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De l’album au débat

L’auteure travaille à partir d’un album, pour faire réfléchir ses élèves et leur faire prendre conscience de comment se construit l’information, mais aussi des faits par rapport à nos préjugés et aux rumeurs. Ils évoluent ainsi suivant l’âge pour travailler, sans que cela soit précisé, sur le point de vue et une ligne éditoriale pour le journal que les CE2 publient.

Même lorsqu’on est remplaçante, la vie de la classe offre parfois de belles occasions sur lesquelles s’appuyer pour faire de l’éducation aux médias. Ainsi ai-je eu l’opportunité de mettre en place une séquence similaire pour des élèves allant de la grande section maternelle (GS) au CE2. Dans chaque classe, à partir d’une information donnée sous forme d’une illustration d’album, les enfants sont mis en situation d’exercer leur esprit critique. Ils sont amenés à réfléchir et débattre sur la qualité de l’information et les notions d’apriori et de préjugé. Le matériel de base est l’album Loup noir d’Antoine Guillopé1. dont la particularité est d’être constitué de très belles illustrations, en noir et blanc et sans texte. Sur l’illustration choisie, la scène se passe en forêt. Au premier plan se trouve un loup, de dos, qui regarde en direction d’une silhouette enfantine située en contrebas. L’image est projetée à l’ensemble de la classe, les élèves l’observent attentivement, réfléchissent à ce qui est représenté, puis imaginent ce qui s’est passé et ce qui va se produire. Selon les niveaux, les modalités diffèrent ensuite légèrement, mais de manière générale, après discussion où un certain nombre d’hypothèses sont émises, un texte est rédigé.

Des activités adaptées
En grande section

Les GS produisent un texte collectif, avec dictée à l’adulte. Après la phase de description, ils doivent donc poursuivre l’histoire. Cela donne lieu à un débat : « Le loup est-il méchant ? » Certains pensent que s’il l’est, l’histoire doit se finir mal, mais pour d’autres, plus nombreux, il n’y a aucun doute : le loup n’est pas méchant. Chaque parti doit argumenter et à l’issue de la discussion, le groupe classe doit proposer une fin pour leur histoire. Les enfants dessinent ensuite des illustrations pour leur récit, puis la production finale est confrontée à la version originale. L’album est analysé page par page, notamment pour détecter les convergences et les divergences entre l’histoire initiale et celle inventée par la classe.

En classe de CP-CE1

Les élèves doivent écrire un récit. À l’issue de la première phase d’écriture, les textes sont présentés à la classe, comparés et classés en trois catégories : version avec un « méchant loup », avec un « loup gentil », avec un type de loup « non précisé ». Les divergences sont soulignées et analysées avant que chacun ne complète et termine son texte. L’album est ensuite montré dans son intégralité, dans un premier temps sans commentaire. Les élèves présentent différentes interprétations. L’album est de nouveau lu mais page à page, permettant une confrontation des hypothèses émises avec la version initiale. Les enfants sont alors amenés à débattre : « Pourquoi le loup dans nos histoires est-il si différent que dans celle de l’auteur ? ».

En CE2

Les élèves doivent rédiger un article pour un journal. Les premiers jets individuels permettent de constituer des équipes éditoriales. Les élèves doivent alors produire un texte commun et lui donner un titre. Les articles des différents groupes sont ensuite présentés à l’ensemble de la classe, comparés puis confrontés à l’histoire originale. L’analyse des divergences amène les élèves à s’interroger : « Pourquoi, à partir de la même information de départ, nos articles ont-ils des messages si différents ? » Cette analyse des divergences observées permet aux enfants de prendre conscience du poids des aprioris et des préjugés. Ils réalisent l’importance de la vérification et de la confrontation des sources. Pour aider leur réflexion, illustrer leurs propos, ils se documentent sur le loup, lisent, écoutent, consultent d’autres textes, histoires et documents.

