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Une année zéro pour la formation – Les ministres au rapport

Le rapport d’étape de Jean-Michel Jolion sur le suivi de la masterisation traduit un sentiment de désespérance par rapport à une réforme mal préparée et dont la mise en œuvre se conforme aux pires scénarios catastrophes qu’ont évoqués tous les spécialistes de la formation et du travail des enseignants. « Nous sommes aujourd’hui au milieu du gué d’une réforme de très grande ampleur qui aurait incontestablement nécessité un plus grand consensus en amont pour en permettre une vraie réussite. […] Cette réforme n’a jamais été mise en situation de pouvoir être élaborée en lien avec l’ensemble des acteurs. »
Les deux ministères sont remis en cause pour leur non-professionnalisme et leur incapacité à fournir les moindres éléments statistiques sur l’origine des candidats. Quant au concours, « déconnecté complètement de la réalité du métier », il ne peut que favoriser un flux de candidats eux-mêmes éloignés de l’enseignement. Si quelques filières, comme la documentation ou la vie scolaire, semblent plus en prise avec les réalités du métier, l’analyse des publics qu’elles réunissent plaide pour une prise en compte du taux élevé de salariés à temps plein qui ne peuvent se préparer sérieusement au concours, ni suivre le master.

Des masters très disparates

L’offre de formation trouve-t-elle grâce aux yeux du rapporteur ? Pas tellement, à part la remarque sur la cohérence de celle des professeurs des écoles organisée presque partout par les IUFM naguère vilipendés. L’ouverture sur d’autres professions n’est qu’un faux semblant. De grands risques de disparité et donc d’inégalité liées au financement sont énoncés, et il est possible de lire entre les lignes le désintérêt des deux ministères pour l’avenir de la formation emballée dans le paquet-cadeau (empoisonné) de la loi dite Liberté et Responsabilité des Universités. Et l’auteur de revenir sur cette autre inconséquence d’attribuer les IUFM à une université par académie au lieu d’en faire un service interuniversitaire.

Des étudiants livrés à eux-mêmes

Le paradoxe tient au fait que ce sont les étudiants qui, par leur motivation, empêchent un système infernal de s’écrouler complètement. Leur charge de travail est pourtant telle qu’elle épuise les étudiants et les met « en situation d’échecs » (un « s » qui se justifie tant dans le concours que dans la reconversion pour ceux qui échouent). Bizarrement, le stage et sa réalisation sont l’élément qui trouve le plus grâce aux yeux de Jean-Michel Jolion ; ce qui ne correspond pas tout à fait aux échos qui nous reviennent aux oreilles.

Toujours la place des concours en question

Les dernières critiques fusent sur des concours totalement inadaptés et bien éloignés des engagements des deux ministères auprès de la Conférence des présidents d’université. Quant à leur calendrier, il donne lieu à un exercice intéressant qui consiste à leur trouver une moins mauvaise place, en master première année par exemple. Comme les diplômes universitaires doivent être jugés à l’aune de l’emploi qu’ils déterminent, la question des reçus (au master) collés (au concours) est d’importance, mais l’auteur semble être bien seul à s’en préoccuper en s’appuyant sur une réalisation de son université.
Les questions non réglées de compétences en langues et en informatique ne sont que billevesées à côté de la salve finale qui est une supplique pour que la ministre pense enfin aux étudiants. Pourquoi, n’était-ce pas l’ambition affichée de cette « réforme » ?

Richard Étienne

Programmation 2014-2015

Programmation 2014-2015

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Exténués !

POINT DE VUE. Après une année de (dys)fonctionnement, il est temps de faire un bilan de la réforme de la formation.
Le rapport Jolion a insisté sur la masterisation et ce qui se passe avant le concours. Peut-être que la mission parlementaire, menée par Jacques Grosperrin et dont le rapport sera rendu en juin, reviendra un peu plus sur la situation faite aux stagiaires, c’est-à-dire ceux qui ont réussi le concours et qui devaient être titularisés cette année après une année où ils ont exercé à temps plein tout en suivant en plus une formation.
C’est presque devenu une banalité de parler de la fatigue de ces stagiaires. On lit ça et là dans la presse des témoignages qui, tous, insistent sur cet aspect. Les stagiaires sont exténués et cette fatigue les rend aussi moins réceptifs pour la formation. Pour se former, il faut en effet avoir l’esprit disponible. L’urgence les conduit aussi à la recherche de solutions immédiates et à développer des stratégies de « survie » peu propices à la pratique réflexive, la pédagogie et encore moins à l’innovation. Cela en a conduit un nombre non négligeable à démissionner.
En plus d’être angoissés et fatigués, les stagiaires ont été relativement isolés. Ils ont pu certes obtenir des conseils de leur tuteur, mais cela n’a pas toujours été facile du fait de l’éloignement, les tuteurs n’étant pas toujours dans l’établissement.
Ils ont donc eu peu d’occasions de rencontrer leurs pairs. Et c’est pourtant un élément important de la formation, qui se fait aussi autour de la machine à café, à la pause lorsqu’ils se retrouvent entre semblables et qu’on peut échanger librement et de manière informelle sur les difficultés et les réussites. Car enseigner est un métier qui s’apprend, collectivement…

Philippe Watrelot

Route glissante

TÉMOIGNAGE. Un coup d’œil sur le rétroviseur, arrivé au bout de la route cahoteuse d’une première année dans le métier enseignant.
C’est pendant les rencontres du CRAP que j’ai reçu mon affectation, ma mission : guider six classes de deux niveaux pour explorer les temps passés et les espaces présents. Dès ce jour j’ai quitté « ma vie d’avant ». Comme pris par un tourbillon qui n’a de cesse, je me sens dans un véhicule dont on ne m’a pas indiqué le fonctionnement, que je découvre au hasard des incidents ou grâce à des guides providentiels. J’avais exploré ces chemins du savoir au cours de mes études ; pourtant j’ai l’impression de précéder de peu ceux que je dois guider. Ils sont si différents, et certains ne sont pas tous les jours disposés à l’effort nécessaire dans cette démarche vers la connaissance. Comment leur donner l’impulsion pour me suivre alors que je commence tout juste à savoir où je vais ? Dans ce véhicule, le parebrise est obscurci par des ondées (dissipations, contestations, insultes, menaces) tandis que mes essuie-glaces de débutant tardent à dégager le point de vue qui me serait indispensable pour être un guide sûr. Par temps ensoleillé, j’y vois plus clair, ils avancent, ils écrivent, je corrige, et je trouve que j’y arrive, qu’ils progressent. Mais tout est si fragile, mouvant, imprévisible. Comment rendre mes élèves curieux, les inciter à penser, à tâtonner ? De ce véhicule, j’aimerais parfois m’éloigner un instant, marcher plus près d’eux, leur proposer d’autres façons de découvrir le monde grâce aux moyens actuels qu’il nous offre. Or il y a tant à apprendre ! Je commence juste à entrevoir le paysage de ces six classes à travers l’oscillation d’essuie-glaces, plus efficaces, car le temps a passé.

Yan Lemoine