|
Un appel signé par un certain nombre d’établissements pionniers et d’équipes porteuses de tels projets tente de rouvrir le débat sur la place et le rôle des établissements innovants.
le 10 mars 2003Je n’ai pas connu l’époque où les enfants apportaient leur bûche à l’école pour mettre dans le poêle, j’ai connu l’époque où l’on grattait et cirait les tables avant de partir en vacances. Nous nous acharnions avec plaisir, heureuses d’avoir sur les mains autre chose que de l’encre violette. La bonne odeur de cire nous parlait de l’été. Les vacances se terminaient le premier octobre pour que les enfants des campagnes puissent aider leurs parents dans les travaux des champs.
Vendredi, il neige dru sur Lille, la pelouse autour du collège devient toute blanche. Sur les rues et les routes, la circulation commence à se paralyser. Samedi, les écoles sont fermées : arrêté préfectoral prudent. Tout au long de la journée la neige est tombée, chose assez rare chez nous. Dehors, les enfants s’amusent comme des fous, recherchent la moindre pente pour faire des glissades, les boules de neige volent. Dimanche, lentement, la neige a en partie fondu, puis la nuit froide l’a regelée.
Au collège, ce lundi, une épaisse couche de neige glacée couvre la cour. Après le repas de midi, ordre est donné aux surveillants de garder la centaine d’élèves demi-pensionnaires dans la cantine. Je sais le poids des responsabilités, alourdies par un vent venu d’Atlantique. Les élèves sont énervés, bruyants, n’ont rien à faire. Ils n’ont même pas leur sac. Aller au CDI ? Impossible puisqu’il faut traverser une cour dangereusement enneigée... Ils ont douze ans l’âge de mon grand-père lorsqu’il a commencé à travailler ; ils ont quatorze ans, l’âge auquel ma voisine travaillait quand j’étais moi-même au lycée ; ils ont seize ans, l’âge où actuellement personne ne peut trouver un travail. Ils ont douze ou seize ans, ils aident leur mère, gardent les frères et sœurs, bricolent avec leur père. Pourtant, dans la cour, on ne voit qu’une silhouette esseulée, longiligne, en bleu de travail. C’est un CES, muni d’une « pelle à charbon », qui s’efforce de déblayer la neige gelée. Il trace un chemin, fait des tas, cherche la plaque d’égout pour libérer l’eau. L’architecte n’a pas prévu l’accès de la cour aux camions. Massés dans la cantine, les élèves sont intenables.
Voilà, c’est tout. J’ai comme l’impression que quelque chose ne va pas de ce côté-ci de la planète...
Édith Miquet
le 10 mars 2003Le travail est un lieu de construction, de transformation de notre identité, par la mise à l’épreuve de nos dispositions personnelles. Et pour que l’identité se construise au cœur de l’activité professionnelle, il faut que se tissent appartenance et reconnaissance. À défaut, la souffrance, liée à toute expérience du travail, prend le devant de la scène. Le plaisir du travail disparaît. Il ne s’agit plus alors seulement de doutes, de difficultés, de douleurs, qu’il conviendrait de dépasser par des techniques professionnelles plus adaptées. C’est de souffrance réelle dont il devient question : elle apparaît au détour d’une mutation, d’une nouvelle classe, de l’arrivée d’un nouveau supérieur hiérarchique... Que se passe-t-il si aucun moment, aucun lieu, ne sont prévus pour en parler, la partager, la travailler ?
Loin d’un dolorisme qui conduirait à sanctifier la souffrance comme moyen de progresser, et loin d’une culture du malheur intime, nous faisons le pari, avec d’autres, que les analyses de la psychodynamique du travail et de la psychosociologie sont pertinentes pour décrire aussi le milieu de travail des enseignants. Le nouveau regard ainsi posé sur le monde enseignant est porteur de riches analyses : pourquoi notre degré d’acceptation de la souffrance au travail, qu’elle soit subie ou infligée, est-il si élevé ? Pourquoi sommes-nous conduits, à certains moments de notre activité professionnelle, à faire des choses que nous réprouvons, contre autrui ou contre nous-même ? Pourquoi souffrons-nous et ne le disons-nous pas ? Quels bouleversements de la société se répercutent dans l’institution scolaire et viennent heurter de plein fouet les individus ? Les nouveaux publics, les nouveaux comportements, la place de l’institution de manière générale, le rapport à l’autorité, sont autant de véritables mutations qui exigent des acteurs de l’école de véritables conversions. Cela ne se fait pas sans souffrances.
