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Le CRAP-Cahiers pédagogiques est engagé, au sein d’un collectif de mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, dans la préparation de la troisième édition de la Biennale internationale de l’éducation nouvelle, avec des ambitions amplifiées et un souci de renforcer la coopération entre les militants de l’éducation nouvelle. Entretien avec le coordonnateur du comité de pilotage, Jean-Luc Cazaillon, directeur général des Ceméa.
le 18 janvier 2021, par MélanieNos journées se réinventent avec le couvre-feu à 18 heures. Les responsables de cette nouvelle gymnastique : des apéros, des bonbons dans les amphis et des mutants. La semaine aura entendu de nouvelles mesures, en a attendu d’autres qui ne sont pas venues. L’école reste en première ligne, les étudiants maintenus à distance et dans ce brouhaha, les nouvelles de diminution de postes arrivent dans les établissements. Mais chut ! L’éducation poursuit son cours.
SE REINVENTER QU’ILS DISAIENT
" Jean Castex raccourcit les jours " titre Les Jours. Exemple des mesures pour l’école à l’appui, l’article trouve un fil rouge à la gestion de la crise " s’il y a une constante dans cette crise sanitaire, c’est l’impossibilité d’avoir une discussion ouverte avant que les mesures soient prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19. " En début de semaine, la question d’une fermeture des écoles comme dans les pays voisins se posait. " Attention enfants, attention reconfinement ", prévenait Les Jours dans un article en libre accès. Le taux de contagiosité chez les enfants est en forte augmentation, le variant anglais et ses cousins brouillent les pistes.
Mais rassurez-vous des mesures sont prises dans les écoles. " Pour lutter contre la propagation du SARS-CoV-2, les cours de sport en intérieur sont suspendus, les mesures sanitaires seront renforcées dans les cantines, et les tests devraient être plus nombreux, a annoncé le gouvernement jeudi 14 janvier. " explique Violaine Morin du Monde. Oui mais comment ?
" Après les annonces de Jean Castex jeudi 14 janvier, des moments difficiles sont encore à prévoir dans le monde de l’éducation. " avertit la Dépêche du Midi. "Une nouvelle fois, le gouvernement n’anticipe rien, regrette Xavier Mouchard, co-secrétaire du syndicat d’enseignants SNUIPP-FSU 31. On est obligés de se réorganiser au pied levé, on navigue à vue. "
Éviter les brassages à la cantine, tel est le mot d’ordre qui se transforme en casse-tête sur le terrain. " Pointées du doigt comme potentiel lieu de contamination, les cantines cristallisent les tensions alors que le maintien de leur ouverture dépend d’aménagements sur lesquels le gouvernement n’a jamais vraiment tranché. " Margaux Otter, pour l’Obs, pose sur la table la question de la restauration scolaire, des conséquences d’une hypothétique fermeture et des risques apportés par le maintien de son ouverture.
Ne comptez pas sur les profs d’EPS pour amener de la souplesse dans ce gymkhana. Ils ont fort à faire. L’Indépendant rapporte les propos de Perrine Prost, délégué nationale EPS pour le Se-Unsa. "Depuis le début de l’année on a dû se réinventer et là, on nous rajoute le fait de nous enlever les gymnases. Aller dehors quand il fait -10 degrés, où quand il pleut, c’est quasiment impossible. On n’est pas des animateurs".
ET SI ON ARRÊTAIT DE FAIRE COMME SI
“La crise sanitaire et économique accroît les difficultés des familles et des élèves, qui sollicitent de plus en plus les services sociaux scolaires.” constate Faïza Zerouala dans un article réservé aux abonnés de Médiapart. L’un des arguments avancés pour le maintien des écoles ouvertes est justement l’accueil des élèves en difficulté sociale et/ou scolaire, ceux qui seraient le plus menacés par le décrochage en cas de confinement. Oui mais, si ce confinement arrive, sommes-nous prêts ?
