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Le livre d’Élisabeth Godon est d’abord un récit écrit à la première personne. Témoignage de son travail d’institutrice remplaçante dans plusieurs écoles du quartier de la Goutte d’Or à Paris où elle exerce au sein de classes réputées « difficiles » ; classes de perfectionnement, classes d’intégration, etc.
Élisabeth Godon nous livre sa démarche, ses questionnements, ses doutes, ses réussites et ses échecs avec une grande sincérité. On comprend alors que son témoignage constitue une sorte d’analyse de pratique et apporte au lecteur des éléments de théorisation pour une démarche professionnelle en milieu difficile (violences, handicaps multiples, illettrisme...), notamment dans ce que l’on appelle l’AIS (adaptation et intégration scolaire).
Porteuse d’un projet à l’égard des élèves dont elle s’occupe, l’auteur tente de mettre en place ce qu’elle appelle des « passerelles » entre les élèves, entre eux et elle, entre eux et le monde... Passerelles pour qu’une démarche d’apprentissage devienne possible.
Les mots énoncés en classe, les paroles véridiques, les espaces symbolisés par le langage constituent ces passerelles dans la mesure où elles viennent mettre du symbolique en lieu et place de pulsions le plus souvent destructrices. D’où le titre Mots pour maux à l’école primaire.
On notera dans sa démarche des exemples intéressants « d’inventions pédagogiques » qui prouvent que ce métier est avant tout un univers de créativité dans l’action, de mise en place de dispositifs « sur le chantier » remis en question indéfiniment.
Notons entre autres : un cahier journal particulier ; « Les minutes d’une journée de classe » (avec des couleurs par rubriques d’analyses) ;
« le sac à mots » ; sorte de déversoir symbolique à destination des élèves, servant en début de journée à « déposer » ses angoisses, violences, peurs... avant de commencer à travailler ;
« le tableau d’autorégulation » où les élèves peuvent, en fin de journée, évaluer leurs comportements ;
un espace classe divisé en espace de travail et espace de jeux ;
une réflexion pertinente sur la loi, et la permanence dans l’accompagnement.
Christophe Roiné
Les lecteurs des Cahiers connaissent depuis longtemps les billets du mois de l’ami Philippe, ces 2 000 ou 3 000 signes pétillants d’intelligence, qu’apprécient tout autant ceux qui veulent réfléchir sur la pédagogie et l’éducation que les amateurs de textes bien écrits, denses, où rien ne semble inutile. Comment ne pas saluer l’initiative de la collection Pédagogie/Essais de publier un florilège de cinquante de ces billets, préfacé par Daniel Hameline, qui classe avec raison Philippe Lecarme comme un « de nos bons philosophes de l’éducation » - tant pis pour la modestie de l’auteur. On trouvera même des inédits (rares textes refusés). L’auteur en commente certains, parfois avec sévérité, mais toujours en assumant ce qu’il a pu écrire à telle ou telle époque. Ils ont tous leur intérêt, mais j’ai un faible pour certains d’entre eux. Par exemple « Mardi, de 8 à 9, salle 106, cours de vertu », ou « Vous me reconnaissez ? » ou encore « L’intelligence est dans les mains »...
L’ouvrage comprend aussi une seconde partie, qui est censée justifier un titre dont on regrette peut-être le second morceau : P. Lecarme revendique haut et clair les deux étiquettes. Il est fermement républicain et toujours pédagogue. La synthèse n’a rien d’impossible !
Dans une soixantaine de pages, l’auteur livre son point de vue sur les débats actuels, notamment celui qui opposerait universalistes et « démocrates à tendance communautaire ». Après avoir rapidement mis en pièces la rhétorique des néo-conservateurs qui dissimule mal un élitisme profond, Philippe Lecarme défend avec une grande force de conviction une certaine idée de l’école républicaine. Il émet des critiques sévères envers les défenseurs d’un multiculturalisme dont un des porte-drapeaux serait Alain Touraine. Je ne suis pas sûr qu’il ne se laisse pas aller à des amalgames contestables (les défenseurs de l’excision ou les disciples d’un Tobie Nathan n’ont rien à voir avec ceux qui adoptent un point de vue nuancé sur le port du foulard à l’école par exemple et surtout sur la tactique à adopter en face de ce phénomène resté marginal). Le passage où l’auteur pourfend les adversaires de l’universalisme abstrait me paraît des plus contestables. À certains moments, je crois lire un défenseur quasi inconditionnel des Lumières, qui oublierait la part d’ombre de celles-ci. De même, l’intégration dite « à la française » me semble idéalisée par rapport à ce qui existe dans d’autres pays (en tout cas, il me semble qu’on peut remettre en cause certains aspects de ce qui se passe dans notre pays sans pour autant souhaiter la voie anglaise, qui sert de repoussoir).
