Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Une composante de « agir sur le monde » en français

L’auteur présente les entrées possibles de l’EMI dans les nouveaux programmes de français de cycle 4. Il y défend le rôle important des enseignants de cette discipline dans l’EMI et propose des pistes de travail à la fois disciplinaires et transversales.

Le programme de français du cycle 4 s’organise autour de grandes entrées qui sont non pas de vagues thèmes, comme le prétendent les détracteurs qui n’ont visiblement pas lu le texte les présentant, mais des questionnements qui doivent être abordés de toutes les manières : oral, lecture, écriture, avec une progression d’une année à l’autre. Manière de relier les activités du français autour de problématiques qui permettent de leur donner du sens, puisqu’il s’agit de questions qui se posent à nous tous : comment se construire, affronter le monde en tentant d’agir sur lui ? Nous renvoyons à la lecture du volet 3 de ces programmes, mais qu’il faut mettre en relation avec le volet 1 qui cherche à définir la spécificité du cycle.

Rien de figé, mais pour être plus assurés que les différentes questions seront traitées effectivement, les rédacteurs, dont j’ai été le pilote en
français, ont souhaité établir une programmation pour chaque année du cycle. Et pour ce qui est du traitement de l’information, il a semblé pertinent d’inscrire la question, sous partie de « agir sur le monde » en classe de 4e.

Le thème s’intitule « informer, s’informer, déformer ? » et le point d’interrogation marque bien l’importance du développement de l’esprit critique, à travers bien sûr l’exposition de plusieurs points de vue autour d’un même fait, les risques d’une vérification des sources insuffisante, les effets de la rédaction et du montage. Il est aussi évoqué la nécessité de « s’interroger sur les évolutions éditoriales de l’information ». Comment pourrait-on étudier la presse en restant à une conception archaïque de la domination du papier et d’une circulation relativement lente par rapport à nos critères d’aujourd’hui de l’information ?

une multiplicité d’activités possibles

Le texte suggère divers supports. On encourage leur variété. À partir de ma pratique antérieure et d’échanges avec des collègues, je propose ici quelques pistes, en dehors des classiques du travail sur la presse ou sur les médias audiovisuels :

  • analyser des textes littéraires traitant de la circulation de l’information (des extraits de Bel-Ami de Maupassant pour la face plutôt noire du journalisme, à opposer au combat pour la défense de Dreyfus), à prolonger avec des morceaux de films (par exemple Bas les masques de Richard Brooks, 1952). On peut facilement trouver sur internet des filmographies sur le sujet ;
  • faire écrire des articles de presse, en utilisant un format web éventuellement, à partir d’un roman travaillé en classe, ou réaliser un reportage audio (par exemple, le mystère de La Vénus d’Ille, souvent étudié en 4e, traité à la manière d’un journal populaire ou d’une chaine d’infos) ;
  • lors d’un EPI (enseignement pratique interdisciplinaire), traiter par exemple un thème scientifique, une découverte sous la forme d’une page de magazine jeunesse, en s’inspirant de modèles bien sûr (l’excellent Science & Vie Junior) et de formes accrocheuses et vivantes. Il est alors intéressant de faire place à la controverse scientifique ou l’opposition aux croyances non fondées (en ce cas, il vaut mieux renvoyer au passé, par exemple sur l’âge de la Terre ou sur la dérive des continents, en s’appuyant sur le programme de géologie) ;
  • étudier de près des articles de propagande, en relevant ce qu’ils peuvent avoir de mensonger et manipulateur. Mais bien entendu, il s’agit là d’un domaine assez explosif, puisqu’il ne s’agit surtout pas de plonger les élèves dans le relativisme du « ils nous mentent tous ».
Renforcer la vigilance

Le plus intéressant est d’introduire une vigilance plus qu’une méfiance, selon que l’auteur du texte a ou non un intérêt de présenter les faits de telle ou telle façon. Cet intérêt pour autant ne disqualifie pas ce qu’il écrit, mais doit renforcer notre vigilance. Des exemples pris dans l’environnement immédiat des élèves (les rumeurs, les fausses informations pouvant circuler dans un collège) peuvent être utiles pour bien faire comprendre l’importance de la source et du statut de celle-ci.

Nous avions conçu par exemple des pages de journaux imaginaires autour de la Révolution française, en changeant les points de vue (très favorable, hostile, plus neutre, etc.). Chacun peut avoir ses raisons, mais pour autant, il y a bien des vérités objectives, on le sait.

Il est plus que jamais essentiel de travailler sur la distinction entre faits et commentaires, à une époque où on est peut-être entré dans le dangereux postfactuel. Le Monde du 12 juillet 2016, peu après le succès du Brexit, expliquait (blog Big-Browser) : « Le rôle des médias dans cette situation (dire pourquoi cela est vrai ou faux, contextualiser, illustrer) est rendu difficile, voir impossible, à la fois par la confiance en chute libre que leur accordent les lecteurs et par des responsables politiques qui ne se sentent plus obligés de jouer le jeu. Le Guardian rappelle ce que lui a confié Arron Banks, un des principaux financiers du “Leave”, après les résultats. En substance : en politique, une campagne politique se gagne par l’émotion et non plus par la démonstration. »

Face à cela, la responsabilité des enseignants est grande et complexe. En français, cela nécessite de travailler : sur l’énonciation (qui tient tel ou tel discours, (qui parle, dans quel contexte énonciatif, dans quel but ?)) ; sur les expressions appréciatives (différence entre « déclarer que » et « prétendre que », etc.), le travail sur les médias étant une occasion en or pour travailler la langue (les modalisateurs, l’usage ou non du conditionnel, etc.) ; sur le recoupement des sources, les risques de la généralisation à partir d’un exemple, la déformation de tel propos, ne serait-ce que parce qu’on ne le reprend que partiellement.

Produire de l’information

Tout cela doit être partie intégrante des activités de français et si, en 4e, cela s’inscrit dans la question de l’information, au fond, depuis l’école primaire, nous sommes amenés à travailler ces distinctions, à développer la probité intellectuelle, à mettre en garde contre la dérive hypersceptique qui fait se méfier de tout et la dérive de la croyance naïve qui peut nous faire avaler tout. Et rien de tel pour y parvenir que de mettre les élèves en position de producteurs (oral, écrit, etc.).

C’est d’ailleurs pour cela que les rédacteurs des programmes ont bien insisté pour que les questions comme celle de l’information ne soient pas seulement abordées sous forme de réception de textes (ou de documents audiovisuels), mais débouchent sur des pratiques d’exposés, de débats ou de mises en scène théâtrales d’une part, d’écriture d’articles en tous genres, de dialogues, de textes narratifs ou documentaires. Avec bien sûr un large recours au numérique, par où passe l’essentiel de l’information aujourd’hui.

Le professeur de français, du coup, ne peut qu’être une pièce maitresse dans l’EMI.

Jean-Michel Zakhartchouk
professeur de lettres honoraire