« Non » répondent Sylvain Connac, Jean-Charles Léon et Jean-Michel Zakhartchouk. Ils proposent d’ « anticiper, se préparer, essayer de ne pas revivre les douleurs de mars dernier, en espérant que cet article ne serve à rien. » Ils donnent quelques pistes, celle-ci notamment : « arrêter dès aujourd’hui ce qui peut être différé, les évaluations venues d’en haut, la préparation des épreuves du baccalauréat, les rapports à la hiérarchie obligatoires, les statistiques du jour ou de la semaine, les sommations non urgentes… »
Du côté des universités, rien de nouveau, ou si peu. « A Cergy, sur 25 000 étudiants, une centaine seulement fait son retour cette semaine pour bénéficier de ces sessions de soutien pédagogique. » relate Soazig Le Nevé pour Le Monde. “Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table”, l’argument sucré de Frédérique Vidal pour cette reprise timide a provoqué une forme d’indigestion.
Chez les étudiants d’abord avec la création de collectifs comme celui des « étudiants fantômes » à Montpellier ou des lettres ouvertes à l’instar de celle de Lucie, étudiante nantaise. « Covid-19 : des étudiants à bout et peu de perspectives pour un retour en présentiel » titre la Voix du Nord.
Chez les présidents d’Université aussi, le constat est rude " Les étudiants sont des prisonniers à domicile", dénonce Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg sur France Bleu Alsace . " Isolés dans des logements exigus ou obligés de retourner chez leurs parents, livrés à eux-mêmes en raison des contraintes sanitaires, les jeunes traversent une épreuve dont ils ne voient pas l’issue. ", un éditorial du Monde caractérise ainsi la situation des étudiants. S’ajoutent des difficultés financières pour ceux qui n’ont pas pu trouver de job d’étudiant.
Localement, des solutions sont mises en œuvre comme cette épicerie solidaire à Dijon. Des fonds ont été débloqués par l’Etat pour organiser du tutorat auprès des premières années, et éviter les décrochages après le premier semestre. « Créer du lien entre étudiants est toujours intéressant », commente Yanis Limane, premier vice-président de la Fage. " Mais il n’y a pas là de quoi résorber les difficultés financières et souvent psychiques dans lesquelles se débattent nombre d’étudiants ".
REGARDE L’AVENIR CAMARADE
Cette déplorable situation des universités va t’elle influer sur les choix d’orientation des lycéens ? Rappelons que les sections BTS et les classes préparatoires sont restées en présentiel. La saison de l’orientation est ouverte avec les premiers choix à saisir sur Parcours Sup. Oui, la plateforme revient avec ses fameux algorithmes qui "peuvent contribuer à rouvrir les chances des lycéens issus des milieux populaires d’accéder aux filières sélectives du supérieur et à contrer le creusement des inégalités sociales face à l’éducation. À condition de les éduquer." explique Vincent Tuberj. "Reste, bien sûr, à remplir les bonnes cases de ces logiciels, mais aussi à comprendre la logique à déployer pour espérer obtenir les choix premiers. Autrement dit chacun espère que les algorithmes et paramètres de recrutement associés vont lui être favorables. " constate de son côté Bruno Devauchelle.
Or, l’éducation à l’orientation est en pleine évolution. " Depuis 2018, les Régions ont la responsabilité d’informer les lycéens sur les possibilités d’études. Une mission qu’elles assument de manière disparate, et dans une logique territoriale, au risque de limiter les ambitions de certains jeunes. " précise Eric Nunès. Désormais également, " Tous les membres de l’équipe éducative participent à l’accompagnement des lycéens et de leur famille dans la construction de leur projet. Le professeur principal, qui a un rôle renforcé dans cet accompagnement, reste un interlocuteur privilégié pour aider les élèves à faire leurs choix, en collaboration avec le psychologue de l’éducation nationale du lycée. " nous dit Bernard Desclaux qui s’interroge "Mais où sont passés les conseillers d’orientation ? "
Le coronavirus implique un recours quasi systématique au numérique. Fun Mooc propose une série de 25 Moocs dédiés à l’orientation et la découverte des métiers. Les traditionnelles journées portes ouvertes se transforment, les salons virtuels se multiplient comme celui des IUT de Bourgogne.
Mais toujours, il y a ces belles rencontres qui éclairent les trajectoires. "Cette prof a changé ma vie ", l’article d’Alice Raybaud en raconte quelques-unes.
