Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Une évaluation CM2 peut en cacher d’autres !

Le ministère de l’éducation nationale a publié fin mars 2009 les résultats de l’évaluation que les élèves de CM2 – ou tout au moins une partie d’entre eux – ont passée au cours de la troisième semaine de janvier. Ils sont présentés ainsi «… notre école fait réussir beaucoup d’élèves. Mais les maîtres, pour assurer à tous la réussite, avaient besoin d’un dispositif efficace de prise en charge des difficultés d’apprentissage. »[[Présentation de Jean-Louis Nembrini, directeur général de l’enseignement scolaire, 30 mars 2009, disponible sur http://education.gouv.fr/cid24230/evaluation-des-acquis-des-eleves-cm2.html ]]
Cette évaluation permettrait donc, à la fois, d’apprécier les performances des élèves (dont beaucoup réussiraient dès janvier !) et de donner aux maîtres les moyens de mettre en place des aides personnalisées pour ceux qui rencontrent des difficultés.

Une évaluation CM2 discutable, inefficace et qui inquiète

Cette évaluation se donne l’apparence de contribuer à la mise en place des ces aides puisqu’elle est organisée six mois avant la fin du cycle III : il serait encore temps de mettre en place des mesures permettant aux élèves d’atteindre les objectifs de fin de cycle. En fait, elle ne peut pas servir au diagnostic des difficultés puisque le mode de correction retenu est binaire : c’est juste ou faux. Les enseignants savent que x % de leurs élèves rencontrent des difficultés, mais lesquelles ? Voilà comment on vide de son sens l’évaluation diagnostique, mise en place en 1989, et que le Haut Conseil de l’évaluation de l’école considère très positivement[[ « La mise au point d’outils d’évaluation diagnostique – conçus comme des outils professionnels destinés aux enseignants – et largement diffusés auprès de ceux-ci constitue une originalité positive du système éducatif français », avis n°11, 2003, sur http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents.]]. Quant à prétendre que cette évaluation, passée en janvier, permet d’apprécier les acquis des élèves au regard des objectifs de la fin du cycle, ce n’est pas sérieux ; et cela ne peut qu’inquiéter les enseignants qui craignent de voir dénigrer un travail… qu’ils n’ont pas encore eu le temps de faire.
La réalisation de cette évaluation par la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), à la demande du Cabinet, plutôt que par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) a soulevé de vives réactions et on se demande ce qu’elle cache. Quelle crédibilité pourra-t-on accorder aux évolutions que pourrait faire ressortir la nouvelle « évaluation CM2 » qui doit avoir lieu cette année ? On ne s’improvise pas évaluateur et cette « évaluation » fait fi de tous les progrès accomplis en matière de méthodologie par la DEPP au cours des dernières années.

Une autre évaluation CM2 mise sous le boisseau

Ceci est d’autant plus grave que dans le même temps, le cabinet du ministre empêche la DEPP de publier certains de ses travaux : en janvier 2008, alors que le ministre déclarait : « Nous devons pouvoir nous appuyer sur des évaluations objectives, régulières, transparentes, des résultats obtenus par les élèves… » la DEPP mettait la dernière main à une note présentant les résultats d’une étude sur l’évolution entre 1987 et 2007des performances en « lire, écrire, compter » des élèves de CM2. Mais celle-ci n’a été publiée qu’un an plus tard[[Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle, note information n°08-38, décembre 2008, http://media.education.gouv.fr/file/2008/23/9/NI0838_41239.pdf ]], et elle ne le serait peut-être toujours pas si une « fuite » n’avait contraint le ministère à la rendre publique.
Il y aurait donc des évaluations dignes d’être publiées et d’autres qui ne le méritent pas, comme le déclarait cyniquement un membre du cabinet de Xavier Darcos, cité par un journaliste : « la DEPP fournit des instruments au service du ministre qui reste le dernier garant de leur diffusion »[[Les statisticiens de l’éducation dénoncent la « censure du Ministère », Bernard Gorce, La Croix, 10 décembre 2008. ]]. Il y a des raisons – sans doute discutables – à de telles pratiques, mais le plus problématique est que cela prive notre système éducatif et les enseignants de connaissances et d’outils essentiels pour l’action.

