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Débusquer des hoax, un jeu d’enfants

L’auteure s’efforce de permettre aux élèves de CM2 de repérer avant leur entrée au collège les fausses informations et les rumeurs. La séquence décrite ici permet aux élèves de développer leur esprit critique et de ne pas confondre information et intox sur la toile.

Donner des clés aux élèves pour faire la différence entre info et intox sur le web, voici l’enjeu de cette séquence d’éducation aux médias. Avec ces cours d’esprit critique, mon objectif est d’aider les élèves à devenir des cybercitoyens avertis qui ne se fassent pas manipuler et qui respectent les valeurs de la République sur les territoires numériques. Mon scénario pédagogique1 http://www.ac-grenoble.fr/ien.cluses/spip.php?article583[/efn_note]est divisé en huit séances d’une heure trente. À l’issue de cette séquence ludique, les enfants se sont vu décerner un diplôme « d’apprenti hoaxbuster », lors d’une cérémonie au cours de laquelle ils ont prêté serment sur la tête de la souris de leur ordinateur : « Avant d’utiliser ou de transmettre une information, toujours je la vérifierai. »

Partir d’un fait divers

En novembre 2016, les discussions autour des attentats parisiens de cet automne ont servi de préambule. Nous avons longuement parlé de ces évènements ainsi que d’un fait divers qui s’est déroulé dans un village situé à une vingtaine de kilomètres de notre école, dans lequel un jeune homme avait été arrêté pour détention de vidéos djihadistes et d’un drapeau de Daesh. Nous avons listé leurs hypothèses sur la manière dont on peut déterminer la fiabilité d’une information. « Aller sur internet. » Mais sur quel site ? « Se rendre sur place. » Pour s’adresser à qui ? « Téléphoner à une cousine qui habite là-bas. »

Pour comprendre la difficulté de transcrire la réalité qui est complexe, les enfants ont appréhendé les notions d’objectivité et de subjectivité au travers de jeux de rôle. Une partie de la classe s’est mis dans la peau de journalistes, pendant que les autres ont joué les interviewés. Cet exercice leur a permis de découvrir l’importance de connaitre les différents points de vue des protagonistes impliqués dans un évènement qui apportent des éclairages parfois contradictoires sur la manière dont il s’est déroulé. Les témoignages ont-ils tous la même valeur ? Ces exercices nous ont permis de revenir sur les hypothèses émises au mois de novembre. « La cousine de F. est-elle une source fiable ? » Autre problème, difficile de mettre de côté ses opinions, ses gouts, ses préjugés et ses passions. Sans compter qu’on peut commettre des erreurs.

Distanciation et esprit critique sont nécessaires pour aborder une information et se forger sa propre opinion. Un esprit critique qui doit être d’autant plus aiguisé pour se repérer sur internet, où n’importe qui peut écrire et publier, sans être soumis à une déontologie.

Infos ou intox ?  Savoir faire la différence

Pour démarrer l’investigation, les élèves ont appris à disséquer l’information et à remonter à sa source, en identifiant qui en est l’auteur, à quelle date elle a été diffusée et sur quel site. Le site est-il fiable, parodique ou coutumier des hoax, voire dangereux ? Puis, ils ont découvert une stratégie : croiser les informations sur plusieurs médias fiables et écarter celles en provenance de sites non fiables. Mais si un journal est fiable, à quoi bon prendre la peine de recouper l’information ? Tout simplement pour vérifier que celui qui l’a rédigée ne s’est pas trompé et pour trouver des éclairages différents. En croisant l’information entre différents médias, les élèves ont constaté de grandes similitudes dans le traitement de ce fait divers, mais également un détail divergent : l’âge du jeune Savoyard mis en examen différait suivant les supports. Ce détail, c’est eux qui l’ont trouvé ; je n’y avais pas prêté attention ! Une occasion de se poser cette question : « Pourquoi de fausses informations circulent-elles sur le web ? » Ils ont aisément trouvé : par erreur, par négligence, faute de vérifier suffisamment ce qui est publié, mais également pour faire le buzz, gagner des clics, se faire de la publicité, pour convaincre, pour nuire et pour rire.