ET SI...
Et si nous allions faire un tour du côté de la rive positive. "Au collège comme au lycée, le métier d’enseignant est bouleversé par la crise sanitaire. Entre port du masque, enseignement à distance et classes dédoublées, chacun fait le bilan des changements intervenus depuis le 13 mars dernier, quand le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, annonçait en direct la fermeture des écoles. Face aux contraintes, ils redoublent de créativité pour essayer de ne laisser aucun élève de côté. ", un bel hommage aux enseignants signé Lou Roméo pour RFI.
Et si nous explorions des solutions éprouvées en période de confinement, celles qui aident à ne pas décrocher comme JobIRL , "le « LinkedIn des 13-25 ans », met les jeunes en relation avec des professionnels et des étudiants de tous secteurs d’activités afin de les aider à construire leur projet professionnel. " Interview de Jules Donzelot, chercheur associé au Centre Émile Durkheim en sociologie de l’éducation et délégué scientifique et développement chez JobIR pour Carenews.
Et si nous prenions un peu de distance à l’invitation de Jean-Luc Noël pour "éclairer l’école par son histoire, à envisager les enjeux actuels en prenant du recul. La place des femmes, la démocratisation de l’école ou encore la rénovation pédagogique, voici quelques thèmes que nous explorons avec lui."
Et pour finir, Laurent Sberini déclare "Non 2020, tu n’es pas mort pour rien, car tu auras transformé l’École plus sûrement que toutes les réformes engagées depuis longtemps. " Vous décélérez dans ses propos une pointe d’humour salutaire.
Monique Royer aux manettes cette semaine pour l’équipe revue de presse des Cahiers Pédagogiques et Fabien Crégut pour l’illustration
La revue de presse des Cahiers pédagogiques évolue ! Aujourd’hui, on trouve facilement des tas d’articles en ligne, qui circulent et s’échangent notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons donc pensé que ce que nous pouvions vous apporter, c’était autre chose, soit le recul et le temps du commentaire, en proposant une revue de presse hebdomadaire, plus hiérarchisée, plus sélectionnée et largement commentée, toujours, bien sûr, sous l’angle des questions éducatives.
Sur la librairie des Cahiers Pédagogiques
Suggestions thématiques :
N° 562 :Profs, exécutants ou concepteurs
Dossier coordonné par SABINE COSTE ET NICOLE PRIOU
n° 562 juin 2020
Comment les enseignants, individuellement et collectivement, interprètent-ils des textes officiels apparemment intrusifs de manière à stimuler leur créativité ? Comment s’approprient-ils des situations matérielles, organisationnelles, sociales fortement contraignantes ?
Hors-série numérique n° 50 - Le bac, hier et aujourd’hui
septembre 2018
Dans le contexte de la réforme du baccalauréat et de la mise en place des nouvelles procédures d’accès aux études supérieures, ce hors-série revient sur de nombreuses tentatives de réformes plus ou moins fructueuses. Bac + 3, bac - 3, orientation, bac pro… quels leviers pour offrir une école plus démocratique ?
n°514 Enseignant : un métier qui bouge
Dossier coordonné par Michèle Amiel et Yannick Mével
Juin 2014
Tous les enseignants expérimentés le disent : ce n’est plus comme avant, le métier change. Allons voir de plus près ce qui évolue, comment le métier change, comment ces évolutions pourraient être accompagnées par l’institution, à toutes les échelles, en quoi elles vont dans le sens de l’essentiel : mieux faire apprendre les élèves.
Construire ensemble l’école d’après
Sylvain Connac - Jean-Charles Léon - Jean-Michel Zakhartchouk
Edtions ESF - Prix 18,00 €
L’école « d’après », un vain slogan, un conte de fées pour ceux qui penseraient que, aux lendemains de la crise sanitaire, une autre école va naître, plus juste, plus en prises avec le monde ? Ce livre, coordonné par des pédagogues engagés, et fruit d’un travail collectif avec le réseau du CRAP-Cahiers pédagogiques, contient de nombreuses propositions pour passer du slogan à la mise en œuvre : comment utiliser à bon escient les outils du numérique, comment modifier programmes et pratiques pour penser le monde actuel (parcours santé, esprit critique…), comment intégrer le respect de l’environnement dans le quotidien de l’école, comment prendre mieux en compte les familles, comment au quotidien, lutter contre les inégalités.
