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Des pratiques gagnantes en sciences et technologies

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Pour gagner la confiance de la classe et l’embarquer dans une activité complexe, rien de tel que de s’inspirer de pratiques gagnantes, qui font le lien entre le quotidien et les concepts scientifiques.

Les citoyens devront faire face dans le futur à la demande croissante de la société pour résoudre des problèmes environnementaux et sociaux complexes. Les compétences d’investigation scientifique sont parmi les plus demandées1. Pour former la future génération de scientifiques et de citoyens éclairés, les élèves des classes élémentaires devront développer les compétences d’investigation suivantes : formuler des questions, faire des prédictions, interpréter des données, synthétiser des informations et tirer des conclusions. Selon les critères des pratiques gagnantes, proposer un enseignement des sciences fondé sur l’investigation (ESFI) serait la façon la plus sure de développer ces compétences chez les élèves.

Au Canada, les enseignants à l’élémentaire enseignent les sciences et technologies2 Notre équipe de recherche travaille actuellement avec huit enseignants experts de l’élémentaire, des niveaux 4e à 6e année de la province de l’Ontario. Notre travail vise globalement à identifier et à caractériser leurs meilleures pratiques en enseignement des sciences et technologies et à diffuser ces pratiques grâce à un site web. Le présent article vise à mettre en évidence et à analyser une séquence d’enseignement proposée par une des enseignantes de 6e année, qui porte sur une activité d’investigation.

Une pratique gagnante3. est définie comme celle qui accompagne, motive et influence positivement les élèves dans leurs apprentissages4. Notre recherche a permis d’identifier une pratique gagnante à partir de six principaux critères : 1. les contenus sont reliés à la vie quotidienne ; 2. la pratique rejoint la communauté des chercheurs ou la communauté en général ; 3. la pratique a recours à des démarches d’investigation ; 4. l’activité vise à développer des concepts scientifiques ; 5. les évaluations sont ancrées dans la tâche ; 6. une variété de formes de représentations (incluant les technologies) est utilisée5

On constate que les démarches d’investigation sont au cœur des pratiques gagnantes, mais qu’elles peuvent prendre des formes multiples : observation, exploration, expérimentation, modélisation ou conception technologique6 Les démarches d’investigation se distinguent des autres stratégies d’enseignement par le questionnement et la confrontation des idées et des preuves, qu’elles placent au cœur de l’activité pédagogique.

Martine, enseignante de notre groupe, enseigne les sciences et technologies et le français à trois classes de 6e année.

Une pratique gagnante : la forêt, milieu de vie

La séquence « La forêt, milieu de vie » se situe dans le domaine « Les systèmes vivants-Biodiversité ». Ce projet se déroule en trois périodes. Il consiste en une sortie en forêt aux abords de l’école. Selon Martine, il s’agirait d’une pratique gagnante, parce qu’elle permet un travail collaboratif entre les élèves, une exploration du milieu naturel, de même que l’acquisition de notions de classification. Lors d’une première période, l’enseignante présente l’activité en prétextant que des promoteurs immobiliers veulent raser la forêt aux abords de l’école. Toutefois, un groupe de citoyens s’y oppose. Ce groupe a décidé de faire appel aux élèves de l’école pour les aider à décrire le milieu de la forêt, sa biodiversité, en faisant l’inventaire des êtres vivants qui s’y trouvent. Les élèves, motivés par cette mission, forment des équipes et établissent un plan d’inventaire. Ils sont équipés d’une tablette par équipe pour prendre des photos et des notes. Sur le terrain, les élèves doivent utiliser leurs connaissances antérieures pour trouver et identifier les êtres vivants. Au cours de la troisième période, les élèves impriment leurs photos, puis le travail de classification s’amorce, ce qui suscite de vives discussions propices aux débats argumentés. Martine demande aux élèves d’esquisser un premier tableau de classification pour les animaux et les végétaux, sans chercher dans la documentation. Ils séparent les organismes selon leurs caractéristiques communes à l’aide de la collection de photos de vivant prises dans la forêt. Puis vient la phase de confrontation à la documentation. L’utilisation des TIC (technologies de l’information et de la communication), tels la tablette et l’internet, rend cette activité plus enrichissante. Les élèves élaborent de nouveaux tableaux de classification. Ces tableaux, exposés au mur de la classe, sont présentés par chacune des équipes. Une plénière, permettant de faire les dernières corrections de classification, clôture le déroulement de la séquence. Par la suite, la rédaction d’un poème sur la forêt rend possible l’intégration du français. Des photos des tableaux de classification seront expédiées au groupe citoyen. L’enseignante propose une autoévaluation et une évaluation par les pairs.

