Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Une école secondaire Freinet… Une expérience de la citoyenneté

Le choix de la pédagogie Freinet s’est inscrit dans une volonté de mettre en œuvre une école où l’éducation à la citoyenneté est centrale, transversale, colonne vertébrale autour de laquelle les disciplines traditionnelles graviteront. Dans une pensée que l’on pourrait naïvement apparenter à Dewey, l’école est envisagée comme lieu éminemment politique, lieu du développement de l’implication, d’inclusion dans la société et d’acquisition d’un savoir social.

L’éducation à la citoyenneté n’est pas envisagée comme un apport en plus mais comme socle fondateur de l’école. Elle doit se vivre dans ses différentes dimensions telles que définies par Audigier (2000) : politique, juridique, sociale, culturelle et économique. Pour éviter toute instrumentalisation de l’éducation à la citoyenneté, les fondateurs de l’école imaginent une série d’outils de coopération, de cogestion et de coéducation. A ce stade, cela relève principalement de la déclaration d’intention.

Au fil des années, le groupe a évolué, s’est élargi, transformé, amenant chaque intervenant à débattre, discuter, et renégocier le projet notamment au travers des quatre dimensions évoquées préalablement. Des questions cruciales émergent : Quel cadre de base poser ? Quelles limites envisager ? Comment coopérer, cogérer ?

De grands principes sont ainsi développés au travers de documents fondateurs tels les statuts, le projet d’établissement ou encore le projet pédagogique et éducatif. Il est établi, par exemple, que le Pouvoir Organisateur de l’école sera composé de parents, d’enseignants et de la direction. Il en sera de même pour tous les groupes de travail et de réflexions nommés Commissions. Enfin, l’obligation de mettre en œuvre des outils de communication est inscrite dans les statuts de l’école notamment au travers d’un bulletin d’information hebdomadaire.

En juillet-août 2014, des parents, des futurs élèves et des enseignants s’attèlent à peindre les locaux, déménager des meubles reçus à droite et à gauche. Le bâtiment de l’école devient une véritable ruche.

En septembre 2014, l’école ouvre ses portes et accueille ses 80 premiers élèves (et leurs parents), sa quinzaine de premiers enseignants, sa première directrice et sa première éducatrice économe. Petite particularité, tous n’ont pas choisi personnellement de faire partie de cette école. Certains enseignants sont transférés d’une autre école, certains élèves sont arrivés n’ayant pas trouvé de place ailleurs. Les particularismes du système belge francophone… A nouveau et à plus forte raison encore, le projet d’origine doit évoluer, changer en s’adaptant à la réalité de tous ses nouveaux acteurs de l’école.

Chacun cherche sa place, son rôle dans l’école au-delà des injonctions des fondateurs. Les questions liées à l’éducation à la citoyenneté sont prégnantes. Comment permettre aux élèves de s’approprier les objectifs d’autonomie ? De se responsabiliser ? Comment développer une dynamique participative qui soutient le développement institutionnel au travers de rituel au sens d’Oury et Vasquez (1976) sans pour autant instrumentaliser les élèves ou s’inscrire dans une forme de normativité où l’élève doit répondre aux attentes de l’enseignant et de l’institution.

La question de l’identité professionnelle et de ses représentations apparait de manière assez forte au niveau des enseignants. Célestin Freinet remettait en cause leur position, c’est un des éléments clefs de sa pédagogie au travers de sa méthode naturelle, de sa volonté de supprimer l’estrade et de sortir des murs de l’école. Au travers de ses invariants pédagogiques et notamment l’invariant n° 27, il invite à repenser l’école et sa dynamique dans une vision politique et sociale de l’école. Pour autant, pour de nouveaux enseignants, dans une nouvelle école, la mise en œuvre de cet idéal ne semble pas aussi évidente que ne le laisserait penser son énoncé. Il faut accepter de renoncer à une part de son identité professionnelle construite tout au long de sa formation et modifier des représentations ancrées depuis longtemps.

Émergent notamment :

  • les interrogations sur les limites des rôles de chacun. De nombreuses réunions sont organisées pour définir quand et comment les élèves peuvent intervenir dans les décisions, les règles, le fonctionnement de l’école.
  • la nécessité de marquer son territoire. L’équipe enseignante et la direction rappellent régulièrement que ni les parents ni les membres du Pouvoir Organisateur ne peuvent s’occuper des questions pédagogiques.

Derrière cela, en filigrane, semble se profiler la nécessité de se créer une identité groupale. Cette nécessité ressentie par l’équipe enseignante, nous émettons l’hypothèse qu’elle l’est tout autant par les parents et les élèves. Cela implique une volonté de différenciation entre soi et l’Autre. Tout l’enjeu, pour une école porteuse d’un projet où l’éducation à la citoyenneté est omniprésente, est de définir ce Soi et cet Autre de manière inclusive plutôt qu’exclusive. Cette identité groupale doit pouvoir prendre en compte les élèves et leurs parents afin d’atteindre l’objectif de dynamique institutionnelle, de coopération et de cogestion. Cela demande un partage des tâches et des responsabilités équilibré ; une grande flexibilité de chacun, un niveau élevé de communication entre parents, enseignants et Pouvoir Organisateur ; un consensus de départ sur le cadre institutionnel et les tâches à partager (lesquelles et jusqu’où) ; et surtout une confiance mutuelle entre tous les acteurs afin de travailler dans une direction commune.

Cette vision d’une école coopérative, cogérée, co-éducative comporte des points de tension dont il parait intéressant de tenir compte : c’est un processus potentiellement très chronophage demandant une implication plus importante que celle conférée par le rôle traditionnel de chacun mais aussi très lent car nécessitant de faire participer le plus d’acteurs scolaires possibles ; le risque d’émergence de tension ou de frustration est réel si s’installe le sentiment que certains dominent les autres de par leur capacité à prendre la parole et/ou à monopoliser les espaces décisionnels ; enfin la perception d’un rôle décisionnel dilué peut entraîner une perte de confiance sur la capacité institutionnelle à répondre de manière dynamique aux besoins quotidiens exprimés.

Nous voici arrivés en septembre 2015, pour une nouvelle rentrée scolaire. Les questions évoquées au fil de cet article sont bel et bien toujours présentes. Les besoins exprimés et les points de tensions sont toujours présents, parfois sous d’autres formes que celles de l’année précédente. Les nouveaux enseignants, élèves et parents bousculent les acquis de leurs prédécesseurs. Ils remettent en cause, invitent à repenser, à réfléchir une nouvelle fois le projet, à innover.

Nous sommes tentés de penser que cela sera également le cas l’année prochaine et les années qui suivront. Si cela se confirme, cela voudrait-il dire que cette école est pleinement investie de la mission qui lui a été confiée à savoir d’être un lieu d’éducation à la citoyenneté, de développement social, de participation à la vie de la « cité » ? Ce serait probablement une réponse naïve, un peu expéditive. Elle chemine en ce sens en tous les cas, avec les écueils que cela comprend également. Dans ce contexte d’école, l’éducation à la citoyenneté ne serait-elle pas un processus « adisciplinaire  » tel que l’exprime Caillé (1993) permettant de sortir d’une certaine tension existante pour les enseignants entre les différentes visions de son rôle, de ses sphères de compétences, entre école et société grâce à un travail sur ce qui fait sens commun et non sur les spécialités/spécificités disciplinaire de chacun ?

Alan Lenglet
Assistant social, membre fondateur de « De l’autre côté de l’école », première école secondaire Freinet en Belgique francophone