L’image d’Épinal veut que l’enseignant soit seul dans sa classe face aux élèves. Or, de nombreuses pratiques de co-intervention, régulières ou ponctuelles, existent au sein des classes. Ce dossier s’intéresse donc à la co-intervention et au coenseignement, à ces espaces-temps où on est deux en classe avec les élèves.
le 15 janvier 2021Lire l’entretien avec les coordinatrices, Rachel Harent et Céline Walkowiak
Éditorial
Pour une année pleine de sens ! Cécile Blanchard
« Il faut arrêter de tout changer tous les quatre matins » Entretien avec Sébastien Planchenault
Les Cahiers en maillot de bain Cécile Blanchard
« On écrit pour communiquer » Entretien avec Bernard Friot
L’école ailleurs
Brésil : l’inclusion via la participation Flavio Murahara, Tara Flanagan
L’actualité de la recherche
Portrait du lycéen en travailleur Lisa Marx
La chronique de Nipédu
Rendez-vous manqué ? Régis Forgione, Fabien Hobart, Jean-Philippe Maitre
Billet du mois
La laborieuse naissance de l’école hybride Alain Bouvier
Avant-propos par Rachel Harent et Céline Walkowiak
Va-t-en, grand monstre vert ! Quentin Magogeat, Annick Messonnier
Une construction progressive Sandra Miranda, Laura Schmitt
Entrer dans la danse Béatrice Goulet
Pour la réussite de tous Sandrine Combelair
Casser les murs Gaëlle Pedroso
Juste une porte à franchir Marjorie Decriem
Pratiquer avec les EANA Céline Piot
À l’école de la confiance réciproque Dominique Seghetchian
Petites histoires de co-intervention Jean-Michel Zakhartchouk
Passer du « je » à « nous » Carole Merriadec, Laurence Moutte
Comment Pierre est devenu élève Ludovic Blin
Franchir les frontières invisibles Jérémy Bridiers-Uberti
À la recherche d’une clarification Le groupe de travail du comité scientifique de la Fname
Qui prend la main ? Sandrine Validzic
Sept configurations à deux en classe Rachel Harent, Marie Toullec-Théry
Une expérience de coenseignement : le PDMQDC ! Carine Boubila
Croiser les regards Clothilde Jouzeau Kraeutler, Christine Catalayud, Laurie Batlle
1, 2, 3 référentiels ! Aline Chudy
D’une situation imposée Adèle Mazou
Moi non plus je ne voulais pas coanimerv Anaïs Michel
Direction et enseignants : un accompagnement Delphine Dechance
Et toi, comment fais-tu ? Nicole Priou
Pour que la mayonnaise prenne Sylvie Grau
Un peu de pragmatisme Laurent Lescouarch
Déprivatiser les pratiques Youssef Errami
Tutorat en coenseignement chez les universitaires Gilbert Nguema Endamne
Le formateur : une étrangéité à cultiver Bernard Desclaux
Jeux de miroirs Sarah Valin
Les angles tordus Rachel Harent
Ajustements réciproquesv Éric Saillot
Coenseigner, entre théorie et pratique Marie Toullec-Théry
Comme au boulot ! Romain Cordier, Isabelle Perrin
Une pratique gagnante ! Hélène Gasc
Co-intervenir à l’école : une nouvelle professionnalité éducative Annick Ventoso-Y-Font
Accompagner le changement de paradigme Florence Trouillet, Philippe Merleau
Bibliographie et sitographie
Une journée particulière dans un collège ordinaire Antoine Tresgots
Je leur souhaite tous les bonheurs du monde François Augier
Grandir avec l’ULIS (8) : apprendre à renoncer Évelyne Clavier
Poésie de confinement Virginie Charayron
Lorsque les enfants nous parlent Luc Taralle
Merci Neymar ! Flavie Druon
Quelle pédagogie pour enseigner les questions mémorielles ? Séverine Bourdieu, Laurence Claude-Phalippou, Caroline Coze, Anne Faurie-Herbert, Marie-Laure Lepetit, Alain Pujat, Sandrine Raffin
Sexisme et féminisme : repenser l’égalité filles-garçons par le biais de la littérature jeunesse Clémentine Pillon
Le débat en classe : modes d’emploi
Le vent nous portera Yannick Mével
Apprendre en jouant Margarida Romero, Éric Sanchez
le 15 janvier 2021Cet ouvrage, écrit par des chercheurs responsables de laboratoires d’innovation pédagogique, va confronter le lecteur à diverses problématiques : le jeu est-il une idée nouvelle ? Une ruse pédagogique ? Est-il surtout destiné aux enfants ? Permet-il d’améliorer les apprentissages ? Est-ce une activité solitaire qui privilégie la compétition ? Ne permet-il de développer que des compétences procédurales ? Peut-on évaluer par le jeu ? L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer les enseignants par des jeux ? Et enfin, apprend-on (mieux) en jouant ?
