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Redoublement : le retour…

Inefficace, injuste, coûteux, subjectif… Toutes les études menées ces dernières décennies vont dans le même sens : le redoublement sanctionne un échec sans pour autant apporter de remède à cet échec… Les enfants « maintenus » [[C’est le mot actuel pour « redoublement » : ainsi, lorsque des grands- parents – respectables personnes du troisième âge qui ne répondent plus au vocable par trop brutal de « vieux » – demandent à leur petit-fils : « Alors, j’espère que tu ne vas pas redoubler ? » , le petit peut répondre : « Non, papy, je me maintiens : c’est pas la même chose… »]] en CP en raison de difficultés de lecture progressent moins comparativement que les enfants éprouvant les mêmes difficultés mais « passés » en CE1. Le redoublement devient même un handicap supplémentaire : l’élève doublant est sommé de réussir mieux que ses camarades qui n’ont pas eu « la chance » d’explorer le programme une première fois ; « Pour un doublant, c’est juste ! » peut-on entendre dans les conseils de classe. Prenant acte de ces résultats, de nombreux pays européens ont banni le redoublement de leur système éducatif. C’est le cas par exemple de la Finlande. Cela ne l’empêche pas, selon une étude comparant les compétences scolaires des élèves âgés de quinze ans dans trente-deux pays de l’OCDE, d’obtenir d’excellents résultats. Et de loin : « Meilleurs élèves en fin de scolarité, numéro un en lecture, médaille de bronze en sciences et quatrième place en mathématiques » [[Le Temps, journal suisse du mardi 26 mars 2002.]]. D’autres pays, comme la Belgique (qui détient le plus fort taux en Europe) [[cf. Le Monde de l’éducation d’octobre 2003 : « Une pratique très hétérogène en Europe et dans le monde. »]] ou la France, continuent de recourir de manière importante au redoublement.

Pourtant, depuis une trentaine d’années les politiques éducatives menées en France ont fait diminuer les taux de redoublement de manière conséquente : les cycles mis en place à l’école primaire à partir de 1991 devaient permettre de prendre en compte les rythmes d’apprentissage des élèves de manière souple. Odile Sotinel témoigne dans son article qu’il y a loin de la souplesse préconisée par les textes – et reconnue comme nécessaire, raisonnable, adaptée à la diversité des enfants de cet âge pour lesquels un décalage de quelques mois dans l’année compte énormément en terme de développement – à la réalité des pratiques. Aujourd’hui, les taux de redoublement stagnent et ont même légèrement tendance à remonter : toutes les classes de fin de cycle, où le passage dépend des enseignants, accusent des chiffres de redoublement sans commune mesure avec les classes où la décision revient aux parents. Les enseignants demeurent attachés au redoublement qu’ils considèrent comme une seconde chance donnée aux élèves. Ils ne croient pas vraiment aux conclusions des chercheurs sur le sujet et sont en retrait par rapport à leurs organisations syndicales qui ont dans leur ensemble admis le caractère inadapté du redoublement pour lutter contre l’échec scolaire. Notre propos n’est pas de jeter la pierre à quiconque : nous sommes les produits d’une tradition républicaine forte et qui n’a pas laissé que de mauvais souvenirs… Le redoublement faisait partie du paysage : « bâton » brandi maintes fois pour réveiller le cancre assoupi près du radiateur… Des écrivains aussi attachants que Cavanna [[Auteur de Sur les murs de l’école, éd. Hoëbeke.]] viennent conforter une imagerie idéalisée de l’école d’autrefois. Le succès du film documentaire Être et avoir qui nous offre un fragment quasi intemporel de l’école primaire « à l’ancienne » est aussi révélateur de cette nostalgie.

Cela dit, la tendance actuelle du ministère qui consiste à proposer systématiquement un « retour » aux repères d’autrefois ne laisse pas d’être inquiétante. Nous avons besoin d’une politique éducative plus dynamique, plus ouverte sur les expériences menées en Europe ou ailleurs, qui ont fait leurs preuves et pourraient être utilement adaptées, plus respectueuse aussi des acquis de la recherche en éducation. S’il est parfaitement légitime de considérer les savoirs comme provisoires et toujours susceptibles de dépassement, il n’est pas nécessaire à chaque fois de repartir à zéro !

Le danger est grand de voir le « grand débat » sur l’école pollué par de multiples faux débats : pour ou contre le port de la blouse (habilement relookée en T-shirt, mais l’idée est la même), le vouvoiement, la dictée, la méthode globale, les maths modernes et autres gadgets qui, pour être pittoresques n’en demeurent pas moins très périphériques par rapport aux vrais enjeux.

Les vrais enjeux, nous les trouvons autour du sens de l’école : peut-elle – doit-elle – être le lieu où les enfants construisent leur appartenance à quelque chose de plus grand qu’eux ? Un espace de socialisation où les notions d’intérêt général, de bien commun sont éprouvées, construites, proposées, pas seulement dans la participation à la vie de l’établissement mais aussi et surtout dans le travail nécessairement collectif de la classe ?

Peut-elle – doit-elle – cesser de coller au modèle compétitif qui lui fait privilégier la performance ponctuelle, la concurrence, le toujours plus vite dans le pur reflet de la société marchande qui l’a fait naître au détriment d’un développement plus harmonieux de la personne ?

Marie-Christine Chycki