La question des postes et des recrutements continue d’être primordiale dans l’actualité, tantôt dans des mouvements qui traduisent des situations critiques comme en Seine Daint-Denis, tantôt dans des articles de presse, qui ont le mérite de poser le débat et suscitent des réponses ministérielles. C’est ainsi qu’en novembre, un article du Monde et un communiqué de presse du Ministère[1] font, sur un ton radicalement différent – très négatif pour le premier, évidemment positif pour le second – le point sur l’engagement du candidat à la présidence de la République de créer 60 000 postes à l’Éducation nationale, au cours de la législature.
L’article de Maryline Baumard prend le problème de front, en mettant l’accent sur le faible nombre de postes de titulaires (donc d’enseignants présents en permanence devant les élèves) créés depuis 2012, alors que le nombre des élèves a augmenté. Les postes de stagiaires qui constituent l’essentiel des postes créés au cours des trois dernières années permettraient tout juste de compenser les départs en retraite. Elle souligne que l’on est encore loin d’un « rattrapage » des postes supprimés par la droite au cours de la législature précédente et met en doute la volonté du gouvernement de donner la priorité à l’enseignement primaire (élémentaire et pré-élémentaire), étant donné le faible nombre de postes de professeurs des écoles créés.
Dès 2013 les Déchiffreurs avaient relevé cette différence entre stagiaires et titulaires pour « désenfumer » les discours triomphalistes de l’époque et souligner que le lourd héritrage du sarkozysme nécessitait un effort plus grand à fournir.
Le communiqué du Ministère qui répond entre autres à Maryline Baumard reprend honnêtement cette distinction entre titulaires et stagiaires et, tout en reconnaissant qu’un faible nombre de postes de titulaires a été créé, insiste sur la création d’un nombre très important de postes de stagiaires qui devraient permettre de remettre en place la formation des enseignants, sacrifiée par la droite au nom des économies budgétaires. Il prétend que l’engagement de François Hollande de créer 60 000 postes (de titulaires et de stagiaires) en cinq ans doit pouvoir être tenu si le rythme de création des derniers budgets est maintenu. Enfin, il souligne que les modalités de formation des stagiaires dans les nouvelles Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation, les ESPE, permettent de mettre des enseignants face aux élèves puisque ces stagiaires sont à mi-temps « sur le terrain ».
Essayons de faire le point sur cette controverse maintenant que le budget 2015 (celui qui prévoit les moyens de la rentrée 2015) a été voté et que les moyens vont être notifiés aux académies
De 2006 (compris) à 2012(également compris) ce sont environ 72 000 postes d’enseignants qui ont été supprimés dans l’enseignement public et privé (d’autres postes notamment de personnels administratifs, mais aussi d’intervenants et d’assistants de langue vivante, l’ont été aussi).
Leur répartition est sensiblement la suivante :
Enseignants |
Stagiaires |
Total |
|
1er degré |
13300 |
15500 |
28800 |
2nd degré |
29500 |
11300 |
40800 |
privé |
1900 |
460 |
2360 |
Total |
44700 |
27260 |
71960 |
(Estimation établie à partir des PLF de 2006 à 2012)
Le second degré a été beaucoup plus touché que le premier degré : il connaissait globalement une baisse démographique, accentuée par la suppression d’une année de baccalauréat professionnel ; de plus, des postes y ont été supprimés au profit d’une augmentation des heures supplémentaires et un examen systématique des décharges a été entrepris, etc. Pour autant, le premier degré n’a pas été épargné (des postes y ont été créés les premières années de la période pour faire face à la croissance des effectifs, mais, ensuite, la suppression des RASED et la « rationalisation » du réseau des écoles et des classes l’ont sérieusement touché).
Mais globalement, près de quatre sur dix des postes supprimés (environ 37,5%) ont été les postes de fonctionnaires stagiaires qui permettaient de rémunérer les nouveaux recrutés au cours de leur année de formation. La réforme dite de « mastérisation » a été l’occasion de supprimer cette année de formation, les nouveaux recrutés ayant été directement affectés sur le terrain et rémunérés sur des postes d’enseignants titulaires.