Mais comment s’y prendre pour savoir si un site est fiable ? Les élèves ont appris à cliquer sur les onglets concernant les auteurs d’un site. C’est ainsi qu’ils ont découvert avec plaisir des sites parodiques tels que Le Gorafi, avec un article sur le voyage de Justin Bieber vers la Lune avec 1 000 de ses fans.

Un travail de décryptage

Nous avons ainsi consulté des articles en provenance de sites complotistes figurant dans ce document, traitant des attentats du 13 novembre, qui incriminent les États-Unis, l’Europe et Israël comme responsables de cette tragédie. S’en est suivie une séance de langage très animée sur les rumeurs. Petits bruits de couloir dans l’école , « Untel est alcoolique, car il mange beaucoup de fondue. » Les élèves m’ont même surprise quand ils ont évoqué la zone 51, dont je n’avais jamais entendu parler. Une belle occasion pour mener l’enquête ensemble et rechercher la vérité. En croisant l’information avec des sites fiables, l’encyclopédie Wikipédia et des médias tels que grands publics, en écartant les sites non fiables, nous avons compris que cette zone 51 avait servi aux Américains de base militaire secrète pour tester des avions et non pour accueillir des aliens.

Outre le travail sur les sources de l’information, les élèves ont découvert l’importance de la contextualisation des textes et des images. Une photo peut être manipulée de mille et une façons. On peut mentir sur sa légende, la date et le lieu de la prise de vue, les noms des personnes photographiées. La vidéo de France 24 Info ou intox, comment déjouer les pièges propose plusieurs exemples percutants. La photo d’une fillette recouverte de boue, serrant un petit chien contre son cœur a fait le buzz. Les internautes se sont apitoyés devant cette pauvre enfant censée avoir été photographiée pendant la guerre en Ukraine, alors que le cliché a été pris en Australie, quatre ans avant le conflit. Pour prouver qu’on peut facilement inventer une légende, les élèves se sont amusés à en imaginer à leur tour. D’où l’intérêt de leur montrer l’utilisation d’applis très simples pour retrouver où et quand une photo a été postée.

Analyser l’image fixe et animée

Le choix du cadrage peut également modifier le message d’une image. Ainsi avons-nous travaillé sur la photo d’une collègue de l’école s’apprêtant à découper un gâteau posé sur son bureau. En cadrant uniquement sur la main levée tenant le couteau et en plaçant le gâteau hors cadre, on laisse planer un doute sur ses intentions : va-t-elle découper les doigts des enfants qui l’entourent ? Réactions des élèves : « Si quelqu’un utilisait ce cliché pour le faire circuler sur la toile, ça pourrait être catastrophique. »

Dans la même veine, les enfants ont découvert avec une vidéo de Spicee,2

Sens critique, comment on peut donner différentes versions de la réalité au moment du montage d’un film suivant les images choisies et les commentaires ajoutés.

Autre méthode répandue pour manipuler une photo : on peut la modifier grâce à des logiciels comme Photoshop. Un photomontage de notre établissement scolaire transformé en hôtel cinq étoiles illustre l’article « Fermeture des écoles primaires en juin », placé à la une du journal parodique créé par les élèves cette année, le Grand Budapest Hôtel de Wes Anderson ayant été incrusté à sa place. Les élèves ont pu se faire expliquer précisément la technique par la graphiste qui l’avait réalisé. Cette dernière a été impressionnée par la qualité des questions et de leur écoute.