Bref, sur tous ces points, le débat n’est pas clos. Mais c’est le mérite de ce livre de le proposer de façon nuancée, sans la présence de ces anathèmes qui bloquent toute discussion, tout en s’appuyant sur des références solides, notamment chez les auteurs qui parlent de l’islam aujourd’hui. Peut-être d’ailleurs les divergences qui sont exprimées ici concernent-elles surtout les stratégies à mettre en œuvre ; sur le fond, je partage entièrement le refus des néo-tribalismes et l’apologie du débat démocratique. Et sur la phrase finale, je n’ai pas le moindre désaccord : « Comment réinventer chaque jour un universalisme ouvert qui n’efface pas les singularités de chacun mais lui ouvre la diversité plénière du monde et de l’histoire humaine ? »
Au fait, Philippe, à quand ton prochain billet du mois dans les Cahiers ?
Jean-Michel Zakhartchouk
Voici un ouvrage qui, si on parvient à surmonter l’obstacle que peut constituer le type d’écriture propre à la recherche (un style souvent impersonnel et quelque peu austère, les références nombreuses, le vocabulaire parfois ardu...), contient de nombreuses pistes qui intéresseront le pédagogue. Les auteurs recensent de nombreux travaux de laboratoire ou d’expérimentation auprès de groupes d’élèves, dont certains qu’ils ont eux-mêmes pilotés, pour tenter de dégager quelques facteurs qui favorisent ou non la réussite à l’école. Ils ont l’heureuse idée de consacrer à la fin du livre une quinzaine de pages qui sont des « repères pour agir » particulièrement intéressants. Ce qui apparaît avant tout, comme l’indique le titre, c’est l’importance du contexte dans lequel on apprend. Ni la maîtrise par l’enseignant du savoir, ni les acquis et les efforts des élèves ne suffisent. La façon dont est présenté le savoir, dont les élèves sont évalués, la manière dont on va gérer la classe dans sa diversité, tout cela est essentiel. Des études montrent par exemple que tout ce qui contribue à rendre publique la difficulté de certains élèves (cela va de rendre les copies à haute voix jusqu’au « qui n’a pas réussi ? » prononcé à la fin d’une tache) aboutit à un renforcement de l’échec. L’anonymat protège finalement les élèves en difficulté, comme le montrent certains tests. Et les complimenter n’est pas forcément la solution, car cela les fait sortir de cet anonymat. Pour les auteurs, qui mettent en garde cependant contre toute déductibilité des pratiques à partir des travaux de recherche, il convient en fait d’être conscient de ces phénomènes pour les gérer au mieux et construire une stratégie à long terme pour rassurer ces élèves et inscrire dans leur mémoire et dans leur histoire personnelle des réussites valorisantes qui influeront sur les tâches ultérieures.
Les études citées mettent aussi en évidence l’importance pour les élèves de se mesurer aux autres. Le plus profitable pour eux est de se comparer à ceux qui sont légèrement au-dessus d’eux (sauf dans des situations où ils ne se sentent pas en sécurité, et où ils ont tendance à se mesurer à des plus faibles). Tout cela s’inscrit dans le parcours de chacun et renforce l’idée de porter une attention particulière à la personne globale de l’élève, avec sa biographie et le sentiment qu’il a de lui-même. Plusieurs pages sont consacrées au travail de groupes. Celui-ci n’est pas la panacée et peut encourager les phénomènes de « paresse sociale », mais il peut être profitable à tous s’il est stimulant et valorisant. La façon d’organiser le travail de groupe est décisive.