Aujourd’hui, près de 28 000 postes de stagiaires ont été recréés. D’un point de vue arithmétique, le potentiel de formation aurait ainsi été reconstitué, dans des conditions nouvelles, avec la création des ESPE où les stagiaires reçoivent une année de formation qui est partagée pour moitié entre enseignement professionnel et stage en responsabilité, ce qui permet aussi, voire surtout, de mettre plus d’enseignants face aux élèves[2].
En tout état de cause, cet effort, réalisé au profit de la formation (près de 90% des postes d’enseignants créés) n’a pas permis – d’aucuns diront a été fait au détriment de – la création de postes d’enseignants titulaires : moins de 4500 (dont près des deux tiers dans le premier degré) alors que près de 45 000 ont été supprimés par les gouvernements précédents. Dans ces conditions, y-a-t-il plus ou moins d’enseignants sur le terrain au regard des effectifs.
Combien d’enseignants au regard des effectifs ?
Les effectifs ont évolué au cours des dernières années. Pour se donner une idée de l’évolution de l’encadrement des élèves, on peut comparer les nombres d’élèves par poste budgétaire de 2005 (donc avant les suppressions d’emplois rappelées ci-dessus), à ce qu’ils devraient être à la rentrée 2015.
2005 |
2015 |
|||||
Effectifs* |
plafond d’emplois** |
élèves/poste |
Prévisions d’effectifs*** |
plafond d’emplois* |
élèves/poste |
|
1er degré |
5726,4 |
318458 |
18,0 |
5922,1 |
315858 |
18,7 |
2nd degré |
4358,4 |
408508 |
10,7 |
4351,7 |
384893 |
11,3 |
privé |
2025,2 |
129128 |
15,7 |
2175,4 |
129856 |
16,8 |
ensemble |
12110,0 |
856094 |
14,1 |
12449,2 |
830607 |
15,0 |
(Sources : * DEPP, RERS ; ** PLF 2005 et PLF 2015[3], *** DEPP, Notes d’information 10 et 11, avril 2014[4])
Ainsi, dans l’état actuel des choses, c’est-à-dire à la rentrée 2015, les nombres d’élèves par postes resteront plus élevés qu’en 2006, et ceci sera un peu plus marqué dans le premier que dans le second degré. L’augmentation sera évidemment un peu atténuée du fait que quelque 28 000 stagiaires (si tous peuvent être recrutés !) seront sur le terrain à mi-temps, ce qui équivaudra à 14 000 enseignants supplémentaires devant élèves. Cette augmentation restera cependant importante, et le sera encore en 2017 même si l’engagement présidentiel de créer 60 000 postes est bien tenu.
Où en sommes-nous par rapport à celui-ci :
Où en est le gouvernement quant à l’engagement présidentiel ?
Collectif 2012 |
Budget 2013 |
Budget 2014 |
Total 2012-2014 |
Budget 2015 |
Total 2012-2015 |
|
rentrée 2012 |
rentrée 2013 |
rentrée 2014 |
rentrée 2015 |
|||
Enseignants 1er degré |
1000 |
800 |
1800 |
811 |
2611 |
|
Stagiaires |
4569 |
4042 |
8611 |
3400 |
12011 |
|
Stagiaires M2 |
-1225 |
-1225 |
-1225 |
|||
solde 2013 |
295 |
295 |
295 |
|||
Total 1er degré |
1000 |
3344 |
5137 |
9481 |
4211 |
13692 |
Contractuels (décharges) |
1500 |
333 |
-1833 |
0 |
0 |
|
Stagiaires |
5646 |
4854 |
10500 |
2199 |
12699 |
|
Stagiaires M2 |
-1967 |
-1967 |
-1967 |
|||
contractuels |
-500 |
-500 |
-500 |
|||
Enseignants 2nd d° |
1450 |
1450 |
||||
ATS |
100 |
100 |
100 |
200 |
||
Total 2nd degré |
1500 |
4112 |
2521 |
8133 |
3749 |
11882 |
CPE |
100 |
100 |
100 |
|||
Stagiaires |
132 |
168 |
300 |
10 |
310 |
|
Stagiaires M2 |
-83 |
-83 |
-83 |
|||
AVS |
1500 |
350 |
350 |
2200 |
350 |
2550 |
médico-sociaux |
50 |
150 |
200 |
100 |
300 |
|
Total vie élève |
1600 |
449 |
668 |
2717 |
460 |
3177 |
Contractuels (décharges) |
225 |
125 |
-350 |
0 |
0 |
|
