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Une salle de sciences à l’école : une réponse à un enjeu pédagogique

Enseignante dans une petite école à deux classes, j’exerce maintenant depuis sept ans. Entre classe unique et classe de cycle, j’ai toujours pratiqué dans des classes à plusieurs niveaux. Ma formation initiale est scientifique et j’ai appris à l’IUFM l’enseignement des sciences selon les principes « main à la pâte ». J’inclus alors tout naturellement dans ma pratique l’enseignement des sciences à l’école élémentaire. Dans cette approche, les sciences engagent les élèves dans une démarche d’investigation. La construction des connaissances passe par l’exploration, l’expérimentation et la discussion. Les sciences à l’école élémentaire ne sont pas réduites aux sciences physiques, elles englobent également le domaine du vivant, l’éducation à l’environnement, la technologie et les technologies de l’information et de la communication. Au regard des capacités et des attitudes attendues à la fin du socle commun, je me suis questionnée sur la mise en œuvre pédagogique de cet enseignement.

Une activité spécifique

Faire des sciences à l’école, c’est se retrouver dans un moment où la classe est différente parce qu’il faut du temps pour mettre en place la démarche de recherche et parce que celle-ci bouscule les rapports aux savoirs. Pour ne prendre qu’un exemple : le cahier de sciences accepte la langue et les erreurs des élèves.
C’est donc un temps où le statut de l’erreur change ; on peut se tromper, dire ce que l’on pense sans crainte de jugement. Les élèves l’ont compris et le disent avec leurs mots : « C’est bien d’écrire dans le cahier de sciences car c’est pas grave si tu fais des fautes d’orthographe ». Les questions naissent, les langues se délient. Ce ne sont pas forcément les mêmes enfants qui s’expriment, on entend certains d’entre eux, en difficultés de lecture, qui trouvent là un rapport au concret leur permettant d’exprimer leurs connaissances.
Dans les travaux de groupes, les échanges sont énergiques. Parfois, des conflits naissent mais ces travaux-là marquent la mémoire. Dans les classes à plusieurs niveaux, il est frappant d’entendre ce dont les élèves se souviennent d’une année sur l’autre. L’activité de recherche en sciences fait toujours partie des travaux qui restent dans les souvenirs. Les élèves y sont aidés par ce cahier d’expérimentations qu’ils feuillettent avec plaisir, discutant du travail des années précédentes, de leurs difficultés, de ce qu’ils ont compris, de ce qui leur a plu ou non. Véritable institution pour un enfant, ce cahier est là pour garder la trace historique des travaux scientifiques. Pour l’enseignant, c’est un outil qui permet de voir les progrès, les changements de point de vue de ses élèves et de communiquer avec ses collègues lors des changements de classe.

Un parcours du combattant (pédagogique) ?

Mais faire des sciences à l’école, ce peut être aussi un parcours du combattant pour l’enseignant. Pas seulement pour construire des séquences, car avec les livres, Internet et le site « Main à la pâte » ou d’autres, on dispose de bonnes ressources. Non, l’obstacle principal en classe est bien matériel et les difficultés rencontrées sont de plusieurs types :

L’organisation spatiale…
Pour l’aménagement, il est nécessaire de prendre les bureaux des enfants, de les regrouper pour disposer le matériel et permettre le travail des élèves. Ce temps de mouvement est non négligeable et peut déstabiliser l’ensemble d’un groupe.

La sécurité…
« Si je mets la plaque chauffante ici, est-ce qu’Untel ne va pas mettre sa main dessus ? »

L’organisation matérielle…
« De toute façon, je n’ai pas le choix la prise est là, mais est-ce que les élèves vont bien voir ? »

Le matériel nécessaire…
« Ai-je pensé à tout pour cette séquence sur l’eau ? » Hé non ! Le thermomètre est resté dans le congélateur à la maison !
Ou encore : « Ce soir, il faut absolument que j’achète des ballons pour ma séance sur l’air. »

Les inévitables incidents de toutes sortes
À observer les élèves manipuler de l’eau, des verres, des pailles en se demandant où peuvent bien aller les bulles, on sait qu’il y a neuf chances sur dix pour qu’un verre se renverse sur un cahier.

