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Harcèlement

Mes élèves de 5e ont travaillé en EMC (éducation morale et civique) sur l’égalité et les discriminations. Puis, comme je voulais quelque chose de personnel, je leur ai demandé de raconter une scène de harcèlement vécue. La consigne était de montrer les émotions. À la lecture, j’ai été touchée et démunie par ces témoignages, par la violence qui suinte entre les lignes, alors que je travaille dans un établissement calme avec deux classes sympathiques. Certains textes se recoupent. Je les ai lus de façon anonyme, dans le silence et l’émotion. Les élèves dont il est question étaient présents. La leadeuse a pleuré. Je ne savais pas que faire de ces textes, alors je vous en livre quelques-uns. Le travail suivant a consisté à concevoir une affiche contre le harcèlement.

Coralie : « Elle nous ensorcelait »

Un jour, Isabelle a dit qu’elle n’aimait pas Juliette, qu’elle nous collait trop et qu’elle ne voulait pas se trouver d’autres amies que nous. Quand Juliette est arrivée, Isabelle lui a dit : « Le pôle nord, c’est là-bas, alors tu devrais partir. » Juliette lui a répondu, mais ça ne servait à rien, car elle n’a pas réussi à se défendre. Moi, je ne savais pas trop quoi faire, si je devais l’aider ou la laisser partir. Au final, je n’ai rien fait, mais j’aurais dû. J’ai même été méchante avec elle, mais maintenant je regrette. Isabelle a continué plusieurs fois, elle était de plus en plus méchante. Juliette était très triste. Parfois, je voulais aller l’aider, mais quelque chose m’en empêchait. Isabelle nous ensorcelait parce que, même si j’avais envie de défendre Juliette, je restais quand même du côté d’Isabelle. J’étais impuissante. Puis, finalement, cette année, Isabelle a arrêté.

Clément : « Je me suis dit que je ne servais à rien »

On se rangeait dans la cour et je discutais avec d’autres, quand quelqu’un m’a dit : « Put…, mais on s’en bat les c… de toi, alors va discuter avec les autres et laisse-nous tranquilles ! » Autour, personne n’avait entendu, ils continuaient tous à discuter comme si rien ne s’était passé. Alors, sur ce moment, m’est venu un sentiment de solitude mêlé à de la tristesse et de la peur. Je suis parti et je me suis dit que je ne servais à rien et que, pour les autres, j’étais que des soucis, une personne sans intérêt. Puis, quelques heures après, un sentiment de colère m’est venu.

J’ai décidé de n’en parler à personne, peut-être une mauvaise idée, car il n’y avait personne pour m’aider. J’ai longtemps réfléchi et j’ai fini par me dire que, finalement, ce n’était que le point de vue d’une personne. Après tout, j’avais des amis et oui, je servais à quelque chose dans la vie, en tout cas plus que mon agresseur. Aujourd’hui, pour moi, cet agresseur n’est qu’une stupide personne qui n’a pas conscience de ses actes.

Alors, s’il vous plait, soyez attentifs et agissez !

Baptiste : « Maintenant, elle a changé de collège »

Quand j’étais en CE2 et CM1, avec mon meilleur ami, nous nous moquions souvent d’une fille, car elle avait un physique qui nous déplaisait. Nous allions la voir et nous faisions comme si elle était contaminée. Nous avions inventé des vaccins en croisant les doigts. Elle était très triste mais nous continuions, car nous ne nous rendions pas compte de ce que l’on faisait. Puis, en CM2, nous sommes devenus matures et nous avons arrêté de la harceler. Maintenant, je ne la vois plus, car elle a changé de collège.