On comprendra dès lors l’importance d’aller voir du côté du sujet et de ses implications psychiques dans le métier. Les savoirs de la psychanalyse nous permettent de connaître les enjeux psychiques de nos métiers. Et pour les enseignants, il nous faut prendre en compte une spécificité majeure : leur construction identitaire est tissée d’un rapport personnel à un objet particulier, le savoir. Ou plus exactement, le savoir d’une discipline. Difficile d’envisager la situation d’enseignement sans aller y voir de plus près.
À chaque fois, nous voyons clairement comment se croisent données personnelles, construction identitaire et environnement : institution, collègues, savoir, élèves, parents. Nous touchons à la complexité de l’acte professionnel. Les témoignages, nombreux, essentiels, ne font pas écho aux analyses, mais au contraire ils sont premiers : ils décrivent l’acteur au plus près de son activité, prenant de la distance pour trouver ce qu’il engage de lui-même. C’est l’acteur qui sait fondamentalement de quoi il en retourne. Ces récits n’ont rien d’anecdotique : ils nous parlent de reconnaissance mutuelle, de restauration de la confiance, de solidarité, de convivialité, d’action collective, d’humanité retrouvée dans le travail.
L’institution scolaire et quelques groupes professionnels mettent en place des dispositifs d’analyse, de recherche, de formation initiale et continue, où les compétences professionnelles des enseignants peuvent être développées au-delà de la seule maîtrise didactique. Quels scénarios personnels déterminent le fonctionnement professionnel des enseignants ? Quelle relation personnelle au savoir et au pouvoir parcourt leur relation aux élèves ? Ils peuvent accéder un peu plus sereinement à ce qui se joue pour eux sur cette scène. Et souffrir un peu moins !
Daniel Picarda, conseiller principal d’éducation, académie de Paris.
Sylvie Premisler, professeur d’histoire-géographie, académie de Versailles.
Autant le dire tout de suite, j’éprouvai une grosse colère en découvrant le titre du dernier ouvrage d’Anne Jorro. Non que j’aie quelque ressentiment contre la personne qui mène depuis des années des travaux passionnants et proches des intérêts des lecteurs des Cahiers pédagogiques. Ce qui me choque, c’est l’injonction misérable que j’entends de plus en plus dans le verbe employé : professionnaliser, c’est reprocher à quelqu’un de n’être qu’un dilettante. Depuis longtemps, Raymond Bourdoncle, qui est cité, et Claude Lessard, qui ne l’est pas, ont fait justice d’une entreprise dont les quelques mérites sont contrebalancés par les graves inconvénients du dernier avatar du libéralisme ambiant : c’est le modèle des professions libérales que l’on voudrait imposer aux enseignants après avoir compris que l’on ne pouvait enfermer une profession aussi créative dans le carcan des référentiels de compétences.
J’avais tort, car le titre ne traduit pas la richesse de l’analyse du travail des enseignants qui s’appuie sur leurs gestes quotidiens, entre « bricolage » et « braconnage ». Cette étude initie l’ébauche d’un conservatoire des gestes de la profession enseignante. Et là, c’est un plaisir de (re) découvrir les fondamentaux d’un métier fait de ruse et d’artefacts comme les fameux « moutonsss » chers à Marcel Pagnol et à sa créature, Topaze. Les valeurs de référence sont énoncées et l’observation permet de constater la pertinence du recours aux gestes dans cette occasion. En revanche, les évolutions sociales rendent de plus en plus impossible la mission de l’enseignant qui ne se trouve plus aussi facilement en connivence avec des élèves toujours plus éloignés de ses origines culturelles et sociales. Son institution et ses formateurs vont chercher de nouveaux modèles à lui proposer ou à lui imposer pour dépasser la crise : c’est le recours au « praticien situé » qui est révélateur. L’identité de l’enseignant se dilue dans un balancement entre un rôle d’instructeur, d’entraîneur, de didacticien et de passeur. Guetté par l’épuisement et miné par sa mauvaise conscience, l’enseignant ne sait plus qui il est. Pour reprendre l’initiative et connaître à nouveau le « bonheur d’enseigner », il lui faut reprendre le chemin du faire, de l’autopoièse. Ce qui permet de souligner l’importance de « l’intuition de l’instant » (p. 80) et de dégonfler la baudruche du grand planificateur omniscient que les tenants de l’ingénierie essaient encore de gonfler sans voir qu’ils s’essoufflent. C’est qu’on est passé, sans qu’Anne Jorro ne l’explicite toujours avec clarté, du domaine de l’enseignant normé par son administration à celui de sa formation elle-même radicalement changée. La formation devient un enjeu primordial, un domaine délicat et un sujet d’intérêt parfaitement illustré par l’analyse d’une situation de lecture en grande section où « l’épaisseur symbolique de l’agir » est étudiée dans la gestuelle de l’enseignante (p. 92-93).
