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Un journal de classe multimédia

Pourriez-vous nous présenter l’histoire de votre collaboration ?
David : Lionel et moi avons fait connaissance lors de son stage de titularisation au collège. Il avait immédiatement accepté de nous accompagner lors d’un séjour sportif de pleine nature en Ardèche en 2008, où les élèves de 5e devaient tenir un journal de bord chaque soir pour rendre compte de la découverte du milieu avec des guides et des expériences vécues. À cette occasion, j’ai pu observer sa manière de travailler l’analyse des pratiques sportives ou de réinvestir dans les productions des élèves le vocabulaire des sensations et des sentiments, les stratégies de description ou la technique du récit d’aventures travaillées auparavant en classe. J’avais une autre représentation du travail dans sa discipline liée à mon expérience d’élève – beaucoup plus descendante – qu’il m’a permis de dépasser. Il travaillait finalement comme moi : les élèves parlaient d’une véritable expérience, ils étaient acteurs. Du coup, nous avons commencé à échanger ensemble à distance.

Après quelques années, il a pu revenir dans l’établissement et depuis quatre ans nous avons monté le projet FREPS1 (Français-EPS) en 3e. Petit à petit nous avons essaimé avec un deuxième binôme Lettres/EPS en 6e et 4e : Aurélie de Mattéis et Mikaël Sofianos, puis avec une ouverture à d’autres disciplines : la technologie, l’espagnol, les mathématiques.

Lionel : Au départ du projet FREPS, nous avons centré le travail autour des compétences d’analyse et d’autoévaluation. À partir du badminton, nous avons procédé à l’écriture d’une page de magazine en employant une tonalité bien précise. J’ai ensuite réinvesti le travail mené au gymnase dans les comptes rendus de lecture menés en classe. C’était un travail exigeant pour les élèves car il demande du recul et des capacités de verbalisation et de transposition dans une autre tonalité que celle qu’ils auraient spontanément choisie.
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Vous proposez un dispositif numérique de publication extrêmement riche aux élèves : nuages de mots clés, logiciel de pré-AO, blog, sites, capsules vidéos, comptes Twitter, etc. Quel est votre objectif avec une telle prolifération d’outils numériques ?
David : Dans l’établissement, l’équipe d’EPS a été équipée de longue date avec des tablettes numériques. Nous avons souvent recours à la vidéo pour examiner une performance et revenir sur les prestations avec les élèves. Certains de nos élèves de 3e manipulent des tablettes depuis la 6e. On en est venu naturellement aux outils de traitement de la vidéo. En s’approchant des pratiques professionnelles des sportifs de haut niveau (arbitrage vidéo, vidéo comme outil de perfectionnement pour l’athlète), on permet aux élèves d’exercer facilement le commentaire, la co- et l’autoévaluation en cherchant des arguments à l’image. C’est un premier pas vers une bonne utilisation des réseaux sociaux. Les élèves sont contents de voir leurs travaux relayés par d’autres et mis en valeur. C’est également l’occasion de réfléchir avec eux à leur identité numérique.

Lionel : La publication en ligne est au cœur de tous mes projets interdisciplinaires ou disciplinaires. C’est un moyen de montrer que l’écriture est une compétence essentielle. Dès ma première année d’enseignement, j’ai utilisé un blog. Pour le club Journal, nous avons développé un journal multimédia en ligne. La 3e média propose une veille informationnelle sur son propre site. Sur chacun de ses supports, j’utilise de nombreux outils : Powtoon, Adobe Voice, des logiciels d’infographie, des outils de sondage… Les 3e FREPS travaillent également en Technologie sur la création d’un logo reflétant l’identité de la classe. Chaque outil est utilisé de manière spécifique : depuis l’année dernière je dispose de quelques tablettes en classe pour permettre aux élèves d’enregistrer leur voix ou de se filmer, ce qui enrichit encore les possibilités de productions multimédias. Nous continuons d’aller en salle informatique pour accéder aux logiciels en ligne et à l’espace numérique…

David : Lionel et moi avons le même intérêt pour les outils numériques. Il ne faut pas bouder notre plaisir : c’est très agréable de tester de nouveaux outils avec les élèves. Et c’est très motivant pour les élèves de découvrir de nouvelles façons de créer et de présenter leurs idées avec des outils qu’ils ne connaissent pas encore.

Lionel : Le numérique facilite la réalisation d’une tâche complexe, il conduit les élèves à articuler une intention avec une forme qu’ils doivent scénariser.
Pour la motivation, nous annonçons que tout ce qui est produit est susceptible d’être publié. Nous discutons dans la classe de ce que nous pouvons ou pas publier et je me réserve un droit de veto. Certains travaux doivent rester dans l’intimité de la relation professeur élève, ils marquent une étape dans la progression mais ne donneraient pas une image suffisamment bonne de l’élève ou du groupe pour prendre le risque d’une mise en ligne publique. Nous travaillons la distinction entre les attendus d’un travail scolaire (publié sur l’ENT) et les attendus plus exigeants d’une publication en ligne. Dans ce cas, je laisse l’opportunité de recommencer ou je refuse la publication.