Avec du calme et de l’humour, on parvient à mener les séances. Cependant, on le comprend, faire des sciences à l’école impose à l’enseignant des contraintes de temps de préparation et de gestion matérielle importantes qui représentent sans conteste autant de freins à la démarche d’investigation. Ces contraintes prennent le pas sur d’autres exigences, comme celles de la régulation de la parole ou de la diversité des recherches permises aux élèves dans les travaux en groupes.

Une salle spécifique

Ces considérations préliminaires sont à l’origine de mon projet de créer dans l’école une salle spécifique pour « faire des sciences » : la plupart des difficultés rencontrées par le professeur d’école dans la conduite d’activités scientifiques pourraient être contournées – sinon résolues – en passant par une réflexion et une organisation quant au lieu où elles se dérouleraient.
C’est en effet de ces questions matérielles et d’organisation qu’est née cette envie d’un lieu où la gestion collective serait facilitée :
– Un lieu qui, par son organisation spatiale et matérielle très réfléchie, ouvrirait sur les activités scientifiques.
– Un lieu où le sacré matériel ou matériel sacré pour les sciences serait là, prêt à répondre aux besoins de recherche des enfants.
– Un lieu qui attiserait les curiosités et les questionnements, qui permettrait de conduire des expériences et des manipulations visibles par tous les enfants.
– Un lieu où les élèves pourraient aussi, réaliser leurs expériences sans craindre d’éventuels dégâts des eaux ou autres.

Libéré de ces contraintes matérielles, il me semble que le professeur d’école pourrait ainsi mener de façon plus approfondie et plus rigoureuse la démarche scientifique et porter son attention pédagogique sur la partie qui concerne l’aspect discussion/échanges, qui est la plus efficace quant à la construction de la pensée scientifique chez l’enfant.
Il pourrait en outre – parce que cette salle serait partagée avec d’autres classes et d’autres enfants – ne plus se restreindre aux questions que se posent les enfants de sa seule classe ; ce qui lui permettrait d’éviter ou de dépasser dans les travaux en groupes, les influences et relations habituelles des élèves entre eux.
La salle de sciences étant ouverte à d’autres classes, on pourrait y trouver par exemple un tableau réservé aux « questions de recherche », un panneau pour recueillir les « où en sommes-nous ? », etc.. de manière à enrichir le travail par les échanges avec d’autres qui eux, cherchent aussi. Non seulement chercher mais aussi trouver des moyens de se confronter aux idées des autres, d’écrire ce que l’on a trouvé. Les tableaux et panneaux seraient là pour pouvoir dire aux autres utilisateurs de cette salle : « Voici nos questions, voilà nos réponses. »
Il ne s’agirait aucunement de compétition mais plutôt de coopération et du plaisir de mettre en commun, et de s’enrichir des découvertes et des idées des d’autres.

Une salle de sciences comme un laboratoire

Comme on emmène les enfants dans les bibliothèques pour non seulement leur permettre d’aller à la rencontre des livres mais surtout pour qu’ils y acquièrent des comportements de lecteur, il me semble que donner l’occasion aux enfants de fréquenter une salle spécifiquement consacrée aux sciences devrait leur permettre de plus facilement construire un comportement de chercheur.
Cette salle de sciences, je la vois comme un véritable « Labo » pour élèves.

Un matériel divers et riche à portée de mains
J’imagine une salle avec des étagères portant ce matériel précieux qui à force d’être complété, pourrait permettre de chercher la réponse à de multiples questions : constructions mécaniques, engrenages, aimants, matériel électrique, béchers, éprouvettes, thermomètres…
Ce matériel, à portée des regards, pourrait être utilisé de façon autonome par les plus grands.

