal accueilli évolue dans un groupe avec des camarades qui le prennent convenablement en compte. Cela implique, fondamentalement, le choix des activités, ainsi que l’accompagnement des élèves.

Comme les élèves peu performants risquent d’être mal acceptés par leurs pairs, les activités privilégiant la coopération sont à priori plus propices que celles de nature compétitive. Participer à un projet collectif autour de la danse ou des arts du cirque est d’autant plus accessible que ces activités offrent de multiples opportunités de réalisation convenant à la diversité des capacités individuelles. À condition d’être adaptés, des sports d’opposition peuvent également être pertinents : par exemple le badminton pour un élève dont la déficience motrice limite les déplacements, dès lors que les dimensions du terrain sont réduites.

L’adaptation des sports collectifs est plus délicate, vu le rejet possible de partenaires peu performants et les problèmes liés à la différenciation des règles de jeu. Cette différenciation met particulièrement en tension les principes d’égalité et d’équité, et son acceptation par les joueurs ne va pas de soi. Pourtant, elle peut se révéler satisfaisante. Ainsi, lors d’un cycle de travail sur le basket, les élèves d’une même classe, les uns valides et les autres en situation de handicap, sont amenés à identifier les difficultés et les possibilités de chacun et chacune, à proposer des mesures favorables à une plus grande équité, et à y revenir ultérieurement si besoin. Une pareille élaboration concertée des règles contribue à une compréhension mutuelle des élèves, et elle confère au groupe un pouvoir instituant qui participe d’une éducation à la citoyenneté. Elle convient bien à des jeux traditionnels pratiqués surtout avant le collège, offrant des possibilités précoces de découverte et de respect de l’autre à travers le partage d’expériences, d’une culture et d’émotions communes.

Mixité des pratiques

Un traitement différencié ouvre paradoxalement sur du commun, d’autant plus s’il satisfait à une exigence : que l’élève affronte des obstacles suffisamment consistants pour s’engager dans des apprentissages qui favorisent la reconnaissance de sa valeur, non réductible à ses performances. Cette exigence risque de pâtir d’une sollicitude compassionnelle conduisant à éviter à un élève perçu comme vulnérable des contraintes pourtant surmontables. Elle relève d’une conception différentialiste de l’humain, telle que la personne est vue essentiellement au prisme de sa différence, notamment de ses difficultés en cas de handicap, par rapport à une norme qui est en fait illusoire, car la diversité est la norme et tous les individus sont singuliers. Bien sûr, il y a entre eux des écarts de performances et de possibilités, mais ce sont des différences de degré, pas de nature.

Comprise comme « une donnée objectivée, naturalisée, insurmontable2», la différence serait cristallisée. Une certaine conception du respect fait écho à ce renoncement à agir. Quand on lit que « le problème éthique lié à l’infirmité et à la douleur est celui du respect des différences et du respect de ceux qui vivent avec leurs différences3», on doit s’interroger sur la pertinence de l’injonction au respect des différences. « Des discours en tous genres brandissent la différence comme ce qu’il y a à respecter (et) la mixité, le métissage, s’en trouvent suspectés4. »

Or, la mixité des pratiques est une demande des personnes en situation de handicap, inscrite dans la revendication d’accessibilité de l’ensemble des pratiques sociales. Il nous faut faire en sorte que le respect des singularités ne se fige pas en assignation à une différence essentialisée, et qu’il réponde à l’aspiration à une société plus inclusive.

Jean-Pierre Garel
Chercheur associé au Laces (Laboratoire cultures, éducation, sociétés) université de Bordeaux

Notes
  1. Alexandre Jollien, Le métier d’homme, Seuil, 2002, p. 62.
  2. Samuel Joshua, L’école entre crise et refondation, La Dispute, 1999, p. 21.
  3. Maria Michella et Marzano Parisoli, Penser le corps, PUF, 2002, p. 70.
  4. Mazarine Pingeot, « De l’universalisme au différentialisme », The Conversation, 7 octobre 2018. En ligne : https://theconversation.com/de-luniversalisme-au-differentialisme-104424.