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Un défi à relever

539-une-600.jpgDes freins aussi réels que fantasmés, des leviers nombreux et puissants, l’établissement scolaire dispose de beaucoup de ressources et de marges de manœuvre pour devenir solidaire et formateur.

La situation actuelle en termes de pouvoir d’agir et d’autonomie des établissements scolaires est, en quelque sorte, paradoxale. D’une part, une culture professionnelle traditionnelle très ancrée sur le centralisme, autour d’un ministère, auteur de décrets, donnant chaque année des directives, via la Dgesco (Direction générale de l’enseignement scolaire), sous forme d’une circulaire de rentrée. De l’autre, une administration centrale revendiquant explicitement d’autres pratiques, d’autres dispositifs en lien étroit avec les territoires et donc nécessairement différenciés et contextualisés.

Cette dichotomie ou ce paradoxe se retrouvent aussi au niveau académique. Selon les rectorats, l’encadrement, via tout particulièrement les IA-IPR EVS (inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional employé de vie scolaire), est plus ou moins présent ; les retours, sous forme d’enquêtes ou de questionnaires sont souvent pléthoriques ; les injonctions, pour participer à tel dispositif ou projet académique, sont plus ou moins insistantes. Mais l’essentiel des freins se trouve, ce me semble, à l’intérieur même des établissements et plus précisément dans le mode de pensée et d’action des professionnels, qu’ils soient personnels de direction, conseillers principaux d’éducation (CPE) ou enseignants.

Les freins, de la réalité au fantasme

En effet, l’étroitesse du cadre donné par les règlementations et injonctions ministérielles ou académiques est plus fantasmée que réelle. Bon nombre de chefs d’établissement réfutent, par frilosité ou manque d’imagination, l’utilisation de l’autonomie qui est donnée aujourd’hui par les textes officiels. Souvent aussi, le collectif leur fait peur dans le temps même où leur pouvoir d’agir repose principalement sur la volonté collective de l’établissement qu’ils pilotent. Alors, fréquemment, le chef d’établissement se cantonne à la structure qui lui est proposée par le rectorat au travers des moyens (DHG (dotation horaire globale) et TRMD (tableau de répartition des moyens donnés)), sans chercher réellement avec les équipes à les optimiser.

De même, la plupart des enseignants, par manque de connaissances précises des textes officiels mais aussi par peur du changement, du différent, s’autocensurent et n’osent pas agir. De plus, il est parfois plus confortable, ou en tout cas jugé comme tel, de s’opposer à une proposition voire une décision, plutôt que d’être soi-même, en collectif, force de propositions. Nous avons tous en tête des conseils d’administration inefficients devenus simples chambres d’enregistrement ou, à l’inverse, des lieux d’affrontements ou de joutes oratoires entre deux camps, s’opposant des arguments de principe.

Appuyer sur des leviers

En premier lieu, me semble-t-il, sur des leviers institutionnels. En effet, des textes, des décrets, des circulaires existent. Depuis quelques années déjà, le focus est pointé sur les objectifs, que ce soit en matière de lutte contre le décrochage scolaire, contre le harcèlement à l’école ou, bien sûr, en matière de résultats aux examens nationaux. Or, qui dit objectifs dit moyens dont il est nécessaire de se doter pour être dans l’efficience. La lettre de mission du chef d’établissement déclinée en lettre de mission pour l’adjoint, le contrat par objectifs, le diagnostic de gestion et de performances sont autant d’éléments qui permettent de poser, au niveau d’un établissement scolaire, les bases d’un travail collectif de propositions et de leur mise en pratique.

De même, certaines instances, tout particulièrement le CESC (conseil d’éducation à la santé et à la citoyenneté) et le conseil pédagogique donnent la latitude à tout un chacun, quels que soient ses intérêts, ses curiosités, ses motivations, ses disponibilités, d’agir dans et pour l’établissement scolaire. Enfin, le projet d’établissement est posé dans les textes mêmes comme l’émanation de la collectivité scolaire dans toute la diversité de ses acteurs (professionnels, parents, élèves) ; il devient ainsi la formalisation même des actions, des projets, des priorités de la communauté éducative.

