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Le « I » de EMI

L’auteure nous explique, dans le contexte actuel, la nécessité de développer particulièrement l’éducation à l’information. Ce faisant, elle nous montre aussi pourquoi l’EMI ne peut se réduire au numérique.

L’EMI (éducation aux médias et à l’information) est souvent traduit en raccourci par l’éducation aux médias, mais rarement par l’éducation à l’information. Or, c’est précisément ce dernier mot, une des composantes essentielles de l’éducation aux médias et à l’information, qui va faire l’objet du présent article. Ce terme sert à qualifier depuis des décennies la société contemporaine. Cela fait longtemps que la profusion d’informations, dans laquelle tout citoyen serait baigné, constitue la société de l’information. Le phénomène s’accentue à chaque évolution des techniques de communication, s’accélère encore depuis la fin du siècle dernier. Le progrès technique n’étant, par nature, pas près de ralentir, l’inflation informationnelle prend de telles dimensions que le vocable « information » devient, semble-t-il, impropre à rendre compte de la réalité et est remplacé depuis quelque temps dans les discours institutionnels, médiatiques et sociaux par le numérique.

L’introduction de l’EMI dans la loi de refondation pour l’école de la République est révélatrice du constat paradoxal d’individus ayant, d’une part, un accès toujours plus immédiat et direct à l’information, mais éprouvant d’autre part une difficulté croissante à maitriser cet univers informationnel.

Le succès grandissant auprès des jeunes des théories complotistes en est une conséquence inquiétante, qui met l’accent sur le rôle crucial de la communauté éducative dans son ensemble. L’un des écueils à éviter dans l’éducation à l’information est l’approche de l’information sous l’angle de l’accès, au détriment de celui de la réception.

Pour mesurer les enjeux de l’éducation à l’information dans le cadre de l’EMI, il est opportun d’analyser les termes « information» et « numérique ».

Information et documentation

L’approche développée ci-après est celle de la documentation, discipline préexistante aux SIC (sciences de l’information et de la communication), dont l’un des piliers notionnels est l’information. L’apport théorique des professionnels de la documentation, fondateurs des SIC en France, est pertinent pour démêler les différents champs recouverts par l’EMI.

La notion d’information comporte trois aspects distincts : l’information-connaissance, l’information médiatique et l’information en tant que donnée (les fameuses data). Le numérique englobe ces trois notions.

Ce substantif a pris le pas sur l’adjectif, qui, à l’origine, qualifiait un procédé technique (électronique), élargissant son acception vers un concept aux contours flous pourtant peu discuté. Cela va d’un simple ensemble d’outils (matériels, applications, logiciels) à une révolution radicale de la pensée, remettant tous les paradigmes antérieurs en cause. C’est cette dernière conception qui domine les discours actuels enjoignant le passage à l’ère numérique. Or, cela entraine une confusion entre les données et la connaissance. Ce qui circule sur les réseaux, ce sont des données et la signification de ces dernières ne surgit que par la volonté du récepteur, du lecteur. L’accès à l’information n’est pas suffisant car, d’un point de vue conceptuel, une information n’existe que si elle est effectivement reçue. Le concept d’information a un lien étroit avec celui de communication. L’information est une connaissance, un contenu porteur de sens, produite et reçue dans le processus de communication. Le point central, c’est la question du sens. Il n’y a information que si un individu (avec son vécu, son expérience, ses connaissances préalables, ses objectifs) transforme, par une opération intellectuelle, cognitive, une donnée (qui circule par un canal ou par un autre) en connaissance nouvelle. Cela suppose une appropriation, une mise en relation contextualisée, dans une situation de communication donnée, d’éléments de savoir entre eux.

De la donnée au sens

L’attribution de sens à un contenu, quel qu’il soit, est une propriété subjective qui est réalisée par un sujet sur lui-même. Ce mécanisme intellectuel demande un effort et prend du temps ; il est distinct de celui nécessaire à la manipulation des outils. Cela implique que l’individu se situe dans le temps et dans l’espace. Or, le numérique a pour conséquence d’abolir le temps et d’effacer les distances. Le fameux « temps de cerveau disponible », lui, pour autant n’est pas extensible et la capacité de lecture, de compréhension de l’individu reste limitée (cela renvoie à la finitude de l’être humain). La société numérique met en avant l’information, mais dans le sens qui lui a été assigné par les théoriciens de l’information (mathématiciens, ingénieurs) qui sont à l’origine des formes modernes de communication et qui ont choisi le terme « information » pour nommer l’unité de mesure servant à calculer la capacité d’un canal à transmettre des signaux. Cette notion fondamentale au cœur des sciences de l’information et de la communication se trouve vidée de sa substance, voire détournée, puisque ce qui devrait avoir trait à l’intelligence (la faculté de connaitre, de comprendre), à la connaissance, est dévolu à une donnée interchangeable.

Finalement, quand on tente d’enseigner l’information dans l’intention de faire acquérir une culture informationnelle à nos élèves, on se retrouve souvent à enseigner des techniques, des méthodes et des savoir-faire liés aux outils, au risque de manquer l’essentiel, à savoir donner des clés en matière d’évaluation de la qualité de l’information (identification, validité, pertinence). Les savoir-faire concernant la recherche, la collecte, ne suffisent pas à atteindre cet objectif.