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un jeu ? La question n’est pas tranchée, et renvoie pour certains à l’artefact, pour d’autres à l’activité elle-même. L’emballage d’un cadeau peut constituer un support de jeu, en devient-il jeu lui-même ? Le jeu n’est-il pas dépendant de l’usage de celui qui s’en empare ? Dès l’introduction, les auteurs explicitent un des fils rouges de l’ouvrage : il y a subjectivité dans la problématique elle-même, et il va falloir en tenir compte.
Quel est le lien, ensuite, entre jeu et apprentissage ? Là aussi, les auteurs font un choix : ils ne retiendront pas l’expression serious game, et prennent ainsi position dans un débat vif ces temps-ci. Reconnaitre les serious games induirait une focalisation sur l’objet jeu. Or, un jeu ne possède pas des vertus d’apprentissage en lui-même, la plupart du temps. Ces vertus dépendent du contexte, de l’analyse à postériori avec les usagers, de la façon dont l’enseignant a choisi de jouer son rôle de médiateur. Une partie du propos du livre est ainsi livrée dans l’introduction, mais c’est toute sa lecture qui permettra de vraiment le comprendre.
Les chapitres peuvent être lus de façon indépendante. Il en résulte un naturel entrelacs des thématiques étudiées, qui parfois donnent un sentiment de répétition lors d’une lecture linéaire. Mais la forme dynamique et régulière de la structure de l’ouvrage le pallie. Les très nombreux exemples présentés sont variés à tous égards et donnent envie de découvrir des jeux non encore connus. La part belle est faite aux jeux vidéos et aux usages numériques.
Je ne vais citer ici qu’un des points qui m’ont intéressée dans cet ouvrage : la question des objectifs du jeu pour apprendre. Il existe une multitude de types de jeux, qui peuvent viser à faire acquérir des connaissances, des compétences, des attitudes. Certains jeux constituent bien des situations didactiques qui permettent à l’usager de s’engager de façon autonome, de parvenir à résoudre la tâche par le biais de rétroactions, en s’appuyant sur ses erreurs positivement, et permettent en effet des apprentissages disciplinaires. Mais une qualité reconnue du jeu (dès Érasme) est de favoriser l’engagement de l’enfant. Cela suffit-il à valider l’usage du jeu ? Ou est-ce l’effet nommé « chocolat sur brocolis », qui attirera de façon temporaire, mais ne transformera pas le brocoli en guimauve ?
Une certaine culpabilité pèse alors sur l’usage du jeu à l’école : au final, n’est-ce pas un stratagème pour compenser une impossibilité des enseignants à intéresser, ou une impossibilité des élèves à gouter aux savoirs de leur propre volonté ? Les auteurs vont lever les implicites et répondre aux questions auxquelles il est possible de répondre, tout en nuances. Et (spoiler !) écrire un beau plaidoyer pour le métier d’enseignant.
Car en fin de compte, ce sont les gestes professionnels de l’enseignant qui sont interrogés tout au long de cette lecture. La question n’est plus de savoir si on peut apprendre en jouant. La question est de savoir comment s’emparer du jeu pour enrichir les dispositifs d’apprentissage, comme un outil supplémentaire qui ne se substitue aucunement à la réflexion et à la créativité des enseignants.