Mais des leviers nombreux existent aussi au sein même de chaque établissement scolaire. Une vraie dynamique, une vraie envie d’agir parcourent la plupart des équipes pédagogiques. Chaque établissement, avec des pourcentages souvent très différents, est confronté à un turnoveur plus ou moins important. Chaque année, il faut accueillir, présenter, informer ces nouveaux enseignants, CPE, personnels de direction, etc. Chaque année, on évalue le plan annuel d’actions, émanation du projet d’établissement, pour le réactualiser et le réinvestir. Autant d’opportunités pour relancer une dynamique collective sur laquelle s’articule l’ensemble des actions de la communauté éducative.

Ce dont ont besoin les équipes pour se lancer dans un projet ou la mise en place de dispositifs, c’est l’assurance que leurs propositions seront prises en compte, travaillées et traduites en modalités pertinentes, que l’équipe de direction utilisera ses propres compétences pour en faciliter la mise en pratique. La DHG tout particulièrement, et l’utilisation qui en est faite, est un élément essentiel de ce pouvoir d’agir.

En effet, quelle que soit l’académie, le type d’établissement, sa classification (REP+ (réseaux d’éducation prioritaire renforcés) ou établissement lambda), il existe une marge d’autonomie appelée souvent « heures non fléchées » que chaque établissement peut et doit utiliser selon ses besoins, ses attentes et ses priorités. C’est en commission permanente, mais aussi et surtout en conseil pédagogique décliné en conseils d’enseignement, que la répartition se réfléchit et se construit. Et c’est tous ensemble, en toute connaissance de cause, que la communauté décidera quels dispositifs seront adoptés : du coenseignement, des dédoublements pour certaines disciplines, à certains moments, trois professeurs pour deux classes sur une plage horaire précise, etc.

Cela implique des choix et donc induit des renoncements. Il est indispensable que ces choix et ces renoncements soient portés par le collectif en fonction des priorités et des particularités de l’établissement et de son contexte.

Le collectif, pour quoi faire ?

Lorsque des professionnels, pour un but commun, reconnu de tous, coopèrent, leur action ainsi que leur implication a toutes les chances de connaitre une meilleure efficacité.

Un établissement scolaire est un collectif doté de compétences riches et diverses, d’appréhensions multiples de situations données. Face à des problématiques complexes, ses réponses sont elles aussi complexes. Pour qu’elles soient appropriées, développées, évaluées, il est nécessaire que tous les acteurs s’emparent de la dynamique collective, la fassent leur et la promeuvent. Si chacun est acteur, il fait sien l’établissement, avec ses échecs et ses réussites. Chacun, à la place qu’il occupe dans le schéma coopératif du collectif, intègre les difficultés, recherche des solutions et les met en application. Le bilan s‘élabore collectivement, lisible et compréhensible par tous.

Chaque niveau doit pouvoir se fier au niveau suivant

Pour l’action de tout collectif, il est un préalable essentiel : la confiance. Dans le collectif qu’est l’établissement scolaire public, elle se construit à chaque niveau et ce, d’une façon réversible, que ce soit institution-établissement, établissement-institution, chef d’établissement-enseignants, enseignants-chef d’établissement, enseignants-élèves, élèves-enseignants, etc. Chaque niveau doit pouvoir se fier au niveau suivant ou précédent afin de construire avec lui. La confiance se gagne grâce à des manières récurrentes d’agir, à un engagement inspiré de la « symétrie des attentions », pour reprendre une terminologie managériale.

Lorsque la confiance est installée, le collectif s’inscrit pleinement dans une véritable culture d’établissement. Il me semble alors pertinent que le chef d’établissement ne soit plus le président du conseil d’administration. En effet, en tant que représentant de l’établissement, il rend compte au conseil d’administration des actions menées sous sa responsabilité, il ne peut donc le présider sans conflit d’intérêts. Cela rendrait à cette instance une valeur décisionnaire plus forte et ferait du chef d’établissement un membre de la communauté éducative avec des missions particulières et précises qui s’inscrivent de plain-pied dans une véritable démarche coopérative où, chacun, à son niveau, participe aux objectifs communs. Parallèlement, le rôle du conseil pédagogique en tant qu’instance de concertation et de régulation serait renforcé afin que chaque équipe, chaque discipline se sentent actrice dans son établissement.

