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Un idéal qui donne envie

Travailler plus pour gagner plus ! Ce slogan appliqué à l’éducation nationale est pour le moins surprenant. Voilà des lustres que, pour remplir la même mission, un professeur agrégé gagne plus et doit moins d’heures que son collègue certifié. Et on n’est pas près de voir remis en cause ce principe qui veut qu’on récompense ceux qui se montrent « dignes », en vertu de leur érudition et de leur maîtrise de la rhétorique, d’appartenir à l’aristocratie du corps enseignant.

Instituée par Napoléon pour sélectionner ceux qui deviendraient des « professeurs » de lycée, l’agrégation ne sert plus, depuis belle lurette, qu’à justifier une idéologie selon laquelle « l’excellence » est le lot d’une rare élite qui se transforme en caste dès qu’on lui accorde des privilèges. Le principe est justement de montrer que la réussite des professeurs comme celle des élèves repose moins sur le labeur obscur que sur les « qualités exceptionnelles » de ceux qui, grâce à leur seul talent, sont promis à un brillant avenir.

De leur côté, trop honorés d’avoir accédé à ce qui apparaissait comme une sorte d’aristocratie de la classe populaire, investis d’une mission d’éducation républicaine, les instituteurs de la Troisième république ont trié avec zèle ceux qui méritaient d’être présentés au certificat d’études puis, aux classes du primaire supérieur, ils ont sélectionné les très rares élèves à qui une bourse ouvrirait les portes de l’enseignement secondaire.
Ainsi, agrégés et simples instituteurs ont contribué chacun de leur côté à installer l’idée selon laquelle, leur tâche citoyenne visant l’instruction du peuple, l’unité de la Nation et le discernement de l’élite -dont ils constituaient une sorte de preuve vivante- ils ne pouvaient qu’être étrangers à toute motivation bassement intéressée. C’est bien connu, les enseignants méprisent l’argent, du moins, la richesse qu’ils affichent est celle de leur savoir, auquel ils doivent leur statut social…

Quoique…

Disons que, dans les collèges et les lycées, la course à des heures supplémentaires fort juteuses au fur et à mesure que vous grimpez en grade et en échelon ne sont que la conséquence des plus pures intentions pédagogiques : il faut bien se dévouer pour assurer des enseignements dont il n’est pas question de priver les élèves…

Quoique…

Disons que, le pouvoir ôtant à l’école les moyens de ses ambitions, on est bien obligé d’accepter des heures au-delà de ce qu’on peut raisonnablement assurer de manière sérieuse et professionnelle. Il est bien normal que la contrepartie pécuniaire soit à la hauteur de ce sacrifice déchirant…

Quoique…

L’école est-elle encore le socle de la nation républicaine et le garant de l’égalité des chances ? Les élites formées dans les grandes écoles n’ont plus bonne presse, les intellectuels ennuient, l’instruction se fait aussi ailleurs qu’à l’école…

L’école ne serait donc rien d’autre qu’un service dont l’objet est de canaliser les flux d’élèves pour les diriger vers les voies auxquelles ils sont destinés, et les enseignants de bons prestataires de service qui gagneront plus s’ils encadrent plus ?

En ce début d’année, voilà qui donne au métier le grand souffle épique dont on avait besoin.