On peut alors se demander si l’utilisation du terme de geste se justifie encore dans la mesure où il s’agit d’une abstraction et si les « gestes professionnels » ne constituent pas un monstre chimérique puisqu’ils sont toujours singuliers. Là, nous suivons parfaitement l’auteur, enseignants et formateurs sont de plus en plus contraints de se situer dans la gestion a posteriori de ce qu’ils ont fait ou fait faire alors que l’image fantasmatique de leur intervention a pendant des siècles privilégié la maîtrise et la planification. Anne Jorro rejoint Jean-Pierre Boutinet qui affirme que le « savoir devenir » devient primordial en concluant sur les « savoirs d’accomplissement » qui vont bien au-delà des compétences, certes nécessaires pour transmettre des connaissances mais insuffisantes pour expliquer pourquoi et comment beaucoup d’enseignants et de formateurs réussissent là où quelques-uns échouent, même s’ils ont été longuement « formés pour ça ».
Bien sûr, en raison de sa taille, cet ouvrage ne clôt pas le débat sur la crise identitaire du monde (des mondes ?) enseignant mais il a le mérite de la clarté, de la cohérence, et surtout, il engage les enseignants et leurs formateurs à se poser la question des valeurs qu’ils servent dans leur action, maintenant qu’ils sont clairement placés devant leurs responsabilités : « il est temps d’incarner, même grandement temps, de singulariser l’agir professionnel ! » (p. 119). Jamais, la professionnalité des enseignants ne pourra se résumer à un référentiel. Toujours, ce métier sera créatif, donc poétique ! Reste à trouver le moyen de coordonner nos actions de poètes ! À bon entendeur salut !
Richard Étienne
le 6 mars 2003Chaque mot pèse dans le titre de cet ouvrage. Il est important d’abord de savoir de quoi on parle, et les auteurs prennent soin de définir la notion de situation-problème : il ne s’agit pas de l’exercice traditionnel fait de manière plus active que d’habitude, ni du « problème ouvert » (ce qui n’empêche nullement l’intérêt de celui-ci). Les auteurs insistent notamment sur la nécessaire présence d’un obstacle didactique, qui exige pour être surmonté une « rupture » avec le mode de pensée habituel. La situation doit être telle que l’obstacle ne peut être contourné, et ceci est facilité par des activités de groupes où émergent des « conflits sociocognitifs ».
Par ailleurs, il est essentiel de « faire vivre » ces situations, de ne pas faire semblant en pratiquant une « pédagogie active molle ». Certes, cela prend du temps, mais permet à de véritables savoirs de s’installer, durablement.
Tout ceci paraîtra familier peut-être à certains, mais ce livre constitue un outil pour se lancer et s’exercer. Les exemples sont nombreux et le dispositif de formation décrit à la fin sera précieux, en particulier pour les formateurs.
