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Une histoire de la mixité

L’histoire de la mixité n’a pas encore été écrite en France. De nombreuses études en sociologie, philosophie, sciences de l’éducation ou histoire de l’éducation ont été réalisées, mais il n’existe pas encore de thèse en histoire, complète et générale, sur ce sujet aujourd’hui.

Histoire du terme

Le mot même de mixité est récent. Au XIXe siècle on ne parle que de coéducation qui définit une « cohabitation en commun » que l’on va retrouver dans la seconde édition de 1911 du célèbre Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson.
Il existe un autre terme usité au XIXe siècle, celui de gémination, c’est-à-dire le regroupement par âge des garçons et des filles (différent d’un regroupement par sexe), par petits effectifs. C’était, de fait, des classes uniques. Et d’ailleurs, lorsqu’en 1833, est votée la loi Guizot[[Loi Guizot 28 juillet 1833. Ministre de l’Instruction publique, François Guizot fait voter une loi qui va bouleverser l’enseignement primaire. Elle oblige les communes de plus de 500 habitants à se munir d’au moins une école primaire de garçons et à entretenir au moins un instituteur. Lors de la préparation de la loi, Guizot avait proposé aussi l’ouverture d’écoles pour les filles, mais cette idée ne fut pas retenue.]], ce ministre de l’Instruction publique (ce n’est pas « éducation publique ») défend non pas la coéducation, mais la co-instruction et le co-enseignement lorsqu’il justifia la possibilité d’associer garçons et filles dans une même classe pour les plus petites communes.
Ce n’est que vers 1950 que le terme « mixité » apparaît comme substantif en référence à la mixité scolaire. Le Grand Larousse encyclopédique de 1963 exprime la perception dubitative de ce mot : « Mixité : n.f.- Etat d’une école où les filles et garçons sont admis. Certains éducateurs émettent des doutes sur l’efficacité de la mixité ».
Cependant, à la fin du XIXe siècle, le terme « mixte » (du latin miscere = « mélanger ») désigne la coexistence des deux sexes.
C’est au cours des années 1990 que la notion de mixité est assignée à d’autres diversités que celles des sexes : « mixité sociale », « mixité culturelle », « mixité religieuse », « mixité spatiale »…. en relation avec la réflexion politique pour davantage d’égalité dans la société. Cependant ce « mélange » de « natures différentes » est souvent présenté comme un face à face entre le « même » et « l’autre ». Il est très difficile de le percevoir comme multiple et complémentaire. Ce qui aujourd’hui au XXIe siècle nous amène à, non plus, utiliser le terme mixité, mais celui de diversité qui fait consensus sur le plan européen. D’autant plus qu’en anglais, le substantif mixité est intraduisible car il n’existe tout simplement pas ! Les anglo-saxons parlent de coéducation (le mot mix n’a pas la valeur de mixité comme nous l’entendons en français).
Enfin, nous pouvons reprendre une réflexion développée par Nicole Mosconi qui s’interroge sur la substitution du terme « mixité » à celui de « coéducation ». Elle y voit le déni de la sexualité possible si on accole les deux sexes. Ce serait une forme de défense face au danger de la relation sexuelle des jeunes. Cet argument reprend l’étymologie de mixité qui renvoie à cette opération chimique de « mixtion » par laquelle le mélange des substances simples pour obtenir une substance nouvelle qui est alors un « mixte ». Ainsi la mixité scolaire mélange les deux sexes et la métaphore nous amène à supprimer les deux sexes différenciés pour obtenir une seule « substance », un être neutre et indifférencié qu’on appelle « élève » ou « professeur ». Ce qui est un frein à la réflexion sur la mixité vécue.

La Coéducation en France au XIXe siècle. De la Révolution Française à 1882 : rêves et initiatives révolutionnaires[[Les propos qui vont suivre s’appuient essentiellement sur les recherches de Françoise Mayeur, Histoire de l’enseignement et de l’éducation 1789-1930, T. 3 Nouvelle Librairie de France 1981, Édition Perrin 2004]]

