Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Quand Superman s’invite en classe

533-une-200.jpg

Ces élèves de CM1 font des sciences avec des expériences, ils font des hypothèses et cherchent à les vérifier scientifiquement, puis repartent sur de nouvelles interrogations.

En CM1, quand nous étudions le mouvement, une série de questions s’impose : « Que se passerait-il si nous n’avions pas de muscle ? Où trouve-t-on des muscles ? Existe-il plusieurs sortes de muscles ? Pourquoi ? Combien de muscles a-t-on ? » En premier lieu, cette étape permet aux élèves de prendre conscience qu’ils savent plein de choses, mais qu’il faut les organiser. Elle permet également de mettre en évidence qu’en science on part de ce qu’on connait, et qu’une étape de recensement des connaissances est indispensable : « Ce que je sais… » La question centrale de notre apprentissage est posée : « Que se passe-t-il quand on plie le bras ? » La discussion qui suit permet d’aborder la notion d’hypothèse : « Je pense que… » Une hypothèse est ensuite dégagée : « Lorsqu’on plie le bras, le muscle du dessus gonfle. » Les élèves doivent alors rechercher une méthode pour prouver ce qu’ils disent.

« Ben, ça se voit maitresse !

— Non, je ne vois rien.

— Mais regarde, touche ! Il est tout dur mon muscle, tu vois bien !

— Je veux bien te croire, mais ça ne prouve rien. Je veux une preuve indiscutable. »

Poser une question de recherche

Et, en général, les élèves font preuve d’une grande imagination technologique ! Une condition de faisabilité à l’intérieur de la classe est donc rajoutée. Leur enthousiasme légèrement freiné, les suggestions sont moins nombreuses, mais la réflexion est intense. Et il arrive toujours un moment où l’un d’eux dit : « On peut peut-être mesurer ! » Au fil des propositions ressort celle d’un mètre ruban, mais il n’y en a pas dans la classe ! L’utilisation de rubans de papier est validée. Mais il faut alors mettre au point une méthode de mesure telle qu’elle soit faisable par tous de la même façon. Ainsi, peu à peu, les élèves sont amenés à concevoir, rédiger et mettre en œuvre un protocole expérimental. Ils pratiquent les mesures en binôme, puis les données sont recensées dans un tableau. Une première lecture de ces résultats permet de voir s’il y a des invraisemblances. Certaines sautent aux yeux : « Maitresse, ce n’est pas possible, il gonfle de quinze centimètres, ce n’est pas Superman ! » Les élèves comprennent alors ce que sont des données aberrantes. Une lecture plus fine permet de constater que les écarts entre les mesures au repos et bras plié se situent entre un et trois centimètres. Lors de cette analyse, ils sont également amenés à comprendre la notion de répétition et son importance. En fin de séquence, le retour à la question de départ permet de voir si l’hypothèse est vérifiée. La notion de muscle antagoniste peut alors être précisée. La synthèse est rédigée et aboutit à une nouvelle question : « Comment les muscles peuvent-ils se contracter et se détendre ? »

valider des hypothèses

La séquence suivante commence donc par cette interrogation, suivie d’un nouveau recensement des connaissances, d’où ressort l’importance des os. Les élèves sont alors amenés à observer et réfléchir : « Existe-t-il différents types d’os ? Pourquoi ? Les os sont-ils des organes vivants ? » Lors de ces séances, les élèves manipulent des os d’animaux (poulet, porc, veau), des clichés de radios et d’IRM qui leur permettent de répondre aux hypothèses qu’ils ont émises puis, lors de la rédaction de la synthèse, d’aboutir à une nouvelle interrogation : « Comment les muscles et les os fonctionnent-ils ensemble ? » Pour y répondre, les élèves manipulent alors de véritables articulations. Suivant les années, ce sont des épaules d’agneau ou des bassins et cuisses de grenouille. Ils doivent dans un premier temps observer et essayer de retrouver ce qu’ils connaissent, puis dessiner en légendant leur dessin. Cela implique de porter des hypothèses sur la fonction des éléments qu’ils voient. Lors de la synthèse globale, la comparaison et l’interprétation des différents dessins permettent l’élaboration collective d’un schéma explicatif. Enfin, pour terminer cette série de séquences, les élèves reprennent les trois problèmes définis précédemment et vérifient qu’une hypothèse a été validée pour tous.

apprendre la rigueur scientifique

L’ensemble des séances pour le chapitre sur le mouvement s’étale de fait sur une période assez longue. Mais c’est dans ma classe un préalable nécessaire, qui permet de définir des notions indispensables à la mise en œuvre d’une démarche scientifique. La démarche est récurrente et la mise en œuvre pour les chapitres suivants est identique tout au long de l’année : questionnement, recensement des connaissances, émission d’hypothèse(s), vérification par observations, manipulations, expérimentations ou recherche documentaire, conclusion et synthèse. Ce systématisme permet aux enfants de réaliser que les sciences se font de manière rigoureuse, selon une démarche précise. Ils prennent également conscience que la réponse à une question appelle une autre question et que, notamment en biologie humaine, tout est lié.