Anaïs : « La fillette répond qu’elle a mal au ventre »

Elle n’a que 6 ans et pourtant elle rentre en CE1. Elle est toute petite et très mal à l’aise en entrant. Il ne reste plus qu’une place au fond. Elle va s’installer. Quand la professeure a le dos tourné, les autres la traitent de « Noire ». Elle n’a pas réagi. Pourtant, elle aurait dû. Sa première récréation s’est très mal passée, les gens la poussent, lui écrasent les pieds, mais elle ne réagit toujours pas. Elle est partie s’assoir en classe, mais il y a de la colle sur sa chaise. La fillette pleure. La maitresse l’amène chez le directeur. Il lui demande ce qui se passe. Elle lui répond qu’elle a mal au ventre. Sa mère vient la chercher et lui demande ce qui se passe. La fille lui répond en pleurs qu’elle veut changer d’école. Midi passé, sa mère la redépose à l’école. À sa grande surprise, il n’y a plus de livres dans sa case, sous sa table. Tout cela continue plusieurs jours : les insultes, les méchancetés. Un jour, une fille de CP vient la voir en lui demandant si le CE1 est bien. Elle se met à pleurer en racontant son enfer. À la fête des voisins, elle s’amuse avec son amie, jusqu’à ce qu’elle voie les personnes de sa classe. La fillette apeurée se cache alors derrière sa mère jusqu’à la fin de la fête. Ayant vu ce qu’il se passait, celle-ci décide d’aller voir le directeur et l’histoire finit quand la petite fille a changé de classe.

Téa : « Le professeur a finalement démissionné »

Je ne sais pas si c’était une situation de harcèlement. C’était l’année dernière. Notre professeur partait en congé maternité. On nous a annoncé qu’on aurait un autre professeur. Une autre classe l’avait aussi et ils sont sortis du cours de maths en rigolant et nous disant qu’il avait un accent roumain. Quand on l’a eu, ça s’est mal passé. Jeannette, la meneuse de classe, s’est moquée de lui et une grosse partie de la classe la suivait. Le nouveau professeur n’avait aucune autorité. C’était la première fois qu’il enseignait en France. Jeannette contrôlait la classe. Elle disait : « Quand je dis “autruche”, tout le monde se met sous la table. Quand je dis “trousse”, tout le monde fait tomber sa trousse. » Beaucoup de personnes l’ont suivie. Chaque cours était horrible. J’avais un peu de pitié pour le professeur, qui a finalement démissionné.

Grâce : « Les rumeurs »

En 6e, il y avait une fille qui se faisait traiter de pute, de lesbienne, parce qu’apparemment (peut-être que c’était des rumeurs), elle serait sortie avec plus de vingt-quatre garçons. Certains disaient qu’elle changeait de petit copain tous les jours. Elle était isolée face à tout ça et rares étaient ceux qui la soutenaient et la défendaient, car ils avaient tous peur de se faire tabasser par ses harceleurs. Des rumeurs disaient qu’elle mettait du rembourrage. Par la suite, elle est allée se plaindre et la conseillère principale d’éducation est intervenue plusieurs fois dans la classe. Mais la fille était très triste et en colère, et ce n’était pas la seule à se faire harceler.

Oriane : « J’en avais trop marre, j’ai même voulu me suicider. »

Tous les jours, j’entendais « sale pute », « salope », « connasse ». Tous les jours ! Même des personnes que je ne connaissais pas me le disaient. Car cette fille, populaire, qui avait toujours raison, avait lancé cette rumeur que j’étais sortie avec trente-deux garçons et, bien sûr, tout le monde la croyait. Tous les soirs, j’arrivais en pleurs chez moi. Un soir, j’ai reçu un message d’une amie disant qu’il y avait une chaine qui circulait sur moi et qui disait « si vous trouvez qu’Oriane est une grosse pétasse, faites passer cette chaine. LOL, MDR ». J’en avais trop marre, j’ai tout raconté à mon père. La conseillère principale d’éducation était déjà venue dans ma classe pour leur dire d’arrêter, mais ça n’avait rien fait. Donc, mon père l’a rappelée et lui a dit que, s’il y avait encore une insulte, il porterait plainte. Et bien sûr, après, tout le monde était gentil avec moi. Mais ces personnes ne savaient et ne savent toujours pas ce que ça fait d’être harcelé. J’ai même voulu me suicider. Et si mes proches n’avaient pas été là, je l’aurais fait.

Catherine Rossignol
Professeure d’histoire-géographie et EMC en collège
Les prénoms des enfants ont été changés.