Enfin, les auteurs indiquent brièvement le risque que courent certains élèves de s’enfermer dans l’échec s’ils sont souvent confrontés à la comparaison négative. On le savait sans doute, mais il est bon de le voir confirmé par des études minutieuses : la compétition profite surtout aux forts et « certains comportements, et la violence qui les accompagne, ne sont probablement pas indépendants des marquages de comparaison dont leurs auteurs ont été ou sont l’objet » (page 118).
Et n’oublions pas aussi un des messages du livre : l’hétérogénéité et la pluralité sont des facteurs positifs pour l’apprentissage. La « pluralisation » du contexte, nous dit-on, garantit le développement de tous. Il est encourageant de voir affirmés de tels principes, surtout lorsqu’on sait qu’un des auteurs a des responsabilités importantes dans le système éducatif.
Jean-Michel Zakhartchouk
le 4 décembre 2002Saluons l’initiative du dynamique syndicat du premier degré qui nous présente ici une réflexion riche et stimulante sur les problèmes que rencontrent de plus en plus les enseignants au sujet de la sécurité des élèves et sur les questions de protection de l’enfance. L’un de ses membres, Gilbert Castelli, nous livre ici un nombre important d’informations précises sur les responsabilités des enseignants, les risques encourus, les moyens d’exercer le métier avec plus de sérénité grâce à la connaissance de leurs droits et devoirs. Il est indispensable de bien connaître la différence entre justice pénale et civile, ce qu’est juridiquement la « pédophilie », ce que nous indiquent les textes réglementaires, mais aussi les jurisprudences. Les exemples concrets abondent et illustrent les propos (par exemple au travers du témoignage d’un policier alsacien de la brigade des mineurs ou d’un pédo-psychiatre). Le but ici n’est pas de développer le délire de persécution et de défendre l’omerta. Comme le dit le président de la Ligue des droits de l’homme, Michel Toubiana, dans sa préface : « Entre l’impératif de ne pas dissimuler les responsabilités et de ne jamais admettre une quelconque impunité à raison d’une fonction et l’impératif de ne pas transformer nos sociétés en vastes tribunaux où tous nos actes seraient susceptibles de finir, il faut dégager un équilibre. » Et en conclusion, il est affirmé avec force que « la protection de l’enfance, le respect de ses droits [sont] des exigences qui s’imposent ; c’est en prenant en compte cette dimension que les enseignants des écoles sont le mieux à même de voir leur professionnalité reconnue ».
Quelques titres de chapitre permettront de mieux saisir l’intérêt de cet ouvrage : « Un quotidien fait de tracasseries administratives », « Une perception très contradictoire de ce qu’est la responsabilité », « La marche lente des droits de l’enfant »...
Jean-Michel Zakhartchouk
le 4 décembre 2002Je revenais juste du colloque des Crap-Cahiers Pédagogiques sur la démocratie à l’école, et même d’un atelier sur la démocratisation des savoirs, quand j’ai commencé ce livre. C’est dire si j’y cherchais - autorisée par le titre qui s’inscrit dans la lignée des essais les plus savants - des réponses à nos angoisses d’enseignants : mais pourquoi nos élèves échouent-ils ?
Jusqu’à maintenant, dit Terrail dans les premières pages, on n’a proposé que des explications partielles à cet état de choses ; il est temps d’aller plus loin. Suivent trois cents pages de démonstration dont trois quarts pourraient figurer dans les Cahiers pédagogiques, n’était le sens, progressivement dévoilé, du message qui se dit clairement dans les derniers chapitres : l’école est soumise à une pédagogie de la relation où les contenus sont passés au second plan ; ce sont là les ravages de la logique de l’adaptation aux élèves qui prime désormais, dans la droite ligne des pédagogies nouvelles, sur la nécessité d’enseigner.
