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Une trace éphémère et nacrée

Comment débuter l’année, pour se projeter vers son avenir, en formant les vœux habituels avec nos mots anciens et, presque obsédants, ces maux, si présents, trop connus à force d’être ressassés, que génèrent notre système éducatif et, au-delà, notre système social ? Prenons, si vous le voulez bien, des chemins de traverse. Osons le dire : tout est possible, nous n’avons plus rien à craindre du pire. Nous l’avons trop cultivé pour ne pas être déçus ; nous voudrions ce monde forgé par nos désirs et nos besoins, éreinté après plus d’un siècle par sa propre vitesse, plus rapide encore dans sa course vers l’abime, et préserver notre confort intellectuel et matériel, car nous aimons nos aises.

Alors, faisons quelques rêves déraisonnables. Tout d’abord, commençons par croire (la nature humaine doit beaucoup à l’imitation) en ce que nous faisons de plus petit, de plus humble, dans nos gestes quotidiens : professionnels, personnels, amicaux, amoureux ou tout simplement placés sous le signe de l’empathie, en principe nécessaire, avec nos semblables ; avec le dessein déjà, à notre insu, de ce nouveau monde : celui où nous craignons d’être condamnés, nous et les générations futures, est encore à réinventer.

Cumulons, à l’ancienne, les bons points, pour pouvoir, sans ciller, nous regarder dans le regard des autres, mais aussi celui parfois si sévère, de notre for intérieur. Assumons nos élans, l’enthousiasme inné qui nous porte vers tout ce qui nous permet d’assumer notre part. Et s’il nous fallait pour un temps renoncer aux martingales, aux improbables messianismes ? Foin des Évangiles, Tables de la Loi, ou manifestes, religieux, politiques ou philosophiques : ayons la modestie de l’escargot qui, en toute simplicité, laisse sa trace éphémère et nacrée sur ce qu’il n’a pas mangé de la feuille de rhubarbe !

Cessons, même si nous aimons les leçons, de nous limiter à en donner toujours ! Et si nous tentions de renouer avec le temps de l’ardeur retrouvée, inscrite, présente en chacun de nous, cette vitalité spirituelle et créatrice, à la poursuite de ce songe immense qui habite l’espèce humaine, depuis qu’elle a pris la parole et les cieux, vides ou pleins, à témoin ? Rêvons de cet autre monde possible : celui que nous sommes en train d’inventer, car nous l’inventons à chaque instant avec nos propres enfants, nos élèves, nos proches, nos amis, et ceux de nos ennemis les plus farouches ! Réconcilions-nous avec l’avenir, en tissant ce présent si indomptable, si peu prévisible, si peu conciliant, avec nos paresses, nos désirs et nos peurs. Et plaçons à l’aube de ce regain cette parole de Kenzaburô Ôe : « Je continuerai à vivre le temps qui reste en pensant que la morale de l’essentiel consiste à laisser aux générations suivantes un monde qui mérite d’être vécu. »[[Propos tenus par cet écrivain japonais dans un entretien accordé au journal Le Monde en 2013.]] On continue tout de suite !

Lionel Povert est professeur de français en collège à Paris.