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Universités : vrais problèmes et fausses solutions

La loi votée pendant l’été 2007 redéfinit la « gouvernance » et le mode de fonctionnement des universités : elle recommande de donner une plus grande autorité à la direction des établissements et une plus grande autonomie de gestion. Pensez-vous que ces axes forment un cadre pertinent pour apporter une réponse aux difficultés rencontrées ? Voyez-vous, pour votre part, d’autres éléments à prendre en considération ?
La nécessité de modifier les conditions dans lesquelles s’exerce l’autonomie des universités est largement admise. Le cadre dans lequel s’organisaient les relations entre l’État et les universités a largement montré ses limites. Lorsqu’un mode de régulation ne permet plus de répondre à la réalité des questions posées, il faut changer les règles du jeu. Donc, en soi, l’accroissement de l’autonomie accordée aux universités est une bonne idée.
L’exigence de réforme soulève cependant deux questions essentielles : sur quels points précis renforcer l’autonomie et qui en faire bénéficier ? La loi répond très clairement sur ces deux points : sur la « gouvernance » et au profit, pour l’essentiel du président de l’université. J’ai, devant cette réponse, deux inquiétudes. On fait comme si les sources des problèmes actuels se trouvaient uniquement dans les conditions de fonctionnement des universités ; or, si les universités françaises sont souvent trop contrôlées et mal encadrées, c’est la responsabilité de la tutelle. Si elles ont des questions graves de financement, cela résulte de décisions politiques ; si l’orientation n’y est pas ce qu’elle devrait être, cela ne vient pas exclusivement d’elles. Améliorer la « gouvernance » de l’université, bravo ; mais, même nécessaire, cela sera loin de tout résoudre, si cela ne s’accompagne pas d’une politique universitaire ambitieuse, et qui concerne toutes les universités.
Ma crainte essentielle vient du renforcement, que je trouve excessif, des pouvoirs personnels du président. La loi substitue à la démocratie représentative traditionnelle une démocratie de délégation. On a entendu, de la part des parlementaires ou de présidents en mal de réélection, une sorte de discours béat. Renforçons les pouvoirs du président d’université : les principes modernes du management public vont faire, par enchantement, leur apparition et l’efficacité sera au rendez-vous. Donnons-lui des pouvoirs importants en matière de recrutement et de gestion des personnels, et la qualité de l’enseignement va subitement progresser. Mettons en place des règles d’élection et de constitution des CA, qui en feront des chambres introuvables à la botte du président et tous les problèmes vont se résoudre. Je crains que les choses ne soient plus compliquées ; que cela ne crée, dans un certain nombre d’endroits, les conditions d’un fort clientélisme ; ou que cela ne garantisse pas plus qu’aujourd’hui, le recrutement de personnalités fortes ou originales. Pire ! Que, dans un monde où la distance psychologique et culturelle entre la direction des établissements et sa base constitue souvent une véritable plaie, cela ne l’accentue au lieu de créer les conditions d’un véritable dialogue collectif.

Le recours au mécénat privé vous semble-t-il un risque réel de mise en concurrence des filières de formation au détriment des moins rentables à court terme (lettres, philosophie, arts, etc.) ? Peut-on imaginer des garanties ?
Cette idée, largement entendue au sein des universités, relève en grande partie du fantasme. D’abord, parce que le financement privé des universités, dans le cadre de la recherche et de sa valorisation ou de la formation continue, existe déjà et apporte à certaines universités une part non négligeable de leur financement.
Les problèmes actuels des universités ne viennent pas de la diversité du spectre de leurs formations ; ils résultent des déséquilibres de leur offre. Le dysfonctionnement ne naît pas de la présence de formations de Staps, de philosophie, de communication ou de psychologie au sein d’une université. Il vient de ce que certaines de ces formations sont pléthoriques et qu’elles ou d’autres attirent des étudiants qui soit n’ont pas d’appétence véritable pour leur contenu, soit ne justifient pas des prérequis qui seraient nécessaires pour les suivre avec profit. Et le malaise en leur sein ne vient pas d’un sentiment d’inutilité, mais de l’impression de dévalorisation et de la hiérarchisation des formations que cette situation nourrit. La question est donc moins de supprimer telle ou telle formation que de viser, tant que faire se peut, à l’équilibre de la carte et des effectifs.
On en revient à la question difficile de l’orientation. C’est une bonne chose que la loi n’ait pas renoncé, comme y poussaient certains, au principe de la liberté d’accès à l’université. Elle met cependant en place des évolutions (la préinscription) qu’il faudra mesurer à l’usage. Mais c’est une question de fonctionnement de l’ensemble du système et de carte globale des formations que l’université ne peut pas régler seule. La carte de l’offre de formation nécessite une analyse globale et implique tous les acteurs. Lorsque j’étais recteur à Rennes, dans les années 80, j’avais mené une politique de responsabilisation des lycées sur leurs pratiques d’orientation. On n’ouvrait de classes de prépa scientifique que si un lycée augmentait son taux d’orientation en S. Et, si un lycée sortait à tour de bras des bacheliers G, il était hors de question de lui ouvrir un BTS « de luxe », tel que commerce international. S’il voulait une classe de BTS, cela ne pouvait être que comptabilité et gestion ou force de vente. On m’a dit par la suite que cela avait amélioré la liaison secondaire-supérieur et contribué à un moindre déséquilibre des orientations vers l’université.

