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Une contribution d’Arnold Bac

Parler d’« égalité des chances » comme le font nos gouvernants au moment où ils continuent de supprimer des milliers d’emplois dans l’éducation nationale, au moment où ils suppriment 3 000 postes de RASED, au moment où ils ne font que transférer des charges aux collectivités tout en diminuant leurs ressources, au moment où les associations éducatives se voient brutalement retirer subventions et personnels, parler donc d’égalité des chances dans ce contexte, c’est, passez moi l’expression, quelque peu gonflé ! Et ce, alors qu’en même temps, l’enseignement privé catholique se trouve doté de financements dans le cadre du Plan « Espoir Banlieues » !

Mais, au-delà de ça, c’est la notion même « d’égalité des chances » pour les jeunes des classes populaires qui doit être interrogée ! Pour nous, l’égalité des chances, c’est comme mettre sur une même ligne de départ des athlètes valides et d’autres qui se seraient cassés une jambe et à qui on aurait fourni, par compassion, des béquilles ! Et après, grâce au libéralisme, que les meilleurs gagnent ! Autre version à la mode de cette même notion d’ « égalité des chances » : sauver les élèves qui peuvent l’être parce qu’ils sont « méritants ».

Nous choisissons, nous, de parler de droit à l’éducation, de droit à la formation, de droit à la qualification, de droit au développement personnel, de droit à se former et à s’éduquer tout au long de la vie et ce, dans le cadre d’une obligation faite à la Nation, à la République de tout mettre en œuvre pour y parvenir.

Force est de constater que les décisions ministérielles, baptisées « réformes » alors que ce sont des contre-réformes régressives, si ce n’est réactionnaires, ne permettent pas à la République de tenir ses promesses !

Et ceci ne va faire qu’aggraver une situation où, entre l’École et certaines catégories de jeunes, existe un rapport mutuel de défiance, de reproches, de récriminations et peut-être, parfois, de peur. Avec des griefs partagés, réciproques, de manque de respect.

En outre, dans notre société, où même l’obtention d’un diplôme n’est plus forcément la garantie d’un emploi pour tous, l’École tend à perdre beaucoup de sens pour un certain nombre de jeunes.

À l’heure actuelle, sauf à faire preuve d’irresponsabilité, personne ne peut ni ne doit sous-estimer ces phénomènes. Ni ignorer ce que l’ensemble des acteurs sait, à savoir que le système éducatif ne peut plus perdurer sans avoir à se transformer sous peine de se déconnecter d’une partie de la population scolaire.

Il est donc indispensable et urgent que le système éducatif rétablisse des liens de confiance avec la totalité des enfants et des adolescents, avec la totalité des familles. Ceci appelle très clairement une révolution culturelle. En effet, les jeunes générations ne seront plus jamais celles du passé.

Si les stratégies éducatives mises en œuvre pour amener 80 % de chaque classe d’âge au niveau du baccalauréat, 50 % de chaque classe d’âge à l’accession aux qualifications de niveaux II et III, la totalité de chaque classe d’âge à une qualification minimum – BEP ou CAP -, si donc ces stratégies demeurent celles d’hier, c’est l’échec assuré. Et même s’il ne peut être demandé à l’École, nous le savons, de tout assumer toute seule, elle a, pour atteindre ces objectifs, à développer l’interdisciplinarité, à actualiser ses contenus d’enseignement, ses programmes et à adapter son organisation, ses modes d’évaluation des acquis, ses rythmes, ses démarches, ses méthodes, la formation de ses personnels, sa relation aux habitants. C’est bien clairement et explicitement en référence à cette nécessaire transformation, à cette démocratisation véritable, que la question de l’acquisition du socle commun de connaissances et de compétence doit être posée.

L’École a également à prendre en compte son environnement éducatif, culturel, social, économique, qui peut être source d’acquisition de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être, à condition qu’il soit organisé. Elle doit aussi prendre en compte le monde avec Internet.

Contribuer à redonner une signification à l’École, c’est reconnaître que son inscription dans cet environnement confère à cette École, en tant que lieu d’apprentissage, de transmission, de socialisation et d’éducation, un rôle irremplaçable de structuration des informations et des connaissances et de développement du plaisir à comprendre et à interpréter le monde. Ainsi décrite, cette interaction montre que l’éducation ne peut être que partagée : personnels des établissements, parents, familles, collectivités locales, institutions et lieux sportifs et culturels, associations, services déconcentrés de l’État, Acsé, Caisses d’allocations familiales et, bien sûr, les jeunes eux-mêmes. La place et le rôle de ces derniers dans la Cité doivent d’ailleurs être la préoccupation permanente de l’ensemble des parties prenantes à l’action éducative, contribuant ainsi à une culture commune de l’éducation partagée. C’est ce qui fonde, entre autres, la légitimité de projets éducatifs territoriaux construits sur la place donnés à la petite enfance, aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes.