Claire Lommé
Ce livre, sur quoi s’appuie-t-il ?
L’idée est née d’une conférence conjointe que nous avons donnée en 2019 à Québec. La conférence portait sur les idées fausses, les mythes sur l’apprentissage par le jeu et en particulier avec les jeux numériques. Nous avons souhaité contribuer à déconstruire ces mythes et poursuivre l’aventure en écrivant cet ouvrage. L’ouvrage vise à déconstruire neuf mythes en nous appuyant sur les résultats de la recherche, en particulier nos propres travaux, conduit en France, au Québec, en Espagne ou en Suisse.
Le jeu est-il plus utilisé pédagogiquement ces dernières années ?
On observe de nombreuses initiatives institutionnelles ou émanant de collectifs d’enseignants sur cette question. On observe aussi un certain dynamisme de la recherche dans ce domaine par le biais de communautés de recherche comme la Games and Learning Alliance (GALA). L’éducation n’échappe pas à une tendance de fond, qui se traduit par un intérêt croissant pour le jeu. C’est vrai pour les jeux récréatifs, mais aussi pour des secteurs pour lesquels l’usage du jeu est moins conventionnel. Rappelons par exemple que le jeu Can’t Stenchon the Mélenchon (Fiscal Kombat) a été utilisé lors de la dernière campagne présidentielle, et que la marque Balenciaga vient d’organiser son dernier défilé sous forme de jeu vidéo pour cause de crise sanitaire.
Vouloir favoriser l’engagement de l’enfant est-il suffisant pour avoir recours au jeu en classe ?
C’est souvent l’argument avancé. Le jeu serait alors une ruse pédagogique destinée à tromper l’élève et l’amener à s’engager dans des activités d’apprentissage supposées peu motivantes. La recherche montre que le jeu présente bien d’autres qualités intéressantes pour l’apprentissage. C’est par exemple une manière de laisser une certaine autonomie aux élèves et de développer leur motivation intrinsèque, mais aussi de leur permettre de s’appuyer sur leurs erreurs pour progresser et disposer de rétroactions rapidement, ce qui est un élément favorisant les apprentissages. On peut aussi évaluer avec des jeux. Le jeu est bien plus qu’une simple ruse pédagogique, mais il est important que les enseignants s’engagent sur le choix et une intégration pédagogique des jeux appropriée.
En quoi le jeu permet-il plus de différencier, de faire de l’erreur un matériau pédagogique et didactique, et de créer des situations qui favorisent l’engagement ?
Nous utilisons de préférence l’expression « situation ludicisée » pour souligner le changement de sens que le jeu permet par rapport à une situation ordinaire. Ainsi, avec le jeu Classcraft, la salle de classe est un « champ de bataille » où il faut respecter les règles pour « survivre ». Avec Geome, la visite au musée permet aux élèves d’endosser le rôle d’un professionnel de l’environnement et de s’interroger sur leur rapport à la nature. Le jeu permet surtout de vivre une expérience signifiante au cours de laquelle l’élève accepte la responsabilité de résoudre un problème. Dans ce cadre, il peut être amené à réviser sa manière de penser et d’agir et donc à apprendre. Mais c’est surtout en portant un regard réflexif sur cette expérience qu’il pourra développer des savoirs transférables.
Finalement, enseigner par le jeu, est-ce plus difficile ou délicat pour l’enseignant ?
Le rôle de l’enseignant est crucial tout au long du processus, dans la conception de l’activité d’apprentissage basé sur le jeu, son orchestration, la rétroaction et le débriefing à la fin de l’activité de jeu. Il est souvent coconcepteur des jeux qu’il utilise, il a en charge la conception du scénario d’usage du jeu. L’enseignant peut également endosser le rôle de maitre du jeu qui crée l’atmosphère ludique et la maintient pendant le jeu, orchestre le jeu et s’assure du respect des règles. En tant qu’expert de sa discipline, c’est lui qui valide les apprentissages, nomme les concepts mobilisés pendant le jeu, etc. C’est là tout un travail d’ingénierie didactique et d’orchestration pédagogique que l’enseignant doit assurer. Mais ceci est finalement assez proche des tâches qu’il doit habituellement prendre en charge. À Fribourg, en Suisse, la formation des enseignants comprend un cours de didactique qui s’apparente à un cours de game design, car les modèles et concepts sont finalement très proches.