De tous les temps les femmes et les hommes ont cohabité, se sont côtoyés dans la sphère du privé (famille) comme dans la sphère publique (rue, marché, réceptions…). C’est donc un mélange (un mixte) qui va au-delà des seuls critères amoureux, sexuels, familiaux. On y retrouvera l’amitié, l’échange de savoir, le contact, le partage de l’espace privé et public et donc la coéducation.
La Révolution Française a tout de même élaboré un ensemble de principes qui seront appliqués au cours du XIXe siècle. Celui de la séparation des sexes dans l’école comme dans l’éducation en général, bien posé par la Réforme catholique (XVIe, XVIIe siècles) pour des raisons de moralité, ne semble pas être remis fondamentalement en cause par les révolutionnaires. Sauf, peut être, par Condorcet suivi de Lakanal, l’abbé Seyes et d’autres.
L’instruction est vue comme une vertu qui est le fondement de l’égalité entre les citoyens. Il proposa, entre autre, la généralisation d’une école pour quatre cents habitants et même une instruction pour les filles. Il évoqua aussi le mélange des deux sexes pour les petites classes de niveau élémentaire. Cependant F. Mayeur fait remarquer l’ambigüité de son propos puisque « si les filles doivent être instruites comme les hommes, elles ne doivent pas nuire aux bonheurs de la famille… »
Par exemple, le décret du 7 brumaire an II (28 octobre 1793) avait décidé que « les filles apprendront à lire, écrire, compter, les éléments de la morale républicaine, elles seront formées aux travaux manuels de différentes espèces utiles et communes » afin de « …préparer les filles aux vertus de la vie domestique… ». Ces apprentissages « aux talents utiles dans le gouvernement d’une famille » (suite du décret an II 7 brumaire) ne peuvent être confiés qu’à une femme. Ces femmes peuvent alors exercer la fonction d’institutrice ou être tout simplement la femme de l’instituteur. Or si les émoluments des instituteurs étaient très faibles, ceux des institutrices l’étaient encore davantage. Mais ces conditions nécessitaient que les communes financent deux classes or elles refusent d’augmenter leur budget pour l’instruction, surtout celle des petites filles (comme les parents d’ailleurs).

Des écoles mixtes dans le primaire, de Guizot à Camille Sée

Les filles ont-elles moins besoin d’instruction ? En tout cas dans les missions de l’Etat la question ne concernent que les jeunes enfants du niveau primaire. L’instruction publique secondaire pour les jeunes filles ne se pose même pas !
Pourtant l’alphabétisation des filles a rattrapé peu à peu le retard pris au départ, puisqu’au début du vingtième siècle le taux est équivalent aux deux sexes.
Mais la différence entre les deux sexes dure longtemps à propos de l’inégalité de traitement vis-à-vis de l’instruction, elle fut entretenue par la politique républicaine et elle est le reflet de la société. Les filles sont à préserver, elles sont moins solides et doivent être élevées à la vie domestique pour devenir les futures gardiennes du foyer. C’est aussi la tradition soutenue par les recommandations de l’église catholique, largement majoritaire en France.
Donc les écoles mixtes étaient proscrites, en principe au moins. Par exemple, l’ordonnance de 1816 couramment représentée comme un texte fondateur de l’enseignement public, interdit de réunir les garçons et les filles pour l’instruction. En 1833 la loi Guizot[[<1>]] organise l’école primaire, universelle. Les municipalités vont alors investir dans des écoles de garçons, mais on y admettait, faute de mieux, les filles pour remplir les classes uniques dans les petites communes. Bien que ce soit très mal vu. C’était donc par nécessité économique. Cependant les filles et les garçons étaient séparés dans l’espace classe, parfois par un rideau ! Et ils ne partageaient pas la cour de récréation. Des écoles de filles existaient aussi en nombre très insuffisantes. L’éducation des petites filles reste du devoir des familles et l’Etat ne s’en préoccupe pas outre mesure.
De fait, dans les petites communes, les écoles primaires mixtes existent bien puisqu’en 1860 on en compte 17 663 en France, pour 14 059 écoles de filles et deux fois et demie plus d’écoles de garçons au nombre de 38 386.