La dualité du système d’enseignement supérieur divisé entre les filières sélectives (classes prépas, grandes écoles, IUT, STS) et filières universitaires ouvertes accentue les inégalités : les étudiants les plus fragiles sont aussi ceux qui ont le taux d’encadrement le plus faible. Peut-on envisager de mettre fin à cette dualité ?

Clairement non. Vous remarquerez d’ailleurs que, sur la question des grandes écoles, la loi Pécresse est d’un silence assourdissant et, si j’ose dire, c’est normal, puisque cela n’est ni son intention, ni son sujet de la traiter. Cela fait des années qu’on sait que, sur le plan financier, on a choisi d’améliorer le financement des lycées, plutôt que celui de l’enseignement supérieur et qu’à l’intérieur de ce dernier, on a dégradé la situation des universités en laissant s’accroître l’écart qui les défavorisait par rapport aux grandes écoles. Et cela n’a jamais troublé des élites politiques et sociales qui ne se sentent pas personnellement concernées par le devenir de l’université et sont tout à fait satisfaites des effets sociaux de la dualité, parce qu’elles bénéficient de ce système. Et, même dans un contexte où les moyens deviennent rares et chers, je ne vois pas comment un gouvernement, quel qu’il soit et à supposer qu’il en ait l’envie, pourrait politiquement remettre en cause les privilèges dont les grandes écoles bénéficient.
Si on s’est préoccupé de la situation des universités, ce n’est absolument pas pour des raisons de justice sociale. C’est d’abord et avant tout lié à la constatation des effets que leurs dysfonctionnements entraînent dans le cadre de la compétition internationale. On peut même penser que certaines réformes réalisées ces dernières années ont renforcé l’avance des grandes écoles. On a supprimé en grande partie le monopole dont les universités bénéficiaient dans le domaine de la collation des titres universitaires. On a ouvert la concurrence entre elles et les universités, dans certains domaines de formation ou dans celui de la recherche ; or, créer une concurrence dans des conditions a priori inégales, c’est nécessairement permettre le renforcement de la position du plus fort. On sent même de plus en plus, dans les discours du président de la République, ou les propositions de la commission Attali, la tentation d’installer une hiérarchisation de plus en plus forte entre les universités elles-mêmes.
Le salut des universités viendra d’abord d’une politique plus ambitieuse à leur égard, et des efforts des universités et des universitaires eux-mêmes : un travail sur l’évaluation des formations, la qualité de leurs diplômés, la diversification et l’amélioration des débouchés auxquels elles ouvrent. Cela a commencé, par exemple avec le développement des formations d’ingénieurs au sein des universités après 1984. Mais cela passe sans doute par des révisions en profondeur des pratiques, par exemple sur la relation à l’étudiant, le caractère collectif du travail universitaire ou sur la gestion des carrières, avec une meilleure prise en compte de critères plus diversifiés… Mais cela n’exonère pas les autorités publiques de leurs responsabilités. Pour fréquenter assidûment quelques universités étrangères, je vois bien ce qui sépare les conditions de travail des collègues étrangers des nôtres : en termes d’aménagement des espaces de travail, d’aide matérielle, de partage des tâches, de documentation… Toutes questions qui ne sont jamais évoquées, mais oh combien prégnantes !

L’échec en premier cycle est important. L’université doit-elle, peut-elle, s’adapter à un nouveau public ? Quelles conséquences pour l’identité professionnelle de l’enseignant du supérieur ? Les problématiques pédagogiques doivent-elles faire partie de leur formation et de leur évaluation ?
J’ai quitté l’université pendant quatorze ans pour exercer des fonctions administratives. Quand j’y suis revenu, en 1994, je me suis retrouvé à la tête d’un amphithéâtre de 1 250 étudiants en troisième année de licence. À la fin de l’année, imprégné de deux ou trois choses que j’avais apprises au contact des enseignements primaire et secondaire, j’ai souligné aux collègues l’aberration que représentait la constitution d’un public indifférencié rassemblant des étudiants sortant d’un deug de droit, d’autres venant d’un autre deug et arrivés là par équivalence, d’étudiants Erasmus découvrant et le droit et l’enseignement français et venant, à l’époque, de six pays différents (avec souvent des problèmes de langue pour corser le tout), d’étudiants récurrents reprenant des études après une période d’interruption. On les mettait devant le même prof, dans une pratique pédagogique uniforme, en les soumettant aux mêmes formes d’évaluation. Mais, en parlant d’hétérogénéité, j’ai eu le sentiment de prononcer le plus gros mot qui soit.
Cette question n’a soulevé aucun intérêt chez mes collègues. Pour eux, l’octroi des équivalences était laxiste, les étudiants Erasmus étaient trop souvent des touristes qui ne suivaient pas de réelles études… Et tout cela ne valait pas qu’on se torture l’esprit. Les choses ont certes évolué en près de quinze ans. Mais il est clair que la prise en compte des difficultés des étudiants reste trop embryonnaire et que les préoccupations pédagogiques sont trop mal prises en compte. Quand je regarde ce qui se passe dans le tutorat, confié à de jeunes étudiants sans aucune expérience d’enseignement, qui n’ont souvent que l’enseignement magistral comme modèle idéal, et reproduisent des pratiques pédagogiques existantes, on voit bien le chemin qui reste à parcourir, ne serait-ce qu’en termes de réflexion. Et les insuffisances sont effectivement en grande partie liées au fait que l’analyse des raisons de l’échec ne constitue pas un véritable enjeu pour beaucoup d’universitaires.

André Legrand, professeur de droit public à l’université de Paris X Nanterre, président honoraire de l’université.