Est-ce que l’épisode du confinement apporte des éléments nouveaux sur le rapport jeu-apprentissages ?
Le domaine du jeu vidéo en particulier mais pas uniquement (pensons par exemple au Scrabble ou aux échecs), qui s’est largement converti au jeu en ligne bien avant le confinement, pourrait inspirer les pédagogues. S’appuyer sur la collaboration au sein d’équipes, proposer des défis motivants ou permettre le travail asynchrone, c’est un peu devenir un concepteur de jeu ou game designer. L’épisode de confinement nous a permis de nous rendre compte à quel point nous sommes des mammifères ayant besoin de socialisation et d’engagement sur des activités conjointes.
Propos recueillis par Claire Lommé
le 15 janvier 2021En quoi est-ce important de débattre en classe ?
La période dans laquelle nous sommes bruit de débats en tous genres, dans tous les médias et les réseaux sociaux. Des débats éclairants, et d’autres navrants. Des débats d’affrontement, et d’autres d’approfondissement. Des débats aux multiples visées, déclarées ou cachées. Nos élèves sont plongés dans ce monde bruyant, et, dès leur jeune âge, dans la vie de famille et la vie sociale, ils sont amenés à se passionner, prendre parti, argumenter, contredire.
À l’école aussi, ils sont friands de débats. Pas si simple, pourtant, de faire de ce genre social un genre scolaire utile à la formation des enfants et des jeunes, mais c’est indispensable. Sur un plan social et éthique, le débat permet à chacun d’expérimenter l’intérêt de chercher à construire ensemble, par la raison, des biens intellectuels (solutions, décisions, connaissances, etc.) qui vont faire partie du bien commun. Une démarche qui, comme le dit une auteure du dossier, oblige les élèves à davantage de présence intellectuelle, d’attention à ce qui se dit, à travers les tâtonnements et les confrontations. Et, bien sûr, de prise en compte du point de vue de l’autre sur les objets qui sont mis en débat. On le voit, l’enjeu est très fort.
Pour cela, le rôle de l’école va être, tout autant que le débat lui-même, le « retour sur » : apprendre à différencier les arguments utilisés, leur validité, ce sur quoi ils s’appuient, leur origine, etc. Moments difficiles qui ne peuvent se construire que peu à peu, car ils demandent à chacun de prendre de la distance avec ce qui, souvent, lui tient à cœur comme faisant partie de lui.
Quels outils trouvera dans le dossier un enseignant qui souhaite se lancer dans le débat ?
Beaucoup d’enseignants sont convaincus des bénéfices qu’on peut retirer d’un vrai débat, mais sont échaudés par des tentatives décevantes. Ces dernières années, c’est surtout le débat à visée philosophique qui a eu, et c’est tant mieux, le vent en poupe, à tous les niveaux scolaires, et a fait l’objet de nombreuses publications « outillantes » pour les enseignants. Également, dans une moindre mesure, le débat d’interprétation littéraire. Ce dossier souhaite contribuer pour sa part à élargir la palette des visées et des dispositifs possibles en classe, en tenant compte du temps d’apprentissage nécessaire pour cela : écouter, prendre la parole, préparer des arguments, inclure ses émotions dans la discussion sans en être submergé, cela ne se fait pas en un jour (pour les adultes non plus !). Des collègues proposent dans ce dossier des façons de débattre qui incluent l’écrit, la mise en groupes, le dessin, la suspension et la reprise, la régulation par l’enseignant ou par les élèves, ou un mixte des deux. Avec des visées diverses que l’enseignant doit avoir clairement en tête : débattre pour prendre une décision collective ? Pour approfondir une question de société ? Pour un jeu de rôle ? Pour acquérir un savoir ? Comment cela se traduit-il dans les diverses disciplines ?