La situation évolue avec le ministère Duruy et la loi du 10 avril 1867[[C’est une remise à jour de la loi Falloux. Sous le second Empire (1850) la loi Falloux oblige les communes de plus de huit cents habitants à avoir une école primaire de filles et les institutrices sont rémunérées au bon vouloir des communes. Et il n’y a aucun contrôle pour valider leur niveau d’instruction.]] sur l’enseignement primaire. Elle prévoit la nomination, dans toutes les écoles mixtes, d’une femme capable d’enseigner les travaux d’aiguilles et promeut une meilleure rétribution pour les maîtresses. Elle incite à la gratuité de l’école publique. Un des objectifs est de rompre avec le poids de l’Église et des congrégations sur l’éducation des jeunes filles. C’est finalement un des premiers pas pour une laïcisation de l’enseignement et « arracher » les femmes à l’influence de l’Eglise. Duruy souleva aussi la question de l’enseignement secondaire pour les femmes dans une circulaire du 30 octobre 1867.
Aussi, à la fin des années 1860 Julie Daubie fut la première femme à obtenir le diplôme du Baccalauréat à Lyon (1861) et Madeleine Bres put entreprendre des études de médecine en 1868 après avoir obtenu son baccalauréat. Ni l’une ni l’autre n’avaient l’autorisation de fréquenter les lieux d’études réservés aux hommes, elles travaillaient seules, à leur domicile.
Enfin, il faut attendre 1880 pour que la loi du député Camille Sée soit adoptée. Elle organise sur le plan national l’enseignement secondaire des jeunes filles.
A propos de l’instruction des filles au XIXe siècle on perçoit la volonté de maintenir la différence entre les enseignements pour rester conforme à la distribution des rôles sociaux des deux sexes. L’accès des jeunes filles à l’enseignement secondaire a été pensé et exécuté en termes d’assimilation incomplète (différences sur les horaires, les matières) à l’enseignement masculin. Enfin ce niveau d’études supérieures est l’apanage d’une minorité de la bourgeoisie moyenne (la haute bourgeoisie préfèrera l’enseignement privé) urbaine, issue de l’administration. Françoise Mayeur estime qu’en 1914 il y avait environ 35 000 filles dans des écoles secondaires contre 69 200 jeunes hommes, et en 1930 ce serait 58 000 jeunes filles pour 100 000 garçons. L’augmentation des nombres confirme le fait que l’opinion publique soutient les bienfaits de l’instruction pour les hommes comme pour les femmes.

Des utopistes pédagogiques pour la Coéducation

La première moitié du XIXe siècle (jusqu’aux lois Guizot -1833- ) est marquée par une sorte de vide institutionnel pour l’instruction publique. Cette période est favorable à la naissance d’utopies pédagogiques. Pour éduquer les ouvriers éclairés et les classes moyennes St Simon a fécondé la pensée de deux socialistes : Proudhon et Charles Fourier qui ont développé des thèses semblables. Charles Fourier édite en 1829 Le nouveau monde industriel et sociétaire[[Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.

