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Voix croisées contre la misère

Jeudi 17 octobre, journée du refus de la misère. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, a reçu une délégation de personnes en situation de pauvreté. Moment intense, suivi d’une rencontre polyphonique, salle Colbert où la voix d’une maman en détresse a sonné aussi fort que celle d’une ministre. Moment de partage, avant une marche contre la misère des Invalides au Trocadéro et une soirée de réjouissances.

La salle Colbert est comble. Des députés arrivent un peu en retard, encore troublés. « C’était un beau moment » chuchote l’un d’eux à son voisin. Ils viennent de recevoir la délégation de personnes vivant dans le dénuement, pour parler de leur place dans les politiques publiques avec le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Pas à un niveau symbolique et dégagé, mais au quotidien, lorsqu’il s’agit de se faire soigner, d’aider les enfants à faire leurs devoirs ou de chercher du travail.
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Devant le tableau représentant Jean Jaurès, dans cette salle Colbert se croisent alors les paroles, celles de militants ATD Quart monde, qui connaissent ou ont connu la misère, de leurs « alliés » les accompagnant dans leurs actions, de partenaires de la journée, de ministres et anciens ministres et de députés, « Huit millions et demi de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont près de trois millions d’enfants. Et la moitié des français se déclarent dans un sentiment diffus d’être exclus, pas entendus, ou en situation de précarité, sans assurance du lendemain. », rappelle d’abord Claude Bartolone. Quels remèdes selon lui ? La recherche du progrès social, fondement même de la Nation française, la lutte acharnée contre le chomage et l’écoute des personnes, pour prendre toute la mesure de leur situation.
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Ecouter, c’est ce qu’il fait immédiatement, à l’instar de l’assemblée soudain émue et réjouie tout à la fois : deux militantes ATD Quart Monde, Muriel Gélin et Manuela Lecanu, prennent la parole. Muriel Gélin, mère de quatre enfants « dont le dernier rencontre de grandes difficultés scolaire », s’est engagée dans un combat pour que tous les enfants réussissent à l’école. Elle a participé aux travaux autour de la Refondation de l’école, lors d’un séminaire qui a rassemblé militants, chercheurs et enseignants, où il a fallu apprendre à se parler et s’entendre : « Cela m’a donné la force d’aller à la rencontre des enseignants ensuite. Et je me suis dit que si moi, parent, j’avais peur d’eux, l’inverse devait bien être vrai. » De ce séminaire il est ressorti trois idées fortes : il est demandé de reconnaitre que tous les enfants ont la capacité d’apprendre et de progresser, de permettre aux parents de participer à l’école et d’encourager les élèves à travailler en coopération.
« Les enseignants pensent que tous les parents ont internet, et souvent les enfants n’osent pas leur dire que leurs parents n’en ont pas les moyens. » lance pour sa part Manuela Lecanu, insistant sur le facteur discriminant que représente internet. Dominique Baudis, défenseur des droits, revient ensuite sur le fait que la pauvreté empêche de voir les personnes et qu’elle est « un pur produit de nos sociétés ». Marie-Sol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, rappelle la menace de notre regard qui s’habitue et banalise des situations que nous croisons tous les jours, et félicite toutes les personnes présentes qui oeuvrent contre ce risque. A son tour, Pierre-Yves Madignier, président d’ATD Quart Monde, se réjouit de cette rencontre et se sent même, « la tête dans les étoiles, en constatant aujourd’hui tout de ce que l’on a pu mobiliser ».

Devant la statue de Washington

Devant la statue de Washington


Débute ensuite la marche qui mène des Invalides au Trocadéro. A la question de savoir pourquoi elle y participe, Céline, militante ATD, placée très jeune dans des familles d’accueil, se souvient qu’il lui manquait toujours des fournitures scolaires. Marie-Madeleine et Micheline s’occupent d’une bibliothèque de rue pour des enfants roms en banlieue parisienne. Avoir été reçues par Claude Bartolone, c’est comme se retrouver devant un miroir qui dit « tu existes », expliquent-elles. Marion, elle, s’adresse à tous les enseignants : « A l’école, il ne faut pas laisser penser aux enfants que leurs parents ne s’occupent pas bien d’eux, il faut au contraire que les enseignants se mettent à la portée de tous : quand les enfants voient que leurs parents sont respectés et valorisés, beaucoup de choses changent. »
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La marche se termine aux côtés d’Antoine, volontaire-permanent d’ATD à Lyon, un homme qui parait porter en lui toutes les voix, celle de l’homme qui souffre, celle de l’engagé au combat tranquille, celle aussi de l’homme qui cherche l’humanité derrière le voile de la misère. C’est cette dernière voix qui résonnera lorsque, rentrant en métro, quelqu’un s’approchera en demandant une pièce, « même petite ». Il n’y a pas de petite pièce. Il n’y a pas de petite voix. Il n’y a pas de petite misère. Il y a de grands combats.

Christine Vallin