Une organisation favorisant la diversité des activités
Une grande table centrale permettrait aux élèves, disposés tout autour, de voir et se parler, manipuler, chercher et tester.
Les tableaux, évoqués plus haut, favoriseraient la communication et les échanges en direction des autres.

Une conception pratique
Un placard pour ranger les cahiers d’expérimentations.
Une paillasse carrelée sur deux côtés de la salle permettrait d’entreposer ce que l’on met en observation et offrirait la commodité d’un plan de travail visible, accessible à tous et de surcroît ne craignant ni les coups de crayons, ni l’eau.

Un lieu propice aux expérimentations
J’y vois des plantes qui poussent ou non dans diverses conditions pour tester, chercher, vérifier, comprendre. Des objets pour aiguiser la curiosité et le goût de l’observation : un globe terrestre, des microscopes, quelques phasmes dans une belle boite en bois ; le coin des curiosités apportées par les élèves.

Le matériel minimum
Un point d’eau, un réfrigérateur congélateur, une plaque chauffante.

Un lieu pour interroger
Dans cette salle pourraient être exposées des réalisations technologiques afin que les élèves puissent les observer et se demander « comment ça marche ? » mais aussi les toucher pour comprendre « comment ça marche ? ».
Je ne parlerai ni de livres, ni d’ordinateurs et autres supports multimédias utiles à la démarche expérimentale d’investigation car l’objectif premier d’une salle de sciences est plutôt de créer un lieu, spécifiquement aménagé pour les élèves, adapté à leur taille d’enfant, où seraient privilégiés l’expérimentation, et la discussion et les échanges.

Pourquoi à l’école ?

La question du financement d’un tel projet se pose immanquablement d’autant que des salles que les enfants peuvent fréquenter pour rencontrer les sciences, existent déjà sur la ville de Grenoble. Mais cette fréquentation dans un cadre scolaire entraîne des dépenses en temps[[Pour réaliser avec sa classe une heure d’activité autour d’un sujet de sciences dans un lieu éloigné de l’école, il faut compter plus d’une demi-journée.]], en fatigue et en frais de transport non négligeables, sans parler de la fréquence possible de ce type d’activité qui variera sensiblement selon que la salle de sciences est sur place ou à plusieurs kilomètres de distance.
Or, un lieu existe déjà dans l’école. C’est une salle indépendante du bâtiment des classes et qui ouvre sur la cour. Inutilisée depuis quelques années semble-t-il, elle possède un point d’eau, est équipée en chauffage et électricité. Avec un solide nettoyage, quelques travaux de peinture et une vérification des mises aux normes, ce serait une salle qui pourrait parfaitement convenir.
Se pose ensuite, le problème du financement de ces travaux. Ils devraient pouvoir être assurés par la commune et devraient pouvoir s’inscrire dans un budget d’équipement. D’autres conditions sont aussi réunies pour donner naissance à ce projet. Le cadre institutionnel du Projet d’École tout d’abord, qui trouve dans cette salle de sciences une mise en œuvre de ses deux axes : développement de l’enseignement des sciences et comportement et relations sociales. Les collègues de l’école maternelle ensuite, qui sont très intéressés car notre projet d’école est commun. L’idée de créer un lieu d’échange et de partenariat pour tous les niveaux d’enseignement est unanimement partagée dans l’équipe. Le dossier unique, pour les écoles élémentaire et maternelle, est rédigé, les commandes de matériels sont prêtes. Il n’y a plus qu’à attendre la participation de nos partenaires financiers institutionnels pour soutenir ce projet. Nous espérons ensuite que l’idée sera suivie par nos autres collègues de la commune pour le faire vivre et partager l’utilisation de la salle.

Katia Despres, Directrice d’école – Enseignante classe CP/CE1 – Seyssinet-Pariset.


Références

Bulletin officiel, hors série n°5 du 12 avril 2007, mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences, Programmes d’enseignement de l’école primaire
Documents d’accompagnement des programmes, enseigner les sciences à l’école (2002). CNDP
Site INRP, la main à la pâte, principes et enjeux.