Dans le cadre de la collection: « Les classiques des sciences sociales ».
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi.]]. La section III intitulé « Education harmonienne » dite encore « éducation naturelle» a pour théorie de développer chez l’enfant les « trois facultés industrielles de chacun : capital, travail et talent ». Ainsi, les enfants sont et restent des enfants. Le terme « enfant » a son importance car il est neutre et ne différencie pas les filles et les garçons pour l’éducation et leur instruction. Il propose une organisation pour éduquer ensemble les lutins et lutines, les bambins et bambines, les séraphins et séraphines et autres « petites bandes ». L’objectif à atteindre est : « …dès le berceau, développer franchement le naturel » afin que l’éducation « opère très activement sur les facultés intellectuelles ». Aussi « on ne distingue point les deux sexes, il importe de les confondre(…) pour faciliter l’éclosion des vocations et l’amalgame des sexes à un même travail. On commence à distinguer les deux sexes que dans la tribu des bambins (à partir de quatre ans et demi) ». L’éducation harmonienne doit «  puiser ses moyens d’équilibre dans les deux goûts opposés ».
Charles Fourier, qui n’est pas naïf…, précise plus loin que : «  ce n’est que lorsque la génération élevée dans l’ordre civilisé sera éteinte, à savoir dans quarante ou cinquante ans, que ce système pourra réellement s’appliquer, … » Il ajoute enfin qu’il faut « établir des règles très distinctes de manière que le sexe masculin n’empiète pas sur les attributions du féminin. » Mais il est convaincu que les jeunes adultes éduqués dans son système, parce qu’il respecte la nature et la liberté de choix en feront un bon usage dans l’harmonie et non pas dans des « orgies amoureuses » tels que ses détracteurs le prétendaient.
L’utopie de Charles Fourier (1772 -1837) par ses écrits empreints à la fois de philosophie, d’imagination, d’humour a suscité des « expériences sociales ». Un de ses admirateurs a tenté de les mettre en pratique. Jean Baptiste Godin dont le premier coup de génie fut les fameux poêles Godin (en utilisant de la fonte au lieu du fer) transforma très vite l’atelier en usine avec un nombre toujours croissant d’ouvriers. Homme de la Commune, autodidacte, issu du peuple, il voulut mettre en pratique ses lectures St simonienne et fouriériste. Dés 1859 dans l’Oise il fit construire le « palais social » ou « Familistère de Guise » pour y loger jusqu’à cinq cents familles ouvrières dans un luxe hors du commun à l’époque (eau courante et commodités individualisées). Parmi les services organisés (commerces, théâtre, piscine chauffée,…) est ouverte en 1869, l’école mixte et gratuite. Il la déclare obligatoire jusqu’à quatorze ans pour les enfants du Familistère. Ceci vingt ans avant les lois de Jules Ferry.
Troisième précurseur audacieux : Paul Robin[[Christiane Demeulenaere-Douyère, Paul Robin (1837-1912).  » Bonne naissance, bonne éducation, bonne organisation sociale « , thèse sous la direction d’Antoine Prost, université Paris-1, 1991. Demeulenaere-Douyère Christiane, « Un précurseur de la mixité : Paul Robin et la coéducation des sexes », in CLIO « Mixité et coéducation » n°18, 2003]]. Son intérêt pour les questions pédagogiques lui a donné l’occasion d’écrire de nombreux rapports notamment sur l’éduction intégrale dont il est le théoricien. De même il collabore au grand Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson. Il mit en œuvre concrètement ses théories car en 1880 le Conseil Général de la Seine lui donna la responsabilité de l’orphelinat Prevost à Cempuis dans l’Oise qui devint un établissement expérimental d’éducation libertaire considéré comme une des premières expériences réussies sur le terrain de la mixité à l’école. Elle s’inscrit dans les débats qui suivent les lois Ferry. Quels sont ces principes ? Prendre l’enfant dans sa globalité, former un citoyen responsable en s’appuyant sur des valeurs de justice et d’égalité. La mixité fille/garçon en est donc une condition. Très officiellement l’orphelinat de Prévost s’affiche comme dispensant une « éducation strictement laïque des deux sexes en commun ». Les filles et les garçons de quatre à seize ans étudient, grandissent, jouent ensemble sur le modèle de la « famille sociétaire ». Donc les enfants des deux sexes sont comme des frères et sœurs, les éducatrices et éducateurs vivent eux aussi (avec leur propre famille) dans l’orphelinat. La mixité s’applique donc aux maîtres en condamnant la répartition sexuée des maîtres et maîtresses. Mais en 1892 deux journaux à grands tirages et friands de sensationnel (La Libre Parole et Le Matin) dénoncent dans une campagne de presse la « porcherie municipale de Cempuis ». Malgré les rapports favorables des inspecteurs le scandale dure au point que P. Robin fut révoqué. D’ailleurs le prétexte de la révocation portent sur ses engagements politiques internationalistes. Les élèves ont été lavés de toutes accusations et même la coéducation a pu continuer à être pratiquée très officiellement après son départ.
Les principes de l’éducation intégrale lui ont survécu, y compris la coéducation des sexes grâce à d’autres pédagogues qui les ont mis en pratique dans un cadre privé se prêtant plus facilement à l’innovation tel « l’école moderne » de Francisco Ferrer (1901) à Barcelone, ou l’école de la Ruche près de Rambouillet avec Sébastien Faure (1904).

La « mixité » au XXe siècle de Jules Ferry à la Réforme Haby (1882-1976)

A la fin du XIXe siècle, avant la première Guerre Mondiale, en dépit des obstacles les femmes ont accédé à une scolarisation élémentaire générale avec un taux d’alphabétisation équivalent qui ne doit pas tout à l’école publique (rôle des écoles privées religieuses). En tout cas on ne se désintéresse plus de leur éducation et de leur instruction même si les programmes restent différents (langue, couture, moins de latin et de grec…). Et les étudiantes françaises commencent à rentrer à l’université, d’ailleurs l’impulsion est donnée par des étudiantes étrangères notamment Russes qui auraient frayé le chemin [cf. F. Mayeur].
Cependant si la coéducation a été vécue dans les petites classes, dans les zones rurales ou chez les pionniers libertaires, les résistances sont longtemps restées très fortes, et encore plus fortes dans le secondaire.
Des expériences ont été tentées dans les années vingt et trente dans des écoles privées ou hors de l’école par des mouvements de jeunesse.
La mixité pour les adolescent-e-s dans les groupes de loisirs et dans l’enseignement secondaire s’est introduite malgré elle, davantage pour des raisons économiques et pratiques que pour des choix éducatifs et pédagogiques.