Une typologie de l’information

Une des entrées pédagogiques pour appréhender la notion d’information, et ce faisant aider les élèves à s’orienter dans l’univers informationnel du réseau, est de les amener à distinguer les quatre genres de l’information théorisés par Jean Meyriat1. L’information de renseignement (les horaires de tram, par exemple) a une utilité immédiate et une durée de vie éphémère. L’information médiatique, au sens journalistique du terme (les nouvelles sur une chaine en continu), a une utilité diffuse et une durée de vie instantanée. Elle a vocation à évoluer très rapidement et fait parfois la part belle à l’approximation. L’information spécialisée, autrement appelée IST (information scientifique et technique, validée dans un domaine précis par des professionnels ou scientifiques), est utile immédiatement et durable dans le temps. Enfin, l’information culturelle (la littérature, le cinéma, etc.) a une utilité diffuse et une durée de vie durable, voire définitive.

Ce qui caractérise donc l’information, c’est son utilité (elle apporte un élément de connaissance nouveau à l’esprit qui la reçoit), mais sa fonction et sa durée de vie sont variables, car elles sont déterminées par le contexte de la communication (canal, émetteur, récepteur, conditions de réception, intention, etc.). Cette distinction permet notamment de relativiser les performances tant vantées d’un moteur de recherche plébiscité qui se révèle imbattable pour les informations de renseignement (un plan de ville, un horaire de cinéma, une définition simple), mais qui n’apporte qu’une aide modérée à la recherche d’informations spécialisées. Les travaux sur le web sémantique (avec les formats de données normalisés) ont pour objectif d’améliorer la pertinence des résultats suite à une recherche. Il serait vain pourtant de croire que les outils pourront se substituer à l’individu pour l’évaluation de la qualité de l’information. Les traces laissées par les internautes sont autant d’indices récupérés pour les algorithmes pour tenter de reconstituer le contexte de recherche et d’usage de l’information, mais l’automatisation des processus entre en contradiction avec le fonctionnement du cerveau humain et son imprévisibilité consubstantielle, au risque de l’enfermer dans un schéma prédéterminé (les préférences ou centres d’intérêt conduisent à des résultats ciblés, qui enferment au final l’individu dans ces choix passés).

Vers une culture informationnelle

Les aspects procéduraux, les habiletés sont des étapes indispensables, mais l’objectif final visé par l’EMI, et spécifiquement l’éducation à l’information, doit, au-delà des objectifs opérationnels, être l’intelligibilité. Il est de plus en plus difficile de ne pas se soumettre à la fascination pour les nouvelles (toujours renouvelées) technologies. Cette fascination, qui peut se révéler paralysante car la machine est toujours plus rapide, est capable d’ubiquité, elle est plus performante que l’homme. Pourtant, ce que l’on a tendance à oublier, c’est que ces machines sont conçues par le cerveau humain. L’individu utilise la machine pour démultiplier ses capacités, car ce qu’il peut accroitre de façon illimitée, c’est son imaginaire, sa pensée. Il peut faire l’économie du temps, de l’espace à l’aide de la machine, mais pour ce qui concerne son esprit, il a toujours besoin de temps et d’espace.

La notion d’information est passionnante, car elle renvoie à la connaissance, à l’intelligence, à la relation interpersonnelle, à ce que l’humain a de plus précieux : l’esprit ; à ce qui fait le sel de la vie : les échanges.

L’éducation à l’information au sein de l’EMI ne peut se réduire à l’éducation au numérique. L’éducation aux médias et à l’information suppose des regards pluriels, pluridisciplinaires, qui rendent compte de la richesse de l’expression, en écho à la complexité de la société : la lecture de l’image, la connaissance du fonctionnement des médias, les savoir-faire pratiques informatiques d’une part, et le rapport à la connaissance, à travers la maitrise de la notion d’information d’autre part. Chaque brique constitutive de l’EMI est nécessaire pour construire les fondements d’une culture informationnelle pour nos élèves. La proximité linguistique des termes « information » et « informatique » ne doit pas faire croire à une équivalence sémantique en ces temps de mise en avant de l’information dite numérique. L’information, au sens de « connaissance communiquée ou communicable », doit prendre toute sa place dans l’EMI.

Isabelle Couturier
professeure documentaliste dans l’enseignement agricole à Rouillon (Sarthe)
OUTILS
LireLactu
Dans le cadre du plan national pour l’EMI et la lutte contre le complotisme, le ministère a lancé en mars 2016 la plateforme LireLactu. C’est une plateforme numérique d’accès gratuit à la presse écrite via le wifi sur les tablettes ou sur les ordinateurs fixes des collèges et lycées. Il s’agit d’offrir aux élèves des journaux reconnus, pour qu’ils puissent suivre l’information. Dans un premier temps, une quinzaine de titres de la presse écrite quotidienne nationale et étrangère, sélectionnés par le ministère, seront disponibles. LireLactu.fr sera par la suite étendu à d’autres titres de presse écrite d’information générale, en particulier à la presse quotidienne régionale et aux hebdomadaires. LireLactu.fr est le fruit d’un partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et miLibris, avec le soutien des responsables de la presse écrite d’information générale. Le problème qui se pose dans son utilisation est l’impossibilité liée aux droits d’auteur de télécharger ou copier les articles, afin de les proposer à l’étude des élèves. Ils doivent les lire en ligne, sans pouvoir faire un document de collecte (copié-collé), ce qui demande une grande capacité de prise de notes, souvent inaccessible à des jeunes adolescents. Si cette plateforme est une belle idée au départ, il faut consulter les documents uniquement au CDI (ce qui permet l’aide du professeur documentaliste, mais pas un éventuel travail d’EMI dans les classes banalisées). http://lirelactu.fr/

Notes
  1. Jean Meyriat, dans « Document, documentation, documentologie», Schéma et schématisation, deuxième trimestre 1981, n° 14, p. 51-63.