Stagiaires |
1129 |
1183 |
2312 |
667 |
2979 |
|
Stagiaires M2 |
-378 |
-378 |
-378 |
|||
Maîtres délégués |
-60 |
-60 |
334 |
274 |
||
Total privé |
225 |
876 |
773 |
1874 |
1001 |
2875 |
Total MEN |
4325 |
8781 |
9099 |
22205 |
9421 |
31626 |
Agriculture |
50 |
200 |
150 |
400 |
140 |
540 |
TOTAL enseignt scolaire |
4375 |
8981 |
9249 |
22605 |
9561 |
32166 |
Enseignement supérieur |
|
1000 |
1000 |
2000 |
1000 |
3000 |
TOTAL Éducation |
4375 |
9981 |
10249 |
24605 |
10561 |
35166 |
(Sources : Loi de finances rectificative de 2012 et PLF 2013 à 2015.)
Le tableau ci-dessus – identique à celui de l’article où nous faisions le point sur les créations de postes, l’année dernière (http://www.cahiers-pedagogiques.com/blog/lesdechiffreurs/?p=827) – intègre les données du projet de Loi de finances 2015.
Du point de vue de la logique de la présentation du budget de l’État, ce sont plus de 10 500 postes qui ont été créés pour la rentrée 2015, portant le total à plus de 35 000 depuis le début de la législature. Pour tenir formellement l’engagement présidentiel, tel que prévu dans la Loi pour la refondation de l’école, il en faudrait encore près de 25 000, soit 12 500 environ dans chacun des deux prochains budgets Étant donné ce qui est prévu pour l’enseignement supérieur et pour l’enseignement agricole (respectivement 5000 et 1000 postes au cours de la législature), ce sont un peu plus de 11 000 postes qui devraient être créés, en moyenne, pour l’Éducation nationale (public et privé) dans chacun des deux prochains budgets. C’est possible – ce qu’indique le communiqué du Ministère – sauf aggravation de la politique d’austérité et extension de cette politique au secteur de l’éducation : cela implique en effet d’augmenter quelque peu le rythme des créations de ces dernières années.
Nous reprendrons donc, en partie, la conclusion de notre article précité sur la rentrée 2013 : « il n’est pas question ici de nier l’effort accompli malgré un héritage et une situation difficiles, mais on est loin du compte au regard des suppressions massives de postes de ces dernières années ». Même si l’engagement présidentiel est tenu, et si tous les nouveaux postes créés sont des postes d’enseignants titulaires, on restera loin de ce compte. Nous disons de ce compte car la vraie question à se poser doit être : y a t-il (et y aura-t-il, à la fin de la législature) autant, voire plus d’enseignants face aux élèves, notamment dans le premier degré et dans les zones prioritaires ?
[1] Voir « Éducation : où en les 60 000 postes », par Maryline Baumard, Le Monde du 6 novembre 2014 et le communiqué de presse du Ministère, http://www.education.gouv.fr/cid83560/60000-postes-dans-l-education-crees-d-ici-2017.html.
[2] Il ne nous appartient pas ici de nous prononcer sur la conception de ces nouvelles formations ; notons simplement que leurs modalités de mise en place font l’objet de critiques.
[3] Il s’agit du plafond des emplois budgétaires d’enseignants (non compris les CPE, ni les stagiaires) ; ces plafonds prennent en compte des mouvements de transferts internes aux budgets et ne comptent les postes créés à une rentrée que pour un tiers dans le budget de la même année (ces postes ne sont créés – et ne pèsent sur le budget de l’État – qu’à compter du 1er septembre). La comparaison avec le tableau suivant n’est donc pas possible, mais les plafonds d’empois sont homogènes et comparables.
[4] C’est en principe sur la base de ces prévisions qu’est établi le budget.