Dans les mouvements d’éducation nouvelle[[Source : article de Annick Raymond in CLIO « Mixité et coéducation » n°18, 2003]]

Dès ses premières réalisations le mouvement de l’Éducation Nouvelle a défendu une mixité coéducative, la « coéducation des sexes » étant caractéristique de son projet.
C’est en 1899, à l’initiative d’Adolphe Ferrière[[Adolphe Ferrière (1879 – 1960) Suisse, issu de la haute bourgeoisie philanthropique de Genève, protestant, devenu sourd à l’âge de 20 ans il n’a pu être éducateur dans la pratique, aussi il écrivit et devint pédagogue.]] que fut fondé le Bureau International des Écoles Nouvelles (B.I.E.N.). En 1912 un programme minimal est fixé. En 1919 Ferrière ajoute un programme maximal en trente points dont le cinquième est consacré à la coéducation. Il s’appuie sur l’expérience positive déjà appliquée en Angleterre (école des Bedales créée par Bradley) et en Allemagne (Odenwaldeschule fondée par Geheeb) qui sont des internats où vivent filles et garçons avec une organisation de vie à la fois commune et différenciée, se construisant sur le modèle familial ; où la mixité sexuelle se voulait naturelle et vécue de façon bénéfique. L’objectif était de développer moralement les enfants et adolescents.
Lorsqu’en 1921 est fondée la Ligue Internationale de l’Éducation Nouvelle (LIEN) elle réunit des personnalités isolées et des groupes nationaux comme le GFEN[[Groupe Français d’Éducation Nouvelle]] (Groupe Français d’Éducation Nouvelle) pour diffuser internationalement ses idées pédagogiques. Au congrès inaugural de Calais (1921) une charte[[La charte du LIEN fut notamment rédigée par une professeure de Rouen, Mademoiselle Decroix. Elle considère P. Robin comme un précurseur.]] est rédigée dont le sixième principe de ralliement à la Ligue est la coéducation. Les conditions sont assez clairement posées : la coéducation ne signifie pas éducation identique des filles et des garçons, la coéducation ne se résume pas non plus à une seule instruction commune, elle repose sur l’idée qu’elle provoque une influence positive des un-e-s sur les autres, une complémentarité.
L’Éducation Nouvelle donne à la coéducation un statut de postulat, de conviction à défendre, car elle va de paire avec le développement d’une société démocratique. Finalement elle n’est pas de l’ordre du politique parce qu’elle est considérée comme un passage obligé pour le bon développement psychique de l’enfant.
Donc la fille a droit à la même instruction que le garçon, mais la coéducation ne peut se réduire à une simple instruction. «Il», « elle » doit apprendre à se comporter avec l’autre sexe, cela ne s’enseigne pas, cela s’exerce. C’est pourquoi (selon A. Ferrière et sa conception naturaliste) la coéducation ne signifie pas non plus une éducation identique pour les deux sexes. Elle est à voir comme une confrontation éducative ou l’intervention et la place de l’adulte éducateur conscient de la mixité prend toute sa place. Dans l’Ecole Nouvelle, c’est une constante de faire de l’attitude de l’éducateur le socle de la réussite qui repose sur la confiance entre les enfants et les professeur-e-s. L’attitude du maître ou de la maîtresse doit être la même pour les filles comme pour les garçons.
Cependant, on a pu observer quelques réserves chez les défenseurs de la coéducation. La plupart le reconnaissent, la mise en œuvre de la coéducation ne se fait pas sans conditions ni sans difficultés. Mais ils insistent sur le fait que les adultes éducateurs doivent être préparés à la question et volontaires. La mixité ne peut être imposée.