La voilà donc, la grande explication que l’auteur nous promet au début de l’ouvrage ! Quelle déception... D’abord parce que ce n’est guère nouveau. Que Terrail nous fasse longuement revisiter Lahire, Rochex et quelques autres, c’est son droit, mais on ne l’a pas attendu pour puiser, dans leurs analyses du rapport à l’écrit et au savoir des élèves en difficulté, de quoi être plus vigilants à l’égard des pratiques « novatrices ». Mais surtout, là où l’équipe de Charlot, Bautier, Rochex étudiait finement des dérives, des analyses inadéquates de la difficulté scolaire, des solutions erronées, voire créatrices d’échec, imaginées dans les ZEP en particulier, Jean Pierre Terrail, lui, veut échafauder une vaste explication d’ensemble et tombe dans des excès qui finissent par ruiner son propos.
On le suit, bien sûr, dans son insistance sur les écarts de réussite, désespérément stables, entre les classes sociales, dans sa dénonciation d’une filiarisation prétendument fondée sur les « aptitudes » des élèves, et dans ses mises en garde contre le renoncement des enseignants au nom d’un trop commode « handicap socio-culturel ». On cesse de le suivre quand cette critique (nécessaire) perd sa pertinence en abandonnant sa subtilité et que l’auteur se fait censeur. Une fois le glissement opéré de l’analyse lucide à la dénonciation myope, on n’est pas étonné de retrouver, dans la foulée, les IUFM à leur place habituelle de pelés, de galeux : selon Terrail, qui a sans doute oublié d’aller vérifier sur place, en lisant vraiment les plans de formation, ce qu’il avance, « on ne s’y préoccupe pas de donner une formation disciplinaire sérieuse ». Reste encore la charge attendue contre les pratiques de lecture, en classe comme en formation des maîtres, et on aura retrouvé avec tristesse la panoplie habituelle des pourfendeurs de l’innovation. L’auteur a pourtant relevé lui-même une étude de V. Isambert-Jamati (1990) montrant qu’« on ne trouve guère de laxisme en matière de communication des savoirs ». Qu’importe...
Le lecteur alléché est ainsi passé, en quelques chapitres, d’affirmations pleines d’optimisme sur les capacités intellectuelles des jeunes enfants, sur la nature méconnue de leurs difficultés dans le rapport au langage, sur l’inefficacité du redoublement, à une dénonciation sans appel des fabricants d’inégalité, les seuls coupables, à leur insu peut-être : les adeptes des pédagogies « de basse intensité », spécialement dans l’enseignement élémentaire, et encore plus auprès des élèves en difficulté.
Alors comment faire ? À la fin du livre, l’auteur, qui n’a plus le temps (on le comprend, après 330 pages...), formule quelques thèses de façon « trop lapidaire » (sic) : Reconnaître la vraie nature de la difficulté scolaire : l’entrée dans un rapport métacognitif au langage et aux savoirs.
Donner aux enseignants une vraie formation disciplinaire et les rendre à leur vraie mission : enseigner.
Mettre en œuvre des pédagogies soumises à la logique des contenus.
Ou comment, sur une première proposition passionnante à explorer, greffer un discours fermé et terriblement usé... D’ailleurs, si Jean-Pierre Terrail consacre quelque trente pages à démonter minutieusement les pratiques fautives d’une école de ZEP coupable d’être tombée dans le « puérocentrisme », il n’en garde aucune pour proposer un exemple de « bonne » façon de faire, se contentant d’affirmer (p. 96) que « si, par des méthodes pédagogiques précoces et efficaces, on parvenait à assurer la réussite de tous aux apprentissages fondamentaux, [...] la question des inégalités sociales face à l’école perdrait énormément de son acuité ». Décidément, on avance...
Florence Castincaud
L’enseignement des SES fait encore une fois l’objet de critiques. Un article paru dans le mensuel L’Expansion du 28 août 2002 intitulé « L’étrange myopie des manuels d’économie » et un autre paru dans Le Monde de l’Économie du 1er octobre 2002, « L’économie, une discipline maltraitée dans les lycées d’Europe », portent tous les deux sur le même sujet. Ils reprochent l’un et l’autre à l’« économie » de ne pas rendre compte suffisamment et objectivement du monde des entreprises.
le 4 décembre 2002À l’issue de la conférence qu’il a prononcée lors du colloque du CRAP-Cahiers pédagogiques : « Apprendre et vivre la démocratie à l’école », Jean-Yves Rochex a bien voulu répondre à quelques questions.
le 4 décembre 2002
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