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Grandir avec l’ULIS 1 : Affronter ses peurs

« L’ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire) nous fait grandir », m’a dit une fois la conseillère principale d’éducation qui, elle, est vraiment déjà une grande dame dans tous les sens du terme ! C’était le jour du pot offert par le professeur de SVT (sciences de la vie et de la Terre) à l’occasion de son mariage. Je me souviens que ce collègue a été le premier à bien vouloir enseigner sa matière pour les élèves en situation de handicap qui allaient être scolarisés à la rentrée suivante dans l’établissement, et je lui en suis encore très reconnaissante. Il a été le premier à se porter volontaire, alors que l’équipe de direction alors encore en place ne semblait pas y croire. J’étais venue fin juin me présenter et présenter avec l’IEN ASH (inspecteur de l’Éducation nationale chargé de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés) le dispositif ULIS qui allait ouvrir dans ce collège d’excellence. J’avais alors un peu peur de ne pas pouvoir m’adapter à ce nouvel environnement et de ne pas pouvoir bien y inclure mes élèves, comme le demandent la loi du 11 février 2005 et celle du 8 juillet 2013.

Pour ce collègue de SVT, comme pour nous tous et toutes, enseigner en ULIS s’est avéré compliqué et déstabilisant dès le départ : il nous faut déjà serrer la main des élèves TED (trouble envahissant du développement), accepter que certains et certaines nous tutoient, passent parfois le cours avec des lunettes de ski sur le nez ou une capuche sur la tête ou encore des gants aux mains, que les insultes (« espèce de babouin », « espèce de handicapé »), comme autant d’intégrations du stigmate, puissent fuser de temps à autre, que les élèves se lèvent, sortent de classe et qu’on ne puisse pas faire la moitié de ce qu’on avait prévu. « Je les aime bien, moi, les ULIS », dit régulièrement le professeur de SVT au milieu de ses doléances et petites indignations. « Je suis heureux d’enseigner en ULIS », a-t-il dit à l’issue de la dernière réunion de régulation assez houleuse. Cela m’a vraiment fait plaisir, car moi aussi je suis très très heureuse d’enseigner en ULIS, même si c’est parfois très très difficile et que cela donne des insomnies, et aussi beaucoup de joie quand on est persuadé que chaque élève est éducable et qu’on cherche à y travailler.

Ce qui m’a aussi vraiment touchée de la part de ce collègue de SVT, c’est qu’il est venu faire une discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP), pour laquelle il a proposé la question « qu’est-ce qu’être écoresponsable ? ». Il a alors dit devant tous les élèves participants à la DVDP qui, pour l’occasion, rangent tout leur arsenal de protection, car il y a déjà un cadre sécurisant, qu’il avait un peu peur. Wouah ! C’est déjà peut-être cela que permet le fait d’enseigner en ULIS : dire et affronter ses peurs, peur de l’autre très différent, peur de l’imprévu, peur de l’inconnu. Et c’est peut-être ça qui nous fait grandir un peu !

Évelyne Clavier
Enseignante coordinatrice de l’ULIS Charlemagne à Paris