Un autre débat, en 1905 (année de la séparation de l’Église et de l’État) au congrès des Amicales des instituteurs et institutrices de France et des colonies[[Source : Frédéric Mole «  1905 : la  « coéducation des sexes » en débats » Clio n°18, 2003, Mixité et coéducation]] se tient à Lille. Certains syndicalistes participent activement au débat sur la coéducation. Les principales militantes qui interviennent sont Lydie Martiale, intellectuelle féministe invitée et Marguerite Bodin, institutrice syndicaliste auteure de Surprise de l’école mixte édité en 1905.
Au cours des débats relatés dans les rapports une certaine réforme morale par la coéducation est imaginée. Elle ne pourrait se développer que si les préjugés éducatifs reculent au sein même des familles. Il faudrait « réformer si possible les mentalités des parents »[[IVe Congrès des Amicales d’Institutrices et d’instituteurs public de France et des Colonies ,Lilles, 28-31 août 1905, 1905 Bulletin général des Amicales d’Institutrices et d’instituteurs public de France et des Colonies, octobre p. 65]] « qu’ils ne fassent plus de leurs filles les serves de leurs fils »[[François Bernard, 1905, «  Rapport sur la coéducation des sexes », Bulletin de l’Union pédagogique du Rhône, n° 85, Juin, p. 12-13]].
Mais les contraintes et les réticences sont exprimées dans les rapports départementaux car la coéducation ne peut être imposée trop brutalement à l’encontre des préjugés sociaux, elle ne peut être expérimentée en milieu urbain trop vicié, elle ne doit pas toucher des enfants « anormaux ou « pervertis par de mauvaises fréquentations »… Cette recherche d’harmonie, qualifiée de naturelle entre sexes s’accompagne d’un principe d’égalité entre garçons et filles. Mais la difficulté est de savoir comment l’idée d’égalité entre les sexes est conciliable avec celle de leur complémentarité. Au nom de l’égalité, peut-on rejeter toutes différences entre les sexes ? Doit-on attribuer une identité propre à chacun d’eux ?
C’est sur cette délicate question d’égalité que les opposants (des hommes notamment) vont s’exprimer avec le plus de vigueur durant le Congrès. La crainte que l’égalité ne recouvre une assimilation des sexes l’un à l’autre. Par exemple, M. Carnaux prône que les femmes doivent développer « leurs facultés propres ». Si on admet une juxtaposition des sexes dans le cadre d’une Co-instruction ou d’un Co-enseignement car l’intelligence « est la même chez les garçons et les filles » on ne peut admettre une coéducation qui ferait craindre une atténuation des caractéristiques particulières de chaque sexe et pourrait avoir comme effet une masculinisation des filles. Même si un rapporteur fait remarquer qu’à Cempuis les jeunes filles n’ont pas perdu de leur féminité !
Il y a donc craintes, hésitations, réserves et certains congressistes proposent alors la séparation dans la cour de récréation car « très peu de filles portent des pantalons » ! (protestations) D’autres restent très prudents sur la coéducation à l’adolescence. Finalement le rapport final de la commission de la coéducation du Congrès de Lille insiste sur l’idée que sa mise en œuvre nécessite une rénovation pédagogique et doit viser à former « des êtres complets en possession de leur self–commandement » (Lydie Martial). C’est la notion d’harmonie qui est mise en avant pour concilier égalité et différence entre sexes.
De fait, les années qui suivirent le Congrès montrent que la coéducation est le prétexte à de violentes attaques contre l’école laïque (période de lutte après la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État). Par exemple le journal La Croix du Nord titre pour commenter le Congrès : «  Retour à la porcherie de Cempuis », poursuivant par : « Est-il utile, maintenant, de faire ressortir la gravité des décisions pornographiques qui ont été prises ?  Il suffit d’un peu de réflexion pour voir le saut dans le vice auquel on veut pousser le pays… ». En tout cas les débats sur la coéducation à partir et autour du Congrès de Lille ont marqué une étape et ont sûrement fait évoluer les mentalités, en tout cas celle des enseignant-e-s de l’époque. D’autant plus qu’un homme, Ferdinand Buisson, en a permis la diffusion plus largement que celle des syndicalistes des Amicales.
Arrêtons-nous sur cette grande personnalité du monde éducatif que nous avons à plusieurs reprises mentionné, Ferdinand Buisson (1841-1932)[[Voir la sitographie]]. Agrégé de philosophie, député de la Seine, il fut le fondateur de la Ligue des Droit de l’Homme en 1898 et reçu à ce titre le prix Nobel de la paix en 1927 à 86 ans. Auparavant, devenu professeur de pédagogie à la Sorbonne en 1890 puis Inspecteur Général, il devint directeur de l’Enseignement primaire aux cotés de Jules Ferry. Il supervisa aussi l’écriture de la loi de 1905 sur la laïcité. Mais son nom reste grâce à son engagement comme maître d’œuvre, avec plus de trois cent cinquante collaborateurs, du fameux Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire édité une première fois en 1887 puis 1911. Or l’article « Sexes (coéducation des) » de la première édition est devenu « Coéducation des sexes » dans la seconde qui reproduit en guise de conclusion, intégralement, les résolutions du Congrès de Lille.