Le ressenti des élèves

Beaucoup de fous rires pendant les séances, surtout pendant les improvisations, pendant la traque des hoax, mais aussi quand ils ont lu les journaux parodiques. L’an dernier, les rires ont laissé place à l’étonnement, lorsqu’ils ont présenté leur journal parodique aux camarades des autres classes ; ils ont été sidérés de constater la crédulité de leur auditoire. Personne ne s’était posé de question sur la véracité des infos lues. Et pourtant, leur journal était daté du 1er avril. En revanche, cette année, les classes de cycle 3 se souvenaient de la blague. La gravité était également au rendez-vous pour aborder des sujets aussi sérieux que les rumeurs, le racisme, la xénophobie, le conspirationnisme distillés sur le web. Ils étaient abasourdis quand ils ont su que certains adultes croyaient à des balivernes, telles que les chemtrails. « Peut-être que nous aussi, si on n’avait pas fait tout ce travail sur les médias, on aurait pu croire à toutes ces bêtises », a dit un élève. Ne pas nuire, ni blesser autrui, respecter les autres, tel est l’un des messages clés de la séquence où éducation aux médias et éducation à la citoyenneté sont intimement mêlées. L’an dernier, lors des deux dernières séances dédiées aux usages d’internet et des réseaux sociaux, les élèves ont créé une exposition virtuelle d’affiches, avec des conseils et règles de prudence pour naviguer de manière responsable sur la toile3.

EMI : ne pas attendre !

Consommateurs et producteurs d’informations dès leur plus jeune âge, les enfants doivent acquérir des compétences pour s’informer et communiquer de manière responsable. Pourquoi attendre l’entrée au collège pour apprendre à se repérer sur le web, alors qu’ils l’utilisent régulièrement bien avant ? Ne sont-ils pas soumis aux mêmes risques que leurs ainés ? Susciter des questionnements et affuter le regard des élèves pour appréhender la complexité du réel avec des mots simples me semble indispensable pour qu’ils ne soient pas tentés par les discours simplistes et réducteurs des manipulateurs en tout genre.

Rose-Marie Farinella
professeure des écoles à Taninges (Haute-Savoie)
TÉMOIGNAGE
Information et désinformation : hoax, rumeurs et théories du complot
Professeure documentaliste dans un lycée de centre-ville, je suis intervenue dans trois classes avec leur professeur d’histoire-géographie, sur le thème des hoax, rumeurs et théories du complot. Depuis les attentats de janvier 2015, aborder ce sujet avec nos élèves parait fondamental, alors que de nombreuses fausses informations et vidéos circulent sur le web. L’objectif de la séance n’était pas de se poser comme détenteur de la vérité face aux théories du complot. Le dialogue avec les élèves et des supports pédagogiques issus du web ont permis de rappeler que la vérification des sources et l’esprit critique sont les fondements de la liberté de penser. Les flux d’informations aujourd’hui sont une richesse qu’il faut apprendre à utiliser. Nous, enseignants, devons amener nos élèves à acquérir une posture critique et des capacités d’analyse face aux multiples sources médiatiques et d’information.

OUTILS

Hoax et sites parodiques

Dénicheurs de hoax

Secuser http://www.secuser.com
Hoaxbuster http://www.hoaxbuster.com
hoaxkiller http://www.hoaxkiller.fr
Sites parodiques

Le Gorafi
Eduk’Aktus
Nordpresse.be

Pour les images, vérifier leur origine ou utiliser Tineye et ses équivalents. Pour des spécialistes, aller sur PhotoForensics, il dira quelle partie de la photo a probablement été modifiée.

Notes
  1. Les évaluations et réactions retranscrites dans les bilans détaillés des séances photos et enregistrements sonores à l’appui, disponibles sur Primtice et Éduscol, ainsi que la progression, les exercices et corrigés et les traces écrites :
  2. Média vidéo français disponible uniquement sur internet. Il a été créé en juin 2015 par Antoine Robin, Jean-Bernard Schmidt et Bruno Vanryb. Il propose des reportages vidéos en streaming.
  3. http://www.ac-grenoble.fr/ien.cluses/spip.php?article594.