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De la pertinence des armes en Amérique ?

En cours d’anglais, il est possible d’étudier un sujet à la fois d’actualité et sociétal en développant des compétences civiques et disciplinaires tout en faisant travailler du vocabulaire précis et l’argumentation.

En avril 2016, l’imminence des élections américaines et la course aux primaires démocrate et républicaine occupent régulièrement une place de choix dans l’information internationale et confrontent les élèves français à une culture que beaucoup pensent connaitre, mais qu’ils n’appréhendent, en réalité, qu’en surface. Ainsi, que ce soit à travers des vignettes satiriques, des débats télévisés, des reportages grand angle, ou encore les chaines d’information en continu, difficile d’échapper au traitement de la tuerie de San Bernardino en décembre 2015, aux propos volontairement provocateurs de Donald J. Trump à propos du Bataclan ou encore aux larmes de Barack Obama se remémorant les massacres survenus au cours d’une conférence de presse en janvier 2016, lors de laquelle il dévoile son plan d’action contre les armes. Face à ce flux d’information factuel constant, il est donc intéressant d’apprendre aux élèves à comprendre les enjeux de la question des armes aux États-Unis à travers une recontextualisation précise et de leur permettre ainsi de mieux saisir les enjeux de ce burning issue (sujet brulant, ce qui permet d’aborder aussi un peu de vocabulaire américain sur l’actualité). Par ailleurs, travailler sur cette question en classe permet de confronter les points de vue des élèves français, enracinés dans la culture du « liberté, égalité, fraternité », à une problématique sociétale étrangère à travers différents supports d’information.

Une variété de supports

La séquence que je propose de présenter s’intitule « Keep calm and carry guns ? », c’est-à-dire « Rester calme et porter des armes ? », et rentre dans le programme du cycle terminal. Elle peut à la fois être envisagée du point de vue de la notion « lieux et formes de pouvoir », « l’idée de progrès » ou encore « mythes et héros ». Abordée en 1re générale et technologique, elle s’étend sur plusieurs semaines, temps nécessaire pour saisir la complexité de cette question et éviter ainsi de dresser un portrait manichéen voire caricatural de la culture américaine. L’enjeu de cette séquence réside dans la variété des supports exploitables : articles de presse, éditoriaux, commentaires individuels sur les réseaux sociaux, discours politiques, réactions politiques, dessins humoristiques, œuvres de fiction littéraire ou cinématographique, clips (non) partisans, etc. Cette séquence est abordée en interdisciplinarité avec le professeur documentaliste, qui s’occupera de sensibiliser les élèves à la question de la responsabilité éditoriale. L’objectif de cette séquence est d’amener les élèves à la création d’un numéro spécial sur les armes qui fera l’objet d’une publication et d’une exposition lors de la Semaine de la presse. Pour compléter la séquence, une visite dans une imprimerie a été réalisée afin de permettre aux élèves d’avoir une vision complète de l’édition journalistique.

Le travail sur les sources

Globalement, la séquence s’organise en trois mouvements qui doivent amener l’élève à s’interroger sur la validité des informations qu’il reçoit. De même, il doit être capable, à l’issue des semaines de travail, d’apporter des réponses construites et nuancées à travers l’affirmation d’un propos. Pour permettre cela, nous travaillons dans un premier temps sur les faits culturels entourant la question des armes. Ce travail est avant tout un travail sur les chiffres. Pour cela, nous travaillons sur un article de Wikipédia, outil incontournable car utilisé quotidiennement par les élèves, tout en vérifiant la véracité de ce qui est avancé dans les articles (travail de vérification des sources). Cette première découverte de la question se fait en lien étroit avec un travail sur le système politique américain et permet ainsi de se plonger dans les documents fondateurs de la nation et donc de commencer à affiner le point de vue des élèves. Le passage de la description vers l’analyse se fait via l’étude de documents satiriques traitant de cette réalité culturelle qui permet ainsi d’apprendre aux élèves à décrypter une image, exercice d’une complexité qu’ils sous-estiment souvent.

le traitement de l’information

Les deuxième et troisième mouvements de la séquence concernent le traitement de tueries de masse dans les médias. Dans un premier temps, cet aspect est abordé par des articles de presse américains parus au lendemain des tueries perpétrées (Columbine, Virginia Tech, Aurora, Sandy Hook). Cette partie est intimement liée à leur réception politique et doit permettre aux élèves, à ce stade, de ne plus réagir selon leurs émotions, mais bien d’essayer de comprendre, grâce à divers indices, pourquoi tel ou tel politique soutient ce point de vue ainsi que la tradition dans laquelle il s’inscrit. En effet, un temps de la séquence aura également été consacré à l’analyse d’un débat soulignant la différence radicale des points de vue sur la question des armes, et aura été prolongé avec un temps de recherche sur le profond ancrage de cet aspect culturel dans la société américaine et le lobby pro-armes. Le point de vue inverse est, quant à lui, travaillé via des discours ainsi que l’analyse de certains extraits du film de Michael Moore, Bowling for Columbine.

Vers la rédaction d’un éditorial

Enfin, la dernière étape de cette séquence se concentre sur la spécificité de l’article éditorial. Pour ce faire, nous analysons en classe l’éditorial du New York Times, « End the Gun Epidemic in America » (« Arrêtez l’épidémie d’armes aux États-Unis »), tant du point de vue de son contenu, des références culturelles, que du point de vue du format de l’exercice. La réécriture de certains passages en jouant sur les points de vue à adopter permet aux élèves de se rendre compte que la subjectivité est totale et omniprésente en matière d’information et que, loin d’être purement informative, il est très aisé d’orienter les lecteurs.

Cette séquence doit ainsi permettre aux élèves d’avoir le point de vue le plus complet possible sur une question très complexe, en étant capable de prendre en compte l’histoire et les différentes réalités culturelles de pays étrangers. Si les premiers cours donnent des prises de position quasi unanimement manichéenne à propos de la question des armes aux États-Unis, les élèves parviennent, après quelques semaines, à envisager la complexité de la question, et surtout à lire un évènement selon différents points de vue, après avoir accédé à l’implicite et à la subjectivité des documents leur permettant ainsi de justifier, grâce à des arguments construits et documentés, leurs propos lors de l’évaluation finale, qui consiste en la rédaction d’un éditorial qui sera intégré à leur journal.

Sophie Mathieu
professeure d’anglais dans l’académie de Versailles