Entre les deux Guerres, des expériences de mixités au-delà de l’école primaire

La première Guerre Mondiale a laissé entrer de plus en plus de femmes dans le monde de l’éducation institutionnelle et donc Nationale. Elles ont contribué à remplacer les hommes, jeunes instituteurs ou professeurs partis au front et loin d’être tous revenus…
Moins bien rémunérées que les hommes, avec des statuts souvent précaires, leur nombre croissant fut générateur d’une dévalorisation du métier d’enseignant qui n’a jamais était propice à l’enrichissement, et même d’une dévalorisation de la qualité de l’enseignement dispensé, surtout en ce qui concerne le secondaire.
Il n’empêche que les jeunes filles vont obtenir à partir de 1924 (décret de Léon Bérard) la possibilité de recevoir, pour l’enseignement secondaire, des programmes identiques à ceux des garçons, et celle de passer le même baccalauréat. Il existait bien un bac féminin depuis seulement 1919. A partir des années vingt le nombre de bachelières ne cessa d’augmenter et leurs taux de réussite est équivalent voire légèrement supérieur à ceux des garçons. [Étude à partir de statistiques de l’Académie de Rennes dans les années Trente par Évelyne Hery Clio n° 18].
Les réformes sont encore une fois une assimilation des enseignements masculins pour les femmes. En effet, à mérite égal, celui des filles est perçu comme obtenu à force de volonté et de ténacité dans l’effort.
Cependant le baccalauréat est une réelle conquête et les bachelières de plus en plus nombreuses. Elles restent toutefois de futures mères et éducatrices en puissance.
C’est ici que nous pouvons évoquer l’histoire d’un lycée d’exception en France, celui de Saint-Maur-les-Fossés[[Source : Cécile Hochard, Clio n° 18, 2003, Mixité et coéducation]] ouvert en 1938 dans le Val-de-Marne. Mais, fait particulier, il fut mixte et resta un cas unique pendant plus de vingt ans, comme seul établissement secondaire en France à accepter à la fois filles et garçons. Pourquoi ? Pour de banales raisons économiques semble t-il. On avait vu trop grand et on manquait d’élèves pour le bon fonctionnement de l’établissement. Les filles sont venues alors en renfort afin de permettre l’ouverture des classes. Pour l’administration cette mesure ne devait être que provisoire. Le provisoire est devenu durable ! L’engrenage a pris au piège l’administration. L’impulsion s’explique sans doute par la demande des familles, donc sous l’impulsion des parents d’élèves qui désirent que leurs filles fassent des études supérieures. Le recrutement global apparaît plus diversifié que dans les grands lycées parisiens avec une proportion plus forte d’enfants d’employés, de petits commerçants, d’ouvriers, d’artisans qui, entre 1940 et 1944, représentent un quart du recrutement puis un tiers entre 1944 et 1948.
Cette expérience tolérée dans les faits ne fut jamais institutionnalisée. De fait, si l’administration désapprouve elle ne peut modifier la situation. Son souci constant fut de limiter la présence féminine à défaut de pouvoir l’enrayer, les familles continuant à inscrire au lycée Marcelin Berthelot de Saint Maur leurs filles jusqu’à l’instauration officielle de la mixité au début des années soixante (Décret Berthoin 1959).