Ils font des sciences avec des expériences, ils aiment les faire et ont envie de le partager en le disant autour d’eux !

Sylvie Baud-Stef
professeure  des écoles

EXEMPLE – Je t’avais bien dit que la Terre devait passer devant la Lune !
Cette année, pour mon double niveau CE1-CM2, j’ai dû revoir mes séances de sciences afin de proposer un travail qui soit à la fois dans les programmes de cycle 2 et de cycle 3 et qui puisse être fait en commun. Je me suis donc lancée dans l’astronomie, encouragée par la dernière éclipse de Lune. Nous avons étudié le système solaire, puis réalisé des expériences sur l’ombre et la lumière. Pour les élèves de CE1, former une ombre n’a pas été simple. Ils ont beaucoup réfléchi et manipulé avant de réaliser que pour qu’il y ait une ombre, il fallait que l’objet soit entre la source lumineuse et l’écran. Pour les élèves de CM2, cela a été acquis très vite, nous avons donc travaillé davantage sur l’obtention d’une ombre plus grande, plus petite, déformée, et sur la rédaction de compte rendu. J’ai demandé ensuite aux élèves de CM2 de préparer une simulation et un poster sur l’éclipse de Lune ou de Soleil, par groupes de trois ou quatre. J’ai laissé les groupes se former comme ils le souhaitaient. Les deux groupes responsables de l’éclipse de Lune étaient un groupe de trois élèves plutôt brillants et un autre de quatre filles moins brillantes. Deux autres groupes travaillaient sur l’éclipse de Soleil. Les élèves travaillant sur l’éclipse de Soleil ont présenté des simulations et des posters de qualité. Puis est venu le groupe de trois bons élèves sur l’éclipse de Lune, qui nous a présenté une éclipse de Soleil ! Réaction de la classe : « Mais, c’est pas ça du tout ! » Intervention d’un autre : « Mais non ! Il faut que la Terre passe entre la Lune et le Soleil ! » Et là, intervention de l’une des quatre petites élèves chargées du même sujet, qui s’adresse à sa camarade : « Ah ! Tu vois ! J’avais raison ! Je te l’avais bien dit que la Terre devait passer devant la Lune ! » En moi-même, je souriais ! J’étais fière de mes petites élèves, qui d’habitude ne brillent pas par leur travail. Grâce aux expériences, elles avaient réfléchi et compris un principe que j’ai moi-même mis des années à comprendre quand j’étais au collège ! Je me suis dit que je n’avais vraiment pas perdu mon temps, même s’il nous a fallu un trimestre de travail pour en arriver là ! Cette situation s’est renouvelée récemment. Mes très bons élèves ne se montrent pas toujours capables de se remettre en question. Cette semaine, je leur ai demandé quelle expérience on pourrait faire pour savoir à quelle température l’eau se transforme en glace. L’expérience qu’ils ont proposée était de mettre l’eau au congélateur, à – 1 °C, et de constater que l’eau avait gelé. J’ai tenté de leur montrer que leur proposition n’était pas conforme à ma consigne :

« Pourquoi – 1 °C et pas 10 °C ou – 10 °C ?

— Bah ! L’eau gèle à 0 °C, donc il faut mettre à – 1 °C.

— Mais ma question n’était pas « montre que l’eau gèle à 0 °C » mais « détermine à quelle température l’eau gèle ». Et comment vas-tu mesurer la température, puisque tu n’as pas prévu de thermomètre et que tu ne peux pas t’installer dans le congélateur ? »

Ces élèves savent déjà beaucoup de choses de manière livresque, mais ils n’arrivent pas à remettre en cause leur savoir, à le mettre à l’épreuve de l’expérience. Quand ils feront l’expérience mise au point par les autres élèves la semaine prochaine, ils constateront que l’eau du robinet gèle à 2 °C ! Il faudra essayer de comprendre pourquoi.
Patricia Gérot
Professeure des écoles en cycle 3 (Yvelines)