Il ne faut pas entacher l’identité numérique des élèves mais leur faire comprendre que c’est un capital à préserver. Cela donne aussi du sens à une recherche de l’information étayée, de l’expression soignée et adaptée à sa cible et, pour les productions écrites, d’une orthographe correcte.

Quelles sont les compétences que les élèves développent le plus dans ce dispositif ?
David : J’en vois deux essentielles dans ma discipline : l’amélioration du travail de groupe et la capacité à s’autoévaluer. En utilisant des outils collaboratifs, en voyant les enseignants collaborer entre eux, en écoutant les analyses des autres élèves, l’élève acquiert une plus grande autonomie et une plus grande confiance en lui.

Lionel : Le point où l’amélioration est la plus nette est la qualité de l’argumentation. Le fait que David travaille avec eux les notions d’argument et d’exemple me facilite le travail pour le sujet d’argumentation du brevet. Les notions sont facilement transposables pour les élèves, la démarche argumentative s’affine avec la notion de stratégie travaillée en EPS par exemple. En analyse littéraire également, je constate une plus grande finesse dans les analyses depuis que nous avons travaillé autour de l’Accrothéâtre. Le travail sur les intentions de jeu a permis d’éclairer certains registres que nous avons réinvestis par la suite.

David : J’ajouterai que le travail de captation audio et vidéo a fait progresser spectaculairement des élèves plus timides dans leur prise de parole.

Comment votre projet est-il reçu par les autres membres de la communauté éducative ?
Lionel : Nous avons eu « carte blanche » de l’administration du collège : même s’il n’y a pas eu d’heures supplémentaires pour mener le projet, nous avons pu obtenir que les collègues impliqués dans le projet puissent partager les mêmes classes et des aménagements d’emploi du temps pour la coanimation de certaines séances. Nos projets sont relativement médiatisés et ils contribuent à donner une bonne image du collège.

David : Nous avons d’ailleurs d’excellents retours des parents d’élèves, qui soulignent l’implication des élèves dans le projet et leur motivation à réaliser les tâches complexes demandées. C’est d’autant plus surprenant que ce n’est pas une classe à profil avec des élèves volontaires, mais une classe très hétérogène, composée au hasard.

Lionel : Pour les élèves comme pour les collègues, notre collaboration n’a cependant rien d’une évidence : nous sommes deux disciplines qui n’ont a priori pas grand-chose à voir ensemble. Les élèves ont souvent une image étrange du dispositif fondée sur l’inversion : David viendrait leur faire un cours de français et moi un cours d’EPS ! Il faut du temps pour déconstruire cette représentation et leur montrer que nous sélectionnons des objets convergents pour développer des compétences communes.
Aujourd’hui notre collaboration est ancrée à tel point que, sur le site de l’établissement dans la liste des disciplines, on trouve le FREPS, dont le nom a été trouvé par les élèves.

David : Leur confiance m’a amené à évoluer dans mes propres pratiques. Pour moi il était plus naturel de travailler sur une prestation orale que sur une copie. Maintenant, je ne m’interdis plus de demander des travaux écrits d’analyse de performance aux élèves et à les intégrer dans la tâche finale demandée. Même si je ne suis pas encore très à l’aise avec ça, je n’hésite plus à corriger l’expression : je n’appréhende plus que l’on me dise que ce n’est pas mon rôle.

Lionel : Pour les collègues dans l’établissement et au dehors, c’est un peu différent : l’interdisciplinarité n’est pas du tout une composante naturelle de l’identité professionnelle. On en a eu encore un exemple avec les réactions sur les réseaux sociaux autour de la balise #epipartage2. En Français, on a pu me reprocher de sacrifier les contenus et de faire de l’animation. En plus, il y a une hiérarchie implicite des disciplines chez beaucoup de collègues, qui rend le projet encore plus suspect.

Il y a eu un gros travail de légitimation de notre démarche. Le socle nous a beaucoup aidés dans ce sens en clarifiant les compétences à travailler de part et d’autre. Au départ, nous avions demandé une ligne FREPS dans le bulletin mais finalement il nous a semblé plus pertinent d’évaluer les travaux demandés dans nos moyennes respectives. D’autant que nous suivons complètement les programmes de nos disciplines que ce soit pour la littérature ou le choix des activités sportives proposées.

Aujourd’hui on ne peut pas dire qu’il y ait une opposition de fond au travail mené dans l’établissement, peut-être un peu d’indifférence aux travaux des élèves, un léger agacement face à notre surexposition médiatique, mais le projet est installé dans l’établissement et devrait prendre encore de l’ampleur, sans doute sous la forme d’EPI.

David : Même chez nos collègues volontaires pour nous rejoindre, il reste une appréhension face au caractère chronophage de ces actions en interdisciplinarité. Il ne faut pas nier que cette pédagogie active demande beaucoup de temps et de travail mais cela en vaut la peine et les élèves le reconnaissent. Cette année avec l’émulation entre la 3e média et la 3e FREPS, ils restent en classe pour terminer et il faut souvent les chasser. Même si on les gronde, ça fait quand même chaud au cœur !

David Périssinoto, professeur d’EPS et formateur
Lionel Vighier, professeur de lettres et formateur TICE,
collège Pablo Picasso de Montesson
Propos recueillis par Yael Boublil

Lire aussi l’interview des élèves du collège Pablo-Picasso à Montesson.