La mixité s’impose, sans débat, après la seconde Guerre Mondiale

Après la guerre, peu à peu la mixité fait son chemin, lentement, dans les mouvements de jeunesse et dans l’éducation scolaire.
Elle se généralise et, comme l’analyse Nicole Mosconi, elle n’est pas forcément voulue. L’évolution est progressive avec le passage du modèle patriarcal traditionnel et inégalitaire à celui d’un modèle progressiste, égalitaire sur les rapports sociaux de sexes. La mixité est comme un compromis entre ces deux modèles, ni achevé, ni égalitaire. Davantage d’ordre économique qu’idéologique, la mixité s’est généralisée mais elle ne rentre pas dans une démarche de choix éducatif.
Après la seconde Guerre Mondiale alors que les expériences ont été rares jusque là (Faucons rouges, Auberges de Jeunesses), la fondation en 1946 des Francas (Francs et Franches Camarades) lance la mixité comme un principe dans les camps de vacances pour jeunes et peu à peu elle progresse avec des expériences originales au cours des années cinquante.

La mixité des programmes scolaires fut réalisée par la IIIe République. Après la guerre les réponses à l’urgence de la reconstruction vont entraîner pour des raisons pratiques une mixité spatiale.
Ainsi de nombreuses réouvertures de classes se font dans un seul établissement qui accueille au plus pressé et au plus prés des élèves tant au niveau primaire qu’au niveau secondaire. Et il n’y a pas d’opposition forte dans l’opinion. C’est une mixité spatiale et économique car il faut construire rapidement des locaux, éviter de trop longs trajets aux élèves filles et garçons comme aux enseignant-e-s Ainsi, diverses circulaires vont autoriser et donc organiser des lieux d’enseignement mixte, c’est plus pratique et moins cher.
En 1957, la mixité de l’enseignement primaire est légale.
En 1959, le ministère décide de ne construire que des lycées mixtes dans le cadre de la réforme Berthoin.
En 1961 l’inspectrice générale O.G. Blunschwig peut écrire « les éducateurs du second degré estiment, en majorité, la coéducation favorable à une meilleure préparation à la vie moderne et à la formation de personnalités libres, équilibrées, généreuses ; rappelons, à l’appui de cet optimisme, les constatations de la Fédération nationale des parents d’élèves : « La coéducation donne lieu à une émulation plus grande entre les élèves, favorise leur enrichissement intellectuel réciproque ; elle provoque l’usure des curiosités malsaines, sans qu’en fait aucun incident sexuel ait pu être imputé à ce système pédagogique »[[L’Éducation nationale, 2 novembre 1961]].

Avec la création des CES (Collège d’Enseignement Secondaire) dans les années 1960 la mixité va se répandre progressivement. Et on ne peut pas dire que Mai 1968 ait provoqué une avancée législative sur ce point, puisqu’il faut attendre 1975 (11 juillet) et la loi du ministre René Haby pour que la mixité devienne obligatoire à l’école de la maternelle au lycée (Décrets d’application en 1976).
À l’Université, ouverte aux filles avant la guerre, mais bien peu osent y entrer, la massification se réalise à la fin des années cinquante et surtout soixante. Cette mixité va se répandre dans les grandes écoles, parfois avec lenteur, Polytechnique en 1972, les Ecoles Normales de Ulm et Sèvres seulement en 1986 ! Cependant l’École Nationale de l’Administration (ENA) créée en 1946 fut mixte dès le départ.

En guise de conclusion

L’impression que la mixité s’est imposée malgré elle, comme une « révolution tranquille » en concomitance avec l’évolution des mœurs, sous l’influence des mouvements féministes qui, notamment à partir des années 1970 demandent à la société de regarder les femmes autrement. La société devient peu à peu mixte dans tous les lieux de socialisation et donc l’école aussi. Mais ce n’est sûrement pas un choix d’éducation comme le prônait l’Éducation Nouvelle au début du siècle.
Les adultes ont accepté l’idée de mixité pour les jeunes qu’ils éduquent et instruisent, mais ils ont rarement pris conscience de leur rôle pour faire vivre cette mixité dans le collectif.
Pourtant, comme le souligne Antoine Prost, historien et pédagogue, dans son livre Histoire de l’enseignement et de l’éducation[[Antoine Prost, Histoire de l’enseignement et de l’éducation depuis 1930, T. 4 Nouvelle Librairie de France 1981, Edition Perrin 2004]] : « De toutes les révolutions pédagogiques du siècle, la mixité est l’une des plus profondes. Elle oppose l’école de notre temps à celle de tous les siècles précédents.»

Geneviève Pezeu