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Violence, collège, média

Lundi 3 janvier 2000, jour de rentrée des classes, les journalistes ont chaussé leurs bottes pour aller vers les plages sinistrées et les forêts dévastées. Oublié le bogue, et peut-être oubliée la campagne annuelle sur la violence à l’école ?

Lundi 3 janvier 2000, jour de rentrée des classes : tout est calme dans mon collège de banlieue presque ZEP : cette année, pas de carreaux cassés, pas de robinets arrachés, pas de pneus crevés, pas de graffitis – ni dedans ni dehors – la dernière bagarre remonte à un mois et demi, aucune demande d’exclusion ; juste deux classes de cinquième à surveiller de près, quelques garçons de quatrième à convoquer. On se prendrait à penser que c’est grâce à notre travail que tout va si bien cette année Et si l’épidémie de grippe ne décime pas l’équipe et que les journalistes ne s’en mêlent pas, on se prendrait même à croire que ça va durer.

Lundi 10 janvier : la grippe est bien là, mais les journalistes ne parlent toujours pas d’autre violence que celle du vent et du pétrole.

Lundi 17 janvier à sept heures : un petit flash à France Info : violence entre élèves dans un lycée professionnel. Aïe ! Ça y est ! le lendemain, concert dans tous les médias : quel unisson ! Et tous les jours qui suivent, à toutes les heures même parfois, de nouveaux fait divers répétés à l’envie pour tous publics de sept à soixante-dix-sept ans : la violence à l’école fait de nouveau recette.

Lundi 24 janvier : le collège s’agite ; depuis quelques jours les graffitis refleurissent, aux intercours des professeurs se sont fait insulter dans les couloirs, des objets volent dans les escaliers : canettes de Fanta, ufs, et même des chaises. Toutes affaires cessantes, la direction sillonne les couloirs et la cour de récréation : au passage un petit groupe d’élèves chantonne :  » la violence à l’école ! la violence à l’école !  » (sic).

Jeudi 27 janvier : Un professeur a retrouvé sa voiture entièrement rayée. Le ministre dévoile son nouveau plan anti-violence, si bien résumé par les journalistes :  » prévention dans le primaire, répression dans le secondaire « .

Vendredi 28 : une dizaine de professeurs arrivent ensemble dans mon bureau pour demander de l’aide et des solutions.

Lundi 31 janvier : huit heures : quatre professeurs absents, les deux surveillants malades, sans parler des agents. Je fais face mais je nourris au fond de moi un sourd ressentiment contre les journalistes ; heureusement, les vacances approchent et les élections autrichiennes ont remisé les violences à l’école aux oubliettes médiatiques.

Quelle est la morale de l’histoire ?

Que quand la forêt méditerranéenne est prête à brûler en plein mois d’août, il suffit d’une étincelle pour y mettre le feu ; et que celui qui provoque l’étincelle s’appelle un pyromane.

Que si les médias voulaient dénoncer la violence des adultes au travail, ils trouveraient certainement quelques faits divers quotidiens largement aussi croustillants que dans les écoles : des morts par accidents du travail, des violences morales pour pousser les gens à la démission, j’en passe et des meilleures.

Mais exciter la société à la colère contre les patrons est un peu passé de mode en ce début de millénaire. Il est sans doute plus civique d’y instiller la peur des adolescents.

Noëlle Villatte, Principal de collège. Bagneux, le 8 février 2000.