Le dossier fait aussi une place particulière aux outils langagiers que les élèves ont à s’approprier pour que les débats soient des temps où on apprend à penser. Ces mots qui servent à approuver, réfuter, ajouter, s’adosser à la pensée de l’autre, introduire un exemple ne viennent pas spontanément : on a avantage à les mettre à la disposition des élèves et en exercer l’usage, en faisant attention, bien sûr, aux modalités propres à l’oral qui n’utilise pas les mêmes connecteurs que l’écrit ni les mêmes tournures syntaxiques. Il ne s’agit pas d’apprendre à parler comme des livres, mais d’identifier avec les élèves des conduites langagières qui manifestent qu’on ne prend pas la parole seulement pour parler, mais pour contribuer à faire avancer la question débattue.
Est-ce qu’on peut débattre partout, tout le temps et à tout âge ?
Derrière cette question, il y a souvent la crainte de sombrer dans un relativisme qui renverrait à « chacun pense ce qu’il veut », en mettant à égalité sans distinction des croyances, des opinions, des savoirs qui font consensus, sans autre visée que l’expression des individus. Pour éviter cette dérive, le débat, comme tout dispositif pédagogique, doit avoir sa raison d’être, et parfois ce n’est pas ce choix qui est pertinent. Ainsi, sur le site des Cahiers pédagogiques, à la suite de l’attentat d’octobre 2020 contre Samuel Paty, un des articles plaidait pour une prise en compte des différents temps nécessaires (celui de l’émotion, celui des questions, celui de la réflexion), là où spontanément on aurait pu penser « débat ». Dans des situations qui n’ont pas ce caractère tragique, on gagne aussi à peser la pertinence du mode « débat » en fonction des élèves, des relations dans la classe, de la prégnance affective du sujet. Mais à condition d’être au clair sur ce que l’on fait et dans quel but, oui, c’est possible très tôt : pensons aux débats scientifiques qu’organise La main à la pâte [1], par exemple dès le cycle 2 à l’école.
Quelle peut ou doit être la place du débat dans l’enseignement de l’oral, qui fait désormais l’objet d’une évaluation (appelée sans doute à évoluer) au baccalauréat ?
L’intérêt du débat est de mettre l’accent sur l’aspect social de l’oral : parler pour d’autres et avec d’autres, mais tout autant apprendre à écouter et à prendre en compte la parole de l’autre. Cet apprentissage, désormais bien inscrit dans les programmes de l’école et du collège, devrait amener au lycée des élèves beaucoup mieux formés et capables d’assumer une parole individuelle en solo ou dans un échange collectif. On mesure bien cependant le temps nécessaire à la mise en œuvre de ces apprentissages forcément pluridisciplinaires, si l’on veut s’assurer qu’ils ne profitent pas d’abord, encore une fois, à ceux à qui leur histoire personnelle et sociale en a donné la clé. La variété des propositions pratiques contenues dans ce dossier et les éclairages de chercheurs très proches du terrain pourront, nous l’espérons, y aider.
Propos recueillis par Cécile Blanchard
le 15 janvier 2021Quelques pistes pour expérimenter le coenseignement en classe : Une synthèse de l’université de Laval (Quebec), 14 pages, disponible sur http://www.adel.uqam.ca
Annick Ventoso-y-Font, Mireille Dubois-Bégué, Co-intervenir à l’école, une nouvelle professionnalité éducative, Des expériences conjointes d’aide et d’accompagnement d’élèves à besoins éducatifs particuliers, Édilivre, 2014.
Philippe Tremblay, « Le coenseignement : condition suffisante de différenciation pédagogique ? », Formation et Profession, 23, 13, 2015.
Philippe Tremblay, Marie Toullec-Théry, Le coenseignement : théories, recherches et pratiques, Champ social, 2020.
« Le partenariat à l’école », Dossier de l’IFÉ, http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/134-avril-2020.pdf
Viviane Marzouk, Thierry Vasse, Claudie Méjean, Enseignants-Atsem, des professionnalités complémentaires, Réseau canopé, 2019.
Vidéo Canopé : Réussir ensemble en maternelle la relation enseignants-Atsem, https://www.reseau-canope.fr/notice/reussir-ensemble-en-maternelle-la-relation-enseignants-atsem.html
le 15 janvier 2021
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