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La communauté éducative veut avancer

Le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) a rendu public début mars, après trois ans d’existence, « trente préconisations pour améliorer l’éducation en France », trente « propositions phares » issues des vingt-et-un rapports (sur les mathématiques, la lecture, les inégalités sociales, l’enseignement professionnel, le métier d’enseignant, etc.) précédemment publiés. L’occasion pour les Cahiers pédagogiques de s’entretenir avec la présidente du Conseil, Nathalie Mons.

Sans vous demander de résumer en quelques lignes les trente préconisations du Cnesco, pouvez-vous nous en dire l’esprit général ?

Nous sommes à un moment charnière de l’avenir de notre école. Le diagnostic sur l’état de l’école semble aujourd’hui partagé, sur ses forces (une bonne maternelle, le recul de pratiques pédagogiques peu efficaces comme le redoublement, la reconnaissance d’une nécessaire formation des enseignants, etc.), mais aussi ses faiblesses (encore trop d’élèves en difficulté scolaire). Nous pouvons voir à travers les activités du Cnesco que la communauté éducative veut avancer sur ces sujets, et est en recherche de ressources intellectuelles et de nouveaux collectifs dans les établissements pour faire progresser les élèves. Le Cnesco (et ses conférences très denses en deux-trois jours, nos conférences virtuelles interactives sur l’apprentissage de la lecture, des mathématiques, visualisées par quelque 20 000 personnels en quelques semaines) est un révélateur de ce mouvement par le bas de l’école.

Le quinquennat qui se termine a permis l’apport de moyens importants tout à fait nécessaires, il faut aller au-delà à l’avenir, en apportant des ressources qui sont aussi intellectuelles (formations de qualité, contenus pédagogiques qui complètent les manuels, des évaluations diagnostiques que les enseignants peuvent mobiliser, etc.). Le changement doit être quantitatif, bien sûr, mais aussi qualitatif, une attention soutenue doit être apportée à la mise en œuvre des réformes. Les préconisations du Cnesco proposent une vision renouvelée de l’apprentissage des fondamentaux. On ne peut plus continuer à avoir 40 % des élèves en fin de primaire qui ne possèdent pas les connaissances fondamentales, ni en lecture, ni en mathématiques, pour poursuivre leur scolarité. C’est à cet âge-là qu’il faut développer un suivi individualisé, dans une logique de prévention scolaire et non de remédiation. Nos préconisations abordent aussi les difficultés du système face à la diversité à l’école (mixité sociale, handicap, etc.), diversité dont la recherche a montré les effets positifs sur les apprentissages et sur les attitudes des élèves vis-à-vis de la société. Nous revenons également sur les problématiques d’orientation, car notre système est marqué par un fort cloisonnement des parcours scolaires, particulièrement défavorable à l’enseignement professionnel.

Vous consacrez une place importante aux fondamentaux, c’est-à-dire au français et aux mathématiques, dans les préconisations. S’agit-il de faire plus de français-maths à l’école primaire, comme le préconisent certains, notamment en les réservant aux élèves en difficulté, tandis que les autres auraient accès à la découverte du monde, à l’éducation artistique et culturelle ?

La thèse du manque d’heures d’enseignement ne résiste pas à l’analyse scientifique, les problèmes et les solutions sont ailleurs. Là encore, ce n’est pas la quantité des heures d’enseignement mais leur qualité qui importe. Il existe des dispositifs, au sein de la classe, qui ont fait leurs preuves à l’étranger et qui doivent être expérimentés en France. Nous citons le professeur des apprentissages fondamentaux, spécialement dans les apprentissages en mathématiques et français, qui suit les élèves d’une même classe du CP au CE2, les classes de CP-CE2 à effectifs réduits pour les élèves les plus défavorisés ou encore le tutorat entre élèves. Mais il faut également que les enseignants soient davantage soutenus pour suivre les élèves les plus en difficulté. Cela passe par une formation continue obligatoire et de qualité et appuyée sur les résultats de la recherche, par des enseignants surnuméraires spécialisés dans l’accompagnement des élèves en français et en mathématiques dès le CP, intervenant dans la classe, et par la mise à disposition des enseignants de ressources riches et adaptées à la classe.

Sur ce sujet des mathématiques à l’école primaire, nous avons d’ailleurs un ensemble de préconisations très concrètes pour les enseignants qui ont été rédigées par le jury de notre conférence de consensus de novembre 2015 : développer la manipulation d’objets même au primaire, s’appuyer sur l’oral, privilégier le calcul mental, etc. Autant d’éléments, validés par la recherche, qui peuvent améliorer les apprentissages.

Sur l’apprentissage de la lecture, vous recommandez de « préparer, dès la maternelle, l’apprentissage de la lecture dans ses différentes dimensions ». Est-ce une remise en cause des nouveaux programmes de maternelle, plutôt bien accueillis dans l’ensemble ?

Un des axes des programmes de la maternelle est « mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », notamment pour une « entrée progressive dans la culture de l’écrit ». La préconisation du Cnesco, issue de la conférence de consensus organisée en partenariat avec l’IFÉ-ENS de Lyon, s’inscrit pleinement dans cet axe, en allant un peu plus loin, puisqu’il ne s’agit pas seulement de préparer l’entrée dans la culture de l’écrit, mais de préparer l’apprentissage de la lecture, donc l’entrée dans l’écrit.

Vous faites beaucoup de préconisations visant à plus d’égalité entre les élèves : éducation prioritaire, handicap, orientation, etc. Quelles chances réalistes voyez-vous d’avancer dans cette direction qui est loin d’être souhaitée vraiment par tout le monde ?

Ces thématiques sont effectivement en débat dans le système scolaire. Et ces débats sont nécessaires et bénéfiques pour faire avancer l’école. Il n’y a pas de réforme sans contradiction. Pour autant, il ne faut pas se le cacher : le haut niveau des inégalités sociales dans l’école française questionne déjà la capacité de notre société à développer une cohésion sociale et nationale ; sur le terrain, les personnels de l’Éducation nationale mais aussi les élus locaux sur tout l’échiquier politique républicain en ont conscience. C’est le sens des évaluations menées par le Cnesco, qui font le lien entre les travaux de recherche et l’expérience des acteurs de terrain. Sur les mixités à l’école, sujet qui suscite beaucoup de réactions, nous avons apporté des éléments d’éclairage au débat, en dressant un diagnostic précis de la ségrégation dans les collèges et lycées français et en synthétisant les résultats de la recherche sur les bénéfices de la mixité. Aujourd’hui, le réseau qui s’est mis en place suite à notre conférence s’active sur différents terrains d’expérimentations, autour de démarches de concertation. Cela nous prouve qu’il y a une vraie possibilité de faire avancer l’école, même sur des sujets qui ne paraissent pas consensuels, si on propose un débat éclairé.

Nathalie Mons
Présidente du Cnesco
Propos recueillis par Cécile Blanchard
Pour en savoir plus
Les trente préconisations du Cnesco pour améliorer l’éducation en France : https://www.cnesco.fr/fr/30-preconisations/