Un temps pour les équipes

Pour que les enseignants et tous les personnels (services médicosociaux, d’orientation, de vie scolaire, direction, etc.) coopèrent et travaillent ensemble, il est nécessaire de poser des temps et des lieux dédiés à la concertation et au travail en équipe : plages horaires communes à tous, salles de travail, mis en place de tiers lieux pour la concertation, ressources numériques, etc. On ne peut demander dans la plupart des établissements actuels, hormis ceux peut-être construits depuis moins de dix ans, un travail d’équipe si rien n’est prévu matériellement à cet effet.

De même, penser le temps scolaire implique de penser non seulement celui des élèves, bien sûr, mais aussi celui des équipes qui n’en peuvent plus des réunions méridiennes comme des réunions de fin de journée. La gestion du temps est en effet essentielle. Pour pouvoir agir, qui plus est en collectif, il faut du temps. Pas un temps volé au temps personnel ou au temps d’enseignement, un temps professionnel reconnu comme tel et ayant la même valeur que le présentiel devant élèves. Depuis quelques années, des efforts ont porté sur cette reconnaissance, par exemple sur la mise en place des IMP (indemnité pour mission particulière), par exemple.

Mais l’essentiel est encore à faire : si l’on veut que chaque enseignant s’inscrive dans une équipe, un collectif et qu’il en soit acteur, reconnaissons-lui un temps dédié à cela dans son service, sinon cela restera assujetti à la bonne volonté de quelques-uns. Dans les établissements innovants de la Fespi (Fédération des établissements scolaires publics innovants), par voie dérogatoire mais aussi par conviction, les enseignants sont présents de très nombreuses heures par semaine dans leur établissement. Dans leur service, les heures de concertation, d’entretiens individualisés, de bilan côtoient les heures d’enseignement. Rien d’étonnant donc que la notion de coopération y soit si prégnante et pas seulement au niveau des élèves.

Autre élément, me semble-t-il, essentiel à ce pouvoir d’agir et d’autonomie des équipes, c’est de faire de l’établissement un établissement formateur. En effet, chaque école, lycée, collège accueille à chaque rentrée de nouveaux personnels. Dans le même temps, le contexte de l’établissement, celui des élèves, évolue ; le territoire sur lequel il est inscrit se modifie ; les technologies et leur portée didactique aussi. Autant d’éléments que les équipes doivent prendre en compte d’une façon instaurée et formalisée. L’accueil des nouveaux arrivants doit être renforcé et institutionnalisé, une mémoire des actions, projets, dispositifs de l’établissement mise en place et donnée à chaque nouvel arrivant. Des plans collectifs (au niveau de l’établissement) de développement professionnel doivent être élaborés, les formations en établissements développées et multipliées sur proposition des équipes. Cela créera une synergie dynamique dans laquelle chacun trouvera une place qui lui convient.

Le pouvoir d’agir et d’autonomie des établissements est, me semble-t-il, le véritable enjeu des années à venir en matière d’éducation en France. Notre système éducatif est encore fortement inégalitaire. En ce sens, il n’a pas réussi pleinement la massification. Une des façons de vaincre ce défi est de permettre à chaque communauté éducative de s’emparer de ses problématiques particulières et d’en chercher collectivement les réponses adaptées, c’est-à-dire efficientes. Rendre chaque professionnel acteur au sein de chaque établissement permet l’acquisition de plus grandes compétences et de meilleures réussites. Il suffit, et la difficulté est peut-être là en cette période tout particulièrement, de se faire confiance, à soi-même d’abord et aux autres.

Françoise Sturbaut
Proviseure, présidente d’Éducation et Devenir

Sur notre librairie :

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N°539 – Pouvoir d’agir et autonomie, de l’école au lycée
Coordonné par Michèle Amiel et Gwenael Le Guével

Prendre des initiatives, engager un processus de décision, animer une équipe, mettre en place une innovation, etc. Est-ce le domaine réservé du directeur d’école, de l’IEN, du chef d’établissement ? Au bout du compte, l’augmentation du pouvoir dans un établissement autonome, c’est celle du chef ou celle des personnels.