On pourrait évidemment se demander jusqu’où aller dans l’utilisation de ce dispositif pédagogique, qui demande une maîtrise de la part de l’enseignant qui s’acquière difficilement. Et si les représentations de l’apprentissage constituent un obstacle important, les auteurs n’évoquent que trop rapidement celui du refus de la part de nombre d’élèves (surtout dans le secondaire) dans de telles démarches (« pourquoi vous ne nous faites pas copier directement la réponse ? ») Certes, les auteurs n’éludent pas la question et citent des témoignages intéressants d’enseignants qui laissent une juste place aux compromis tactiques et à la nécessité d’une inlassable explication (y compris aux parents), mais ces derniers concernent davantage le primaire. On a là une question capitale : comment aider les nouvelles générations de professeurs, davantage ouvertes à une pédagogie de situations-problèmes à la mettre en place dans les classes « difficiles », avec des élèves peu enclins, de prime abord, à entrer ainsi dans des activités qui les engageraient plus. La motivation, en particulier, ne se présente pas toujours d’emblée et ne tombe pas du ciel miraculeusement parce que les activités auraient plus de sens. Comment faire pour que les élèves « en redemandent » comme il est dit à la fin ? Les réponses du livre nous laissent un peu sur notre faim.
Enfin, il resterait à aller plus loin dans chaque discipline pour examiner la pertinence d’un tel type d’activités. Les exemples en sciences nous paraissent très convaincants. Moins sans doute en français ou histoire. Ceux-ci montrent bien l’intérêt de mettre les élèves en situation de recherche, de les inviter à la métacognition, de pratiquer la « déstabilisation » des représentations, mais pour autant, cela n’est pas spécifique de la situation-problème proprement dite. Ainsi, le choix des documents fournis en histoire jouera-t-il un rôle capital et on retrouve le rôle du maître qui n’est pas forcément le même qu’en SVT ou en physique. Mais il s’agit là d’un débat à poursuivre.
En tout cas, voilà un livre bien fait, clair et accrocheur (malgré l’abus de la formule « et si... » !) Aussi indispensable dans les IUFM que les deux ouvrages précédents de Gérard de Vecchi.
Jean-Michel Zakhartchouk
Le secteur langues du Groupe français pour l’éducation nouvelle nous propose là un ouvrage de qualité sur un sujet majeur de l’enseignement des langues vivantes : l’apprentissage du vocabulaire.
Une première partie nous livre d’intéressantes pistes de réflexion. Éveline Charmeux situe « la place du vocabulaire dans la maîtrise de la langue ». Et Nadine Sahloul aborde la question très controversée de l’introduction de la langue maternelle dans le cours de langue. Elle plaide fortement pour la présence du français comme point d’appui, référence pour comparaisons, outil indispensable dans des activités de recherche et moyen de mise en confiance des élèves. Ce qui n’empêche pas bien sûr les moments de travail en langue étrangère exclusivement.
Dans la seconde partie, une enquête nous est présentée qui montre le décalage existant entre la volonté déclarée des enseignants de pratiquer une pédagogie active, impliquante, fondée sur le contexte de communication, et la réalité souvent pauvre des pratiques de classe.
Mais le but du livre est surtout de donner de nombreux exemples de séquences d’apprentissage de langues (espagnol, anglais, etc.), de l’école primaire à l’université, autour de trois grands axes : comprendre, produire, mémoriser. On retrouve les grands principes du GFEN : construction de savoirs à plusieurs, incitation à élaborer des stratégies personnelles d’appropriation (durable), utilisation des ressources de l’imagination pédagogique. Cette importante partie du livre est à concevoir comme une boîte à outils qui peut servir pour n’importe quelle langue (y compris sans doute pour l’apprentissage du vocabulaire dans la langue maternelle).
Jean-Michel Zakhartchouk
le 6 mars 2003Au moment où nous recueillions les analyses et les témoignages sur le fonctionnement des IUFM, que nous avons publiés dans notre numéro de janvier, Pierre Cordoba de l’association « Reconstruire l’école » et quelques membres de la rédaction entretenaient par courrier électronique une polémique dont on a pu voir quelques échos sur le site des Cahiers pédagogiques... Nous avons finalement invité Pierre Cordoba à nous proposer un texte auquel Richard Etienne a répondu. La question mise au débat aborde un aspect relativement technique du recrutement et de la prise en charge des étudiants en IUFM. Ne nous plaignons pas d’échapper pour une fois aux polémiques sur les danses bulgares, sur la pâte à modeler ...
le 8 février 2003
pagespage précédente | 1 | ... | 1335 | 1336 | 1337 | 1338 | 1339 | 1340 | 1341 | 1342 | 1343 | ... | 1408 | page suivante