Des évaluations CM2 trop peu exploitées

Il s’agit des évaluations-bilans qui mettent en évidence les problèmes que rencontre notre système éducatif et font le point sur ce que savent les élèves au regard des exigences des programmes. Deux évaluations réalisées par la DEPP concernent ce moment décisif du cursus : le passage du CM2 à la 6e :
La première, citée ci-dessus, est l’étude de l’évolution entre 1987 et 2007 des performances en « lire, écrire, compter » des élèves de CM2. Elle montre une baisse des performances au cours de la période, baisse d’ampleur et de nature différentes selon les domaines : en lecture, ce n’est que sur la décennie 1997-2007 que l’on constate une baisse de la performance moyenne. Cette baisse est particulièrement marquée pour les élèves les plus faibles, alors que les meilleurs ne la connaissent pratiquement pas. Elle concerne peu les catégories sociales « cadres et professions intellectuelles supérieures » alors qu’elle touche toutes les autres, d’où une aggravation des inégalités sociales en la matière. Ce constat rejoint celui des enquêtes internationales PIRLS et PISA : notre système éducatif semble avoir de plus en plus de mal à conduire à de bonnes performances en lecture, les élèves de milieu populaire, en particulier les garçons. En calcul, on constate également une baisse, plus accentuée qu’en lecture ; elle touche tous les élèves, des plus forts aux plus faibles, mais elle est nettement moins accentuée au cours de la seconde décennie de la période.
La deuxième est une évaluation de la maîtrise du langage et de la langue française en fin d’école primaire, passée en 2003 [[La maîtrise du langage et de la langue française en fin d’école primaire, note évaluation n°04.10, DEPP, octobre 2004, http://media.education.gouv.fr/file/21/9/5219.pdf ]]. On constate que si d’un côté, un tiers environ des élèves a des performances attestant d’une maîtrise satisfaisante des compétences attendues par les programmes, à l’opposé 15 % (25 % en ZEP) sont en difficulté, voire en grande difficulté, et ne maîtrisent pas, ou très mal, les compétences nécessaires à l’entrée en sixième. Entre ces deux extrêmes, un peu plus de la moitié des élèves ne maîtrisent pas toutes les compétences attendues mais doivent pouvoir profiter de l’enseignement du collège, pour autant que celui-ci prenne appui sur leurs acquis effectifs. Cette évaluation est réalisée à nouveau cette année. On devrait ainsi disposer d’une comparaison significative sur six ans… pour autant qu’elle soit publiée.
Il est plus que regrettable que les résultats de ces travaux ne soient pas exploités plus par les responsables de la politique éducative. La DGESCO devrait se consacrer à les analyser, à rechercher des pratiques efficaces de soutien et à diffuser des moyens de remédier aux difficultés constatées, plutôt que de construire des évaluations discutables, inefficaces et rejetés par nombre d’enseignants.

De vrais outils professionnels pour les enseignants

Pourtant, des outils d’évaluation diagnostique de qualité devraient aider les enseignants à repérer les difficultés de chacun de leurs élèves et à mettre en place les progressions les mieux adaptées pour les faire réussir. C’était l’ambition des évaluations CE2 et 6e qui disparaissent. Elles n’avaient pas pour objectif de savoir si les élèves savaient ou non, mais de révéler leurs points forts et leurs points faibles et toute la diversité de leurs erreurs afin de cerner leurs besoins. Les responsables de la politique pédagogique proposent davantage aux enseignants des circulaires et des incantations sur le soutien que des formations et des outils qui les aident à mieux prendre en compte l’hétérogénéité de leurs élèves.

Jean-Claude Émin, ancien sous-directeur de l’évaluation à la DEPP,
ancien secrétaire général du Haut Conseil de l’évaluation de l’école.