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« Une création d’école n’est pas bonne en soi. »

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De nombreuses écoles se sont créées ces dernières années, qui se revendiquent de l’éducation nouvelle: est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

C’est un point essentiel de notre dossier : une création d’école, pas plus qu’un changement ou une innovation, n’est bonne en soi. Nous nous sommes fixé un cap que nous rappelons dans notre avant-propos : il faut mettre ces nouvelles écoles « à l’épreuve du social » et discerner en quoi elles réagissent au postulat de l’égalité ou de l’équité. En effet, la marque non déposée de l’éducation nouvelle, dont on fête le siècle d’existence, n’est pas un brevet commercial qui couvrirait quelques dispositifs comme le « quoi de neuf ? » ou les « métiers ». Historiquement, c’est un engagement pour une société plus égalitaire par le biais de l’éducation pour toutes et pour tous. Nous sommes donc intervenus auprès des personnes qui ont contribué au dossier pour qu’apparaisse le lien de leurs projets et de leurs pratiques avec ce que nous appellerons une socialisation démocratique. Toutes n’ont pu s’expliquer sur ce point mais notre ligne de conduite était de ne pas éliminer des réalisations qui, par la force des choses et des institutions, étaient contraintes de se poser la question de leur survie financière dans des systèmes éducatifs prompts à éliminer tout enseignant trop innovateur. Célestin Freinet a été l’un des premiers à en faire les frais et certains de nos créateurs n’ont pu mener à bien leur projet dans l’Éducation nationale, comme Cédric Serres qui a dû se rabattre sur le privé hors contrat tout en offrant des places gratuites pour des enfants de familles au RSA.

Est-ce que l’engouement que l’on sent dans la société autour des ces écoles s’est ressenti dans le nombre de contributions que vous avez reçu ?

Nous avons eu beaucoup de contributions spontanées venant de tous horizons et de pays ou continents différents. Nous avons été contraints d’en refuser certaines car elles faisaient doublon avec d’autres. Pour d’autres, nous avons été contraints de faire plusieurs allers et retours avec les auteurs, afin de faire de la place dans le dossier pour les vingt-cinq articles publiés et sur le site pour quatre autres. Il est évident que nous sommes dans un temps intermédiaire : beaucoup d’appelants mais encore peu de pratiquants. Le passage à l’acte se heurte à deux obstacles, le premier, hors de l’institution, requiert le « courage des commencements » car, sauf pour le cas d’Espérance Banlieue qui est financée par des idéologues d’une droite qui rêve de « mettre au pas » les jeunes des quartiers, l’aventure commence par le choix et l’aménagement d’un lieu, se poursuit par l’absence de salaire et par l’espoir d’une contractualisation cinq ans plus tard. Reste bien sûr le cas de celles et ceux qui ne veulent pas rentrer dans le système, telles les écoles dites démocratiques ou se rattachant à des valeurs et principes anarchistes. Dans l’institution, c’est aussi difficile, sinon plus, car il y a les collègues réfractaires, par exemple aux classes coopératives, et il s’agit de ne pas provoquer un affrontement entre enseignants de la même école ou du même établissement.

D’après les contributions que vous avez reçues, est-il possible, justement, de construire une « alternative » à l’école au sein du système scolaire « traditionnel » ?

Bien sûr, il est possible de « changer l’école pour changer la société » si l’on n’oublie pas, dans le même mouvement, de « changer la société pour changer l’école ». Nous le répétons, c’est la question de l’équité sociale qui nous a intéressés et fourni un angle d’interrogation. Il n’était pas question de simplement « vendre » une école ou sa pédagogie. Pour ça, il y a une certaine presse généraliste qui est en quête de tout ce qui peut décrédibiliser l’école de la République telle qu’elle s’est construite au fil des siècles. Nous avons voulu accumuler les expériences qui visent les apprentissages, sans les limiter aux savoirs dits savants. Dès lors, le social et le citoyen fournissent des axes qui sont traditionnellement évoqués mais en fait très peu reconnus dans notre institution, qui continue à se concentrer sur l’instruction ou, si l’on préfère, la sélection par la réussite à des épreuves portant sur les connaissances attendues. Les alertes de François Dubet et de Pierre Merle dans ce numéro montrent que Philippe Meirieu avait raison de proposer une alternative entre l’école et la guerre civile. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de n’importe quelle école mais d’une école où l’on multiplie les alternatives pour permettre à chacune et chacun de progresser et réussir selon son cheminement particulier.

Y a-t-il quelque chose qui vous a particulièrement marqués dans ce dossier?

Choisir entre des dizaines de réalisations est une forme d’injustice mais disons que la relation avec les parents, évoquée aussi bien par Alexandra Castelleti que par Clothilde Jouzeau Krauetler, va dans le sens d’une transformation radicale de l’école traditionnelle, qui éloigne la famille, vers une ouverture sur le monde et un travail en commun des parents et de l’école. Mais il y a aussi l’école Eva de Vitray qui montre cette ouverture au monde contemporain à travers les trois religions monothéistes qui l’inspirent et qui ne l’empêchent pas de montrer son attachement à l’école publique la plupart du temps seule présence éducative dans « les quartiers défavorisés ». Il y a aussi les éclairages historiques de Bruno Garnier en début de dossier et de Michèle Guigue sur le phénomène émergent de « l’école à la maison » et de sa signification en termes de société. Bref, nous répondons à la question mais surtout nous engageons les lectrices et lecteurs à faire leur propre palmarès d’un dossier dont tous les articles nous semblent marquants !

Propos recueillis par Cécile Blanchard