Projets qui intègrent ceux des établissements scolaires et qui visent à déterminer des stratégies permettant de combattre les inégalités sociales, culturelles, démographiques ou géographiques.

Projets qui visent aussi à s’attaquer aux discriminations, en particulier ethniques, d’autant plus intolérables quand ce sont des jeunes scolarisés, nos jeunes, les citoyens de demain, ceux l’étant déjà, puisque ayant 18 ans, qui en sont victimes.

Projets qui visent également à atteindre l’objectif de faire accéder le plus grand nombre aux connaissances, à la capacité d’expression, à la découverte de l’autre, par des pratiques qui donnent place à la parole du jeune, à l’acte, à la création et à la solidarité.

Projets qui visent, enfin, à enclencher des dynamiques identitaires d’estime de soi et de son territoire pour tous les habitants, avec ses conséquences en termes de revitalisation du local, de renforcement du lien social et d’ouverture au monde.

Ces projets donnent sens, cohérence et efficacité à ce qui, encore aujourd’hui, a trop tendance à se juxtaposer et qui doit être mis en synergie par une fédération des éducations formelle, non-formelle et informelle, avec des volontés et des réalisations qui prennent appui sur :
– le traitement de la demande et la réponse aux besoins ;
– la coéducation dans le respect des missions de chacun ;
– l’acceptation des durées nécessaires pour mobiliser, fédérer, unir, construire, pérenniser.

C’est ce que nous, et d’autres associations, et avec de nombreuses collectivités, nous nous efforçons, même si ce n’est pas facile, de mettre en œuvre, notamment au travers d’une éducation partagée au sein de projets éducatifs territoriaux :
– avec des diagnostics participatifs ;
– avec la définition de valeurs autour du vivre-ensemble et de la solidarité et la prévention et la lutte contre les discriminations ;
– avec la définition d’objectifs ;
– avec l’évaluation et la régulation ;
– avec la qualification de professionnels ;
– avec la formation, entre autres celle des bénévoles, mais également celle des coordonnateurs, voire aussi celle des élus ;
– avec l’élaboration et la conduite de projets éducatifs pluriannuels dans les territoires en y associant les habitants ;
– avec le concours apporté aux projets des établissements scolaires (école, collège, lycée).

Une éducation partagée au travers de l’action quotidienne. On peut citer entre autres et en vrac :
– accompagnement éducatif à la scolarité pour apporter aux enfants et adolescents les appuis en termes de méthodologie, de culture, de socialisation, en interaction avec les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui sont à acquérir à l’Ecole ;
– prévention du décrochage scolaire ;
– aménagement des temps et des espaces de vie des enfants et des jeunes pour mieux prendre en compte leurs rythmes, leurs demandes et leurs besoins ;
– implication dans les dispositifs de réussite éducative ;
– investissement dans les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement à la parentalité ;
– développement quantitatif et qualitatif des restaurants d’enfants et de jeunes ;
– éducation à la santé ;
– éducation artistique et culturelle dans le cadre de projets par la fréquentation des œuvres et des artistes ;
– activités sportives ;
– éducation à la responsabilité et à la citoyenneté ;
– activités scientifiques ;
– éducation à l’environnement et au développement durable ;
– activités éducatives dans les centres de vacances et de loisirs, les centres de loisirs associés à l’école (CLAE), les classes de découverte ;
– projets communs avec les familles, les personnels de l’Éducation nationale, les collectivités territoriales, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP), dans les contrats éducatifs locaux (CEL), dans les Contrats urbains de cohésion sociale…

En définitive, pour nous, comme nous l’affirmons dans notre projet « Refonder l’Ecole pour qu’elle soit celle de tous »[[Ecole, Université : pour que la République tienne ses promesses, ouvrage réalisé pour la Ligue de l’enseignement par Jean-Claude GUERIN, avec Annette BON, André CHAMBON, Eric FAVEY et Arnold BAC, L’HARMATTAN, 2007]], « l’Education est une mission partagée entre des acteurs, des professionnels, et qui se vit en des lieux et à des moments différents :
– les diverses fonctions éducatives, comme les métiers qui les accompagnent, doivent être aujourd’hui ré-identifiées et repensées, en particulier en ce qui concerne les apprentissages ;
– cette redéfinition des fonctions et de leurs interrelations conduit à recomposer les formes et les contenus de l’exercice des métiers de l’éducation ;
la transmission, le croisement, l’échange des savoirs nécessitent un décloisonnement des structures et des pratiques de l’Ecole ;
– en conservant ses finalités et ses spécificités propres d’enseignement, l’Ecole est ouverte et intégrée dans son environnement, en relation avec les activités locales ».

Arnold Bac


Action financée par la Région Île-de-France
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