Des perceptions différentes

Cette séquence, d’abord faite en CE2, a été déclinée et ajustée pour des classes de GS et CP. Ce qui permet de voir une évolution dans les perceptions des enfants. Dans chacune des classes, le travail a abouti à un questionnement des élèves sur le bienfondé de leur interprétation. Pour la majorité des CP,CE1, CE2, c’est évident, le loup est méchant : « On sait bien que le loup mange les hommes ! » Ils argumentent en se référant aux histoires qu’ils connaissent, notamment aux contes traditionnels ainsi qu’aux rumeurs et informations de différentes natures qu’ils ont entendues : « Il y a bien des loups dans les Alpes qui mangent des moutons et les gens ont peur, alors ! » En revanche en GS, la tendance est inversée. Lors de la discussion, il apparait en fait que tout le monde est d’accord : le loup n’est pas méchant, même s’il y a des gens qui pensent qu’il l’est et qu’il mange les enfants. Les enfants voient en l’image de ce loup « un super doudou » et s’insurgent du fait qu’on puisse le supposer méchant. Aussi, pour eux, lorsqu’ils voient la fin de la version originale, c’est une évidence : le loup et l’enfant deviennent amis. Ils sont rassurés.

En CP-CE1

À l’issue de l’analyse page à page de l’album, au moment d’émettre des hypothèses sur la fin de l’histoire, se retrouvent les caractéristiques « loup mangeur d’enfant » : le loup saute sur l’enfant pour le manger ; « loup copain » : le loup saute sur l’enfant pour lui faire une blague et un câlin ; mais apparait également le « loup sauveur » : le loup saute sur l’enfant pour le sauver. Après confrontation avec la fin originale, les enfants aboutissent à une conclusion : si on pense que le loup est méchant, c’est à cause de ce qu’on croit savoir. Ils réalisent également que ce n’est pas parce que c’est écrit que c’est vrai et que les histoires ne disent pas toujours la vérité. Dans l’ensemble, ils apprécient la version de l’auteur, excepté un des élèves qui la rejette. Fan du conte de Pierre et le Loup sous toutes ses versions, il ne veut pas démordre de sa version, logiquement le loup ne peut pas être gentil et encore moins sauver le petit garçon.

En CE2

En écrivant un article de journal et en lui donnant un titre, les élèves ont implicitement choisi un angle d’analyse. Les approches sont très diverses, allant du texte documentaire au genre article à sensation. La confrontation des différentes productions associée à un retour à l’information initiale, l’illustration, amènent les enfants à s’interroger : « Pourquoi les versions sont-elles aussi différentes entre elles ? » Une typologie en fonction des contenus leur permet de prendre conscience que le décalage entre les différentes catégories repose essentiellement sur deux points : la différence entre informations disponibles et informations supposées, l’influence de la formulation et du ton de l’article. Les élèves réalisent qu’à partir d’une même information initiale on aboutit à une grande diversité de textes et que le type de rédaction influe fortement sur le message contenu dans le texte. Ils se rendent compte que ces messages peuvent être de natures très différentes, voire totalement contradictoires. Ils comprennent ainsi ce que signifie ligne éditoriale et article à sensation. Certains ayant fait le rapprochement avec les notions de rumeur et de réputation, les enfants réalisent alors que les préjugés se retrouvent aussi dans ce qu’on écrit. L’un d’eux, auteur d’un des textes les plus gores, s’exclame même : « Le pire, maitresse, c’est que je le savais que le loup n’est pas mangeur d’homme, mais je l’ai oublié quand j’ai écrit l’article. Et puis, je trouvais que cela faisait plus vrai ! » Les élèves se rendent ainsi compte de la nécessité d’user d’esprit critique et de l’importance de vérifier, confronter des sources d’information.

Partage et plaisir

Que ce soit en CE2, en GS ou en CP-CE1, les séances d’écriture et d’analyses se sont déroulées sur trois jours, durée maximum des remplacements concernés. Dans chacune des classes, l’activité de production d’écrit étant familière et l’illustration ayant fortement intrigué les élèves, la participation a été très forte. Pour nourrir leur réflexion, les élèves, en parallèle, dans d’autres disciplines, ont lu, écouté, regardé, travaillé à partir de différents types de documents et textes sur le loup. Au fur et à mesure des séances, les opinions des enfants se sont affirmées, les arguments étoffés, les discussions enrichies. Au sein de chacune des classes, pourtant si différentes, l’implication de chacun, la qualité des échanges, la pertinence de leurs réflexions ont été exceptionnelles. Ces séances ont été, pour les élèves comme pour moi, de véritables moments d’apprentissages, où des valeurs citoyennes ont été vécues et partagées avec plaisir.

Sylvie Baud-Stef
professeure des écoles en Meurthe-et-Moselle

Bibliographie

Grille d’analyse d’une image par Campus, Le Monde, en ligne : http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/05/25/conseils-pour-analyser-une-image_4926285_4401467.html

Notes
  1. Antoine Guillopé, Loup noir, éditions Casterman, 2014.