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Une question d’autorité ? Les pratiques d’éducation familiale

Cet ouvrage de Julie Pinsolle, salué  par le prix Le Monde de la recherche universitaire ( dont le jury est présidé par Edgar Morin), est issu d’une thèse soutenue en décembre 2015. Son intention  de recueillir des matériaux pour « permettre une réflexion sur l’autorité, produire une image contemporaine de l’éducation familiale et comprendre les logiques nouvelles qui la traversent » peut éclairer les nombreux débats et appels sur le « retour de l’autorité ». C’est à partir d’entretiens menés  près de familles d’enfants scolarisés en collège que l’auteur  a conçu un questionnaire diffusé auprès de 2135 familles pour mieux comprendre leurs pratiques quant aux règles organisant le quotidien. Les questions portent à la fois sur les réactions de la famille face à l’école (devoirs à faire, mauvaises notes, bavardages) et  à  la maison  (repas, sorties, vêtements, télévision, ordinateur, punitions …) Les 993 retours au questionnaire constituent le corpus de la recherche.

La première partie  du livre analyse les évolutions du discours social et l’émergence de nouvelles valeurs éducatives : le dialogue, l’autonomie et la confiance , « Sainte Trinité éducative » selon l’auteure. Comment ces valeurs s’articulent-elles avec l’apprentissage des règles et des limites nécessaires à toute éducation ?

La seconde partie examine comment  les parents d’aujourd’hui se débrouillent de la question de l’inculcation des règles dans un contexte qui promeut l’épanouissement de l’enfant. La façon dont elles  sont mises en place à la maison influence-t-elle le comportement des élèves au collège ? On ne peut faire l’économie du dialogue entre la famille et l’école selon Julie Pinsolle : c’est par une position commune face à l’enfant que parents et enseignants pourront « faire autorité ».

Les réponses au questionnaire sur l’organisation quotidienne dessinent une image des pratiques parentales d’autorité et des valeurs éducatives promues par les parents en soulignant leur évolution et en bousculant quelques idées reçues. Au-delà des trois profils d’éducation familiale dégagés – les « épicuriens perplexes », les « cadres souples » et les « contingents » – l’auteure observe une porosité des frontières d’éducation familiale et une primauté des situations pour caractériser les profils éducatifs.  Contrairement à ce qu’on avait coutume d’observer  naguère l’origine sociale des parents n’intervient pas – au vu des propos ici analysés- de façon  déterminante sur  la manière dont ils mettent en place des règles au quotidien. Ces mêmes réponses indiquent que, si  les valeurs proclamées traduisent une conception égalitaire de l’éducation, les pratiques sont loin de suivre : le fonctionnement des familles diffère notamment selon que l’éduqué est une fille ou un garçon – les filles étant plus « cadrées » que les garçons. Le nombre d’enfants dans la famille interfère aussi  de façon significative : l’expérience acquise semble susciter une plus grande tendance des parents à la négociation les règles avec leurs enfants.

La conclusion de Julie Pinsolle invite à la vigilance vis-à-vis des discours : pour penser l’autorité, le fait de dire les règles ne suffit pas car le sens des règles pour l’enfant réside dans l’usage qu’en font les adultes : « nos résultats invitent à penser qu’il faudrait bien davantage se pencher sur nos pratiques et sur leur cohérence rappelant ainsi l’intérêt d’une éducation collective qui passe par l’agir et ne peut produire des effets que sur un temps long ».

Ce qui vaut pour les pratiques d’éducation familiale interroge sans nul doute les pratiques en contexte scolaire qui auraient aussi tout à gagner de cette invitation à  « une éducation collective » passant par l’agir.

Nicole Priou