Une auto-investigation

Dans cette séquence proposée par l’enseignante comme exemple de pratique gagnante, on reconnait les critères d’une telle pratique. Elle touche le quotidien, et se réalise au sein d’une communauté, ce qui favorise l’intérêt et l’engagement des élèves (critères 1 et 2). La démarche d’investigation consiste en une exploration (critère 3). L’utilisation de la tablette et de l’internet implique le recours à des représentations multimodales (critère 6). Les élèves font une tentative de classification, puis corrigent leurs conceptions initiales concernant les organismes vivants répertoriés. Ils construisent des concepts scientifiques relatifs à l’identification et la classification du vivant (critère 4). Enfin, l’enseignante met en place une méthode d’évaluation axée sur l’apprentissage, ce qui permet à l’élève de mieux apprécier sa progression personnelle (critère 5).

Au chapitre de l’investigation, Martine a convié les élèves à s’engager dans une exploration sur le terrain puis en classe, permettant ainsi aux élèves de confronter leurs preuves. Selon Orange (2012), la confrontation des preuves et le débat sont souvent indicateurs d’une véritable démarche d’investigation. Martine a en outre accordé aux élèves suffisamment de temps pour qu’ils puissent réfléchir, organiser leurs idées et s’autocorriger.

Nous espérons vivement que de tels exemples de pratiques gagnantes7 permettront de rehausser les compétences scientifiques des élèves, en particulier leurs compétences d’investigation.

Liliane Dionne
PhD, professeure agrégée, faculté d’éducation, université d’Ottawa, Canada.
Bibliographie
Jean-Marie Boilevin, « La place des démarches d’investigation dans l’enseignement des sciences », dans Michel Grangeat (dir.), Les enseignants de sciences face aux démarches d’investigation, 2013.
Des formations et des pratiques en classe (p. 27-53), Presses universitaires de Grenoble, 2013.
Christine Couture, Liliane Dionne, Lorraine Savoie-Zajc et Emmanuelle Aurousseau, « Développer des pratiques d’enseignement des sciences et des technologies : selon quels critères et dans quelle perspective ? », Recherches en didactiques des sciences et technologies (RDST), 11, p. 109-132.
Christian Orange, Enseigner les sciences. Problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe, De Boeck éditeur, 2012.

Notes
  1. Conseil national de recherche, (États-Unis), 2012, http://www.scimathmn.org/stemtc/sites/default/files/downloads/framework_for_k-12_science_education_final_0.pdf
  2. En Ontario, cet enseignement est guidé par Le curriculum de l’Ontario, de la 1re à la 8e année sciences et technologies, récupéré sur le site du ministère : http://www.edu.gov.on.ca/fre/curriculum/elementary/scientec18currbf.pdf.
  3. On parle aussi de « meilleure pratique », traduction de « best practice »
  4. Traduction libre de « effective teaching assists students to learn » (défini par Fitzgerald, Dawson et Hackling en 2009).
  5. Fitzgerald et al., 2009, dans Couture et al., 2015 (cf. bibliographie)..
  6. Boilevin, 2013 (cf. bibliographie)..
  7. Ceux que proposent les enseignants de notre communauté d’apprentissage seront diffusés à l’ensemble des enseignants franco-ontariens, mais